Quand les populations pleurent un système de santé moribond, des hôpitaux au plateau technique inquiétant, une école publique en déliquescence, une pauvreté toujours aussi galopante, eux semblent s’amuser à détourner nos maigres ressources publiques pour les activités de leur parti. En effet, chez nous, la plaie de la politisation de l’administration a tellement gangrené le système que des ministres, directeurs, directeurs généraux, Président de conseil d’administration et autres administrateurs de crédit, placés à leurs postes par le Président de la République, chef du parti au pouvoir, piochent frauduleusement dans les caisses de l’État pour approvisionner leur parti. Et parfois, avec la complicité des responsables au sommet de l’État.
Au Sénégal, la conquête du pouvoir est semblable à un bon feuilleton de braquage de banque. Dès que l’ancienne opposition s’empare du pouvoir, c’est inexorablement l’épisode du partage des postes (ou du butin) qui suit. Une fois installé, l’ex-candidat, devenu président de la République, partage donc les postes (le gâteau) entre les membres de son parti et ses alliés. Certains hériteront de postes ministériels, d’autres seront faits Directeur, Directeur général, Président de Conseil d’administration, entre autres. Mais, malheureusement, certains postes tomberont entre des mains douteuses. Et c’est là que l’irréparable se produit. Tantôt, c’est le titulaire du poste qui finance ses activités politiques avec les ressources de sa structure. Tantôt c’est le parti, via ses plus hauts responsables, qui fait pression sur lui pour obtenir des faveurs indues de sa structure.
Wade, le Pds et les terres de la Sn Hlm
« La Sn Hlm a réalisé un programme de construction de 56 logements à Kaolack. M. Ahmadou Moctar Ba, ancien Directeur général, a extrait de ce programme deux parcelles pour les affecter au Pds pour les besoins d’édification de leur siège régional », avait révélé la Cour des comptes en 2012. Et derrière cette bonté frauduleuse, se cachaient des personnalités politiques du Pds, perchées au sommet de l’État. Car, dans une lettre datée du 1er aout 2008, adressée à Abdoulaye Faye, Ministre d’État administrateur général du Pds, le Directeur général d’alors disait : « Faisant suite à l’entretien avec le secrétaire national du parti, nous vous informons que la société nationale des Hlm a pris la décision de vous attribuer deux terrains pour le siège du Parti démocratique sénégalais à Kaolack ». » Mais, pour des raisons inexpliquées, l’attribution de ces terres, à Kaolack, ne se fit pas. Mais, ce ne sera que partie remise.
Des logements du contribuable offerts au Pds
En février 2008, les responsables du Pds reviendront à la charge. Cette fois-ci à Nioro. Même procédure, même agissement. Par une lettre datant du 8 février 2008, Amadou Moctar Ba, l’ancien Dg de la Sn Hlm, indique encore au ministre d’État Abdoulaye Faye, administrateur du Pds : « Faisant suite à notre entretien avec le responsable de la permanence du Parti à Dakar, la Sn Hlm a pris la décision de vous attribuer deux terrains pour le siège du Pds. » Cette fois ci, l’opération sera finalisée. Mais aucune trace de versement de contrepartie financière. Les corps de contrôle qui ont découvert le pot aux roses, crient au « détournement d’objectif ». A Saint-Louis, mêmes pratiques. Deux logements de la Sn Hlm sont ‘‘irrégulièrement » affectés au Pds. « Pour toutes ces situations, il n’existe pas de contrat entre la Sn Hlm et le Pds qui n’a procédé à aucun versement », révèlent les auditeurs. La Sn Hlm a-t-elle été créée pour financer l’érection de sièges pour les partis politiques, fut-il celui au pouvoir, ou pour aider les populations à ne pas crouler sous le poids du loyer ? La réponse coule de source.
La Sirn et le financement des accueils de Wade
La Société des Infrastructures et de Réparation Navale (Sirn), elle aussi, n’a pas échappé aux griffes de la politisation à outrance des postes les plus ‘‘juteux » de l’administration. Wade y avait placé son jeune responsable politique, Mamadou Lamine Massaly, qui fut Pca de la boîte jusqu’en juillet 2011. Ce dernier, « recevait de la Sirn des fonds pour financer ses activités personnelles », avait découvert la Cour des comptes. « La mobilisation des jeunes wadistes et militants pour l’accueil de l’ancien Président de la République entre 2008 et 2009 lors de ses visites ou inaugurations d’usines, un appui à la Génération du Concret de la Médina pour l’organisation d’un gala de lutte en 2009 et l’organisation de manifestations avec la jeunesse thiessoise et de conférences de presse », tout était financé aux frais du contribuable. Rien que pour les tee-shirts à l’effigie du Président Wade, les casquettes et banderoles, la Sirn avait déboursé plus de 12.8 millions de Cfa.
89 millions du Coud détournés pour accueillir Macky
Si sous l’alternance, Massaly finançait les accueils de Me Wade avec l’argent du contribuable, sous Macky Sall, Cheikh Oumar Hann, le Dg du Centre des oeuvres universitaires de Dakar (Coud), a accueilli son chef de parti au Campus de l’Ucad avec les ressources de la structure qu’il dