Le directeur des Sénégalais de l’Extérieur s’est ouvert sans détour à votre site préféré. De la prise en charge gouvernementale de cette série de meurtres qui accable le Sénégal aux solutions envisagées pour éradiquer définitivement ce mal poignant, en passant par l’étalage des causes probantes de ces crimes aux allures de malédiction, Sory Kaba a analysé en profondeur tous les contours des meurtres dont ont été victimes nos compatriotes.
L’année 2015 a été marquée par une série accablante de meurtres chez les Sénégalais de l’extérieur, dont les derniers en date sont ceux de Lamine Senghor et Mor Sèye. Quelle lecture faites-vous de la situation en tant que directeur des Sénégalais de l’extérieur ?
Sory Kaba : Un sentiment très douloureux m’habite, causé par la perte de ces compatriotes et je profite de cette occasion pour présenter mes condoléances aux différentes familles éplorées. Nous implorons le Bon Dieu qu’IL les accueille dan son paradis et prions pour que ces événements douloureux ne se reproduisent plus.
Depuis le début de l’année nous avons enregistré à peu près 29 cas de décès, contre 168 l’an passé. Huit cas d’assassinats ont été constatés l’année dernière, contre 18 cette année et c’est l’occasion de préciser que les Sénégalais de l’extérieur ne sont pas les seuls visés par ces meurtres, je suis sûr qu’il y a autant d’Ivoiriens, de Mauritaniens, ou de Gambiens qui meurent à l’étranger…
Nous sommes dans une situation de crise migratoire dont le premier facteur est la montée de l’extrême droite en l’Occident. Ils ont envie de donner leurs opinions à leur manière.
Mor Sèye a été assassiné sur une plage à Ravena, alors qu’il prenait sa pause étant vendeur à la sauvette, et l’enquête prouvera que cet acte ignoble a été perpétré par un militant d’extrême droite qui n’a eu pour cible dans son geste que la couleur noire, que la victime soit Malien, Sénégalais ou Ivoirien, etc. lui importait peu.
Il ne faut pas laisser croire que ceux qui sont aujourd’hui à l’origine de ces gestes sont à la recherche de Sénégalais. Sinon il y aurait beaucoup plus de morts parce que nos compatriotes « machalah » sont très présents à l’Etranger.
Le deuxième facteur de ces tueries est le terrorisme avec le phénomène Boko haram qui est aujourd’hui dans la bande sahélienne africaine et tous les pays de cette bande ont tendance à se recroqueviller sur eux-mêmes, c’est un instinct de souveraineté nationale, ils n’ont pas envie de laisser les étrangers venir chez eux, sans pour autant qu’ils soient en situation de régularité et ce phénomène fait qu’il y a aujourd’hui beaucoup de Sénégalais rapatriés par exemple du Gabon, de la Guinée Equatoriale, etc.
Et là intervient le troisième facteur, qui est la chute du baril du pétrole. Les économies de ces pays se sont retrouvées bloquées, l’emploi est devenu insuffisant, la précarité s’est généralisée, ils ont tendance également à épier l’étranger « à côté ».
Ces facteurs combinés font qu’aujourd’hui la problématique migratoire est devenue un vrai problème de fond, on ne peut plus l’aborder en surface, il faut qu’on aille en profondeur et c’est une invite que je lance à l’ensemble des acteurs, il faut une réflexion approfondie.
Certains pour ne pas dire la majorité des Sénégalais ont jugé passive la réaction de l’Etat sénégalais face à cette série ignoble de meurtres sur nos ressortissants, ne serait-il pas temps de poser des actes concrets dans ce sens ?
Un de mes professeurs d’université me disait : « il n’y a pas d’acte abstrait! ». Autrement dit, sur les 29 cas de meurtres identifiés, au moins sur les dix précédents, je ne dirais pas que les enquêtes sont clôturées, mais au moins les coupables ont été arrêtés. D’un autre côté, les familles elles-mêmes sont parties sur place, accompagnées par le gouvernement, afin de pouvoir plaider, parce qu’il s’agit d’une affaire privée, non d’un dossier qui se traite entre Etats, mais qui concerne un Sénégalais et un individu d’une autre nationalité, donc une affaire privée. Notre devoir en tant qu’Etat est d’assister tout Sénégalais, d’assister les familles éplorées pour que la lumière jaillisse.
Parlant d’assistance, des rumeurs persistent, qui font état d’une certaine mésentente entre les différents services devant servir les Sénégalais de l’extérieur, qu’en est-il ?
Il faut reconnaître que l’on fait souvent un mauvais procès aux services diplomatiques et consulaires, même s’il faut dire que dans la diplomatie sénégalaise, il est courant de voir de très bons fonctionnaires comme on en voit des passables ou médiocres ; c’est inhérent à la vie humaine, tout le monde n’est pas excellent.
On voit ainsi dans certaines missions consulaires des agents qui ne sont pas à la hauteur des missions, comme on voit parfois des agents meilleurs que tous ceux des autres nationalités : Française, Américaine, Anglaise… Les Sénégalais sont souvent les meilleurs dans les juridictions, c’est un mauvais procès qu’on leur fait, et c’est pourquoi je demande qu’on les traite au cas par cas. Quel est le cas où l’ambassade ou le consulat se serait mal comporté avec un ressortissant Sénégalais ? J’ai envie de le savoir pour que nous puissions prendre toutes les mesures correctives qui s’imposent. Mais en tout état de cause, leur rôle et leur mission c’est d’accompagner et d’assister, de protéger tout Sénégalais dans la juridiction où ils ont mandat, tous les Sénégalais sans exception : celui qui est immatriculé, celui qui ne l’est pas, celui qui est en situation régulière ou irrégulière, celui qui est né à l’étranger, celui qui n’y est pas né, sont tous égaux devant le consulat ou l’ambassade. Et c’est l’occasion d’appeler nos compatriotes vivant à l’étranger à se rapprocher davantage des services diplomatiques. Malheureusement, on ne les identifie pas, ils ne sont pas immatriculés, ils faudrait qu’ils comprennent qu’il doit y avoir une symbiose en amont, mais pas vers la fin.
Comment la Direction des Sénégalais de l’extérieur a-t-elle réagi face à ces meurtres commis sur des ressortissants Sénégalais ?
Le premier acte a été d’abord de recueillir les instructions. Nous sommes dans un ministère appelé ministère des Affaires Etrangères et des Sénégalais de l’extérieur. La première autorité de ce ministère est le ministre. Notre premier instinct, notre première action, c’est de partager l’information avec lui, même s’il était déjà informé, et recueillir l’instruction du président de la République parce qu’on n’a pas le droit d’agir de notre propre gré, nous sommes dans une administration, une organisation. Et ensuite a été convoquée une réunion de crise qui a réuni autour d’une table toutes les directions, tous les services confondus, et chacun de nous a analysé la situation sous un angle personnel, afin de dégager la meilleure attitude, et puis nous sommes entrés en contact direct avec le consul ou l’ambassadeur de la juridiction dans laquelle l’acte a été commis pour avoir exactement le récit de ce qui s’est passé et lui transmettre en retour les instructions du ministre qui consistent à dire qu’il faut que ces actes soient punis et ne demeurent pas impunis et pour ce fait, il faudrait que tous les actes diplomatiques soient posés : que ça soit une note verbale de protestation, ou des audiences systématiques au niveau des Affaires Etrangères qui doivent informer le ministre de l’Intérieur pour que les directives puissent être données.
Concernant les enquêtes, les officiels jouent-ils pleinement leur rôle et la communication est-elle bonne entre les pays où se sont déroulés les différents meurtres de nos compatriotes et le Sénégal ?
Tout à fait. Depuis un bon moment, je cite l’exemple de la Côte d’Ivoire, parce que c’est le cas de tuerie où il est très facile d’identifier l’auteur. L’instruction que j’ai reçu du ministre c’est de lui faire le point chaque soir, et depuis trois semaines je le luis fais chaque soir, j’appelle l’ambassadeur qui me fait le point, je le transmets systématiquement au ministre.
Donc on peut dire que les enquêtes avancent ?
Absolument. L’autopsie a été bouclée pour le meurtre qui s’est déroulé en Côte d’Ivoire, ils sont en train de chercher les meurtriers pour voir déjà si on va à un procès ou pas. Mais déjà le ministre des Affaires Etrangères ivoirien a écrit au ministre des Affaires Etrangères du Sénégal pour présenter non seulement les condoléances de l’Etat Ivoirien, mais également son engagement pour que ce crime ne demeure pas impuni et le président de la République du Sénégal également s’en est ouvert à son homologue Ivoirien.
Passons à l’affaire Cheikh Diba, ce Sénégalais enflammé au Brésil ?
Malheureusement qu’on a tué et qui n’est pas mort. Le récit que nous a transmis le service consulaire raconte que Cheikh Diba avait des difficultés pour accéder à son auberge où habituellement il dormait. Il s’est arrangé pour dormir devant l’auberge et malheureusement on a essayé de l’y tuer. Un problème de fond intervient ici, lié aux conditions de vie. Il faut que nous cherchions à poser des actions beaucoup plus amplifiées pour améliorer les conditions de vie de nos compatriotes à l’Etranger. Mais encore faudrait-il que l’on sache le nombre de Sénégalais établis dans cette juridiction qui regroupe au moins neuf pays dont le Venezuela, l’Argentine, qui dépendent tous du Brésil. Imaginez combien l’Amérique du sud est vaste, et partout dans l’Amérique du sud, il y a des Sénégalais. Pour que la protection soit réelle il faut d’abord une identification, même si l’on voyage sans autorisation et sans donner de destination, au moins qu’il y ait identification dès l’arrivée, ce qui nous facilite vraiment le travail.
Du nouveau concernant l’affaire Lamine Senghor ?
Le corps est attendu aujourd’hui, rapatrié aux frais de l’Etat Sénégalais. L’auteur du crime a été arrêté, il s’agit d’un Algérien avec qui il s’est battu, mais n’a pas survécu à ses blessures. Le coupable est actuellement sous les verrous et ils sont en train de consolider l’enquête, l’autopsie aussi a été réalisée.
Quelle est la position de l’Etat Sénégalais dans le déroulement des différents procès ?
Les procès sont du ressort des familles parce qu’il s’agit d’affaires privées. Si la famille a besoin de l’assistance du gouvernement, elle en exprime la demande, au besoin l’on paie les honoraires des avocats, ou encore on met la protection foncière en branle.
Personnellement, en tant que directeur des Sénégalais de l’extérieur, comment comptez-vous agir par rapport d’abord à ces meurtres et à l’avenir en vue de mieux protéger vos ressortissants Sénégalais ?
C’est une responsabilité déjà partagée. Je l’ai dit tout à l’heure, la migration est un phénomène social, souvent économique ou même environnemental dès lors que le système social ne soit pas englobant. Et sous ce rapport, il faudrait que celui qui prend la responsabilité du voyage en assume également sa part en informant d’abord l’autorité à son point de départ. Cela nous facilite au moins le travail parce qu’on saura comment déployer notre protection.
Par ailleurs, une fois sur place, nous incitons à une logique d’organisation communautaire parce que le premier réflexe en pays étranger c’est de voir le Sénégalais qui est à côté, et s’assurer qu’on peut y manger du « thiebu dieun » s’il en cuisine avec sa famille ; c’est un réflexe naturel. Nous essayons aussi de cultiver ces réflexes parce que les associations constituent des moyens de pression. Et c’est à ce niveau que l’on va mieux gérer la circulation de l’information à travers leur association, mais également nos services diplomatiques et consulaires. Le reste c’est des actions pérennes de protection, d’assistance, d’accompagnement qui sont dévolues, que l’on réalise pour trouver la meilleure forme par rapport aux problèmes identifiés.
Comment l’Etat Sénégalais compte lutter contre ces actes ignobles qui vont jusqu’à des meurtres ?
Dans ce cas précis, je suis l’Etat du Sénégal et ce que j’ai dit va dans ce sens là parce que nous recevons en fait des instructions. Dans les réformes à apporter en matière de Sénégalais de l’extérieur, il faut les subdiviser en circonscriptions électorales pour davantage donner contenu au concept de diaspora que le Président de la République avait bien « problématisé » avant qu’il ne soit président. Ça a mis du temps, mais on est pratiquement dans la phase finale de la réflexion avant de passer à la mise en œuvre. Et ces réformes vont davantage apporter des nationaux issus de la migration, dans les instances de décision comme l’assemblée nationale ou le conseil économique et social. Et beaucoup de directions nationales comme la mienne sont occupées par des Sénégalais de l’extérieur. Cette implication dans la gestion des dossiers au niveau national va impacter inévitablement vers les Sénégalais de l’extérieur eux-mêmes, parce que c’est eux qui auront choisi leurs différents candidats qui les représenteront à l’Assemblée nationale donc la communication sera beaucoup plus fluide et également la gestion de proximité qui favorise l’ouverture d’un consulat ou d’une ambassade sera beaucoup plus réelle également, tout en sachant que beaucoup de consulats sont occupés par des Sénégalais de l’extérieur. C’est une panoplie d’actions que nous cherchons à peaufiner en relation avec les Sénégalais de l’extérieur.
Comment compte se déployer le plan de soutien aux familles endeuillées?
Ce point est laissé à la discrétion du président de la République et à sa générosité. Nous n’effectuons que le travail d’identification. Comme pour la famille Tandian qui a perdu quatre de ses membres dans un incendie à Paris, le président de la République a affrété un avion spécial pour leur transport de Kédougou vers Dakar où ils ont passé la nuit, à la morgue de l’hôpital principal, et c’est hier matin qu’un avion militaire les a ramenés directement à Kédougou. Sans compter qu’ils ont été reçus au palais, où une enveloppe financière leur a été remis
Depuis le début de l’année nous avons enregistré à peu près 29 cas de décès, contre 168 l’an passé. Huit cas d’assassinats ont été constatés l’année dernière, contre 18 cette année et c’est l’occasion de préciser que les Sénégalais de l’extérieur ne sont pas les seuls visés par ces meurtres, je suis sûr qu’il y a autant d’Ivoiriens, de Mauritaniens, ou de Gambiens qui meurent à l’étranger…
Nous sommes dans une situation de crise migratoire dont le premier facteur est la montée de l’extrême droite en l’Occident. Ils ont envie de donner leurs opinions à leur manière.
Mor Sèye a été assassiné sur une plage à Ravena, alors qu’il prenait sa pause étant vendeur à la sauvette, et l’enquête prouvera que cet acte ignoble a été perpétré par un militant d’extrême droite qui n’a eu pour cible dans son geste que la couleur noire, que la victime soit Malien, Sénégalais ou Ivoirien, etc. lui importait peu.
Il ne faut pas laisser croire que ceux qui sont aujourd’hui à l’origine de ces gestes sont à la recherche de Sénégalais. Sinon il y aurait beaucoup plus de morts parce que nos compatriotes « machalah » sont très présents à l’Etranger.
Le deuxième facteur de ces tueries est le terrorisme avec le phénomène Boko haram qui est aujourd’hui dans la bande sahélienne africaine et tous les pays de cette bande ont tendance à se recroqueviller sur eux-mêmes, c’est un instinct de souveraineté nationale, ils n’ont pas envie de laisser les étrangers venir chez eux, sans pour autant qu’ils soient en situation de régularité et ce phénomène fait qu’il y a aujourd’hui beaucoup de Sénégalais rapatriés par exemple du Gabon, de la Guinée Equatoriale, etc.
Et là intervient le troisième facteur, qui est la chute du baril du pétrole. Les économies de ces pays se sont retrouvées bloquées, l’emploi est devenu insuffisant, la précarité s’est généralisée, ils ont tendance également à épier l’étranger « à côté ».
Ces facteurs combinés font qu’aujourd’hui la problématique migratoire est devenue un vrai problème de fond, on ne peut plus l’aborder en surface, il faut qu’on aille en profondeur et c’est une invite que je lance à l’ensemble des acteurs, il faut une réflexion approfondie.
On voit ainsi dans certaines missions consulaires des agents qui ne sont pas à la hauteur des missions, comme on voit parfois des agents meilleurs que tous ceux des autres nationalités : Française, Américaine, Anglaise… Les Sénégalais sont souvent les meilleurs dans les juridictions, c’est un mauvais procès qu’on leur fait, et c’est pourquoi je demande qu’on les traite au cas par cas. Quel est le cas où l’ambassade ou le consulat se serait mal comporté avec un ressortissant Sénégalais ? J’ai envie de le savoir pour que nous puissions prendre toutes les mesures correctives qui s’imposent. Mais en tout état de cause, leur rôle et leur mission c’est d’accompagner et d’assister, de protéger tout Sénégalais dans la juridiction où ils ont mandat, tous les Sénégalais sans exception : celui qui est immatriculé, celui qui ne l’est pas, celui qui est en situation régulière ou irrégulière, celui qui est né à l’étranger, celui qui n’y est pas né, sont tous égaux devant le consulat ou l’ambassade. Et c’est l’occasion d’appeler nos compatriotes vivant à l’étranger à se rapprocher davantage des services diplomatiques. Malheureusement, on ne les identifie pas, ils ne sont pas immatriculés, ils faudrait qu’ils comprennent qu’il doit y avoir une symbiose en amont, mais pas vers la fin.
Par ailleurs, une fois sur place, nous incitons à une logique d’organisation communautaire parce que le premier réflexe en pays étranger c’est de voir le Sénégalais qui est à côté, et s’assurer qu’on peut y manger du « thiebu dieun » s’il en cuisine avec sa famille ; c’est un réflexe naturel. Nous essayons aussi de cultiver ces réflexes parce que les associations constituent des moyens de pression. Et c’est à ce niveau que l’on va mieux gérer la circulation de l’information à travers leur association, mais également nos services diplomatiques et consulaires. Le reste c’est des actions pérennes de protection, d’assistance, d’accompagnement qui sont dévolues, que l’on réalise pour trouver la meilleure forme par rapport aux problèmes identifiés.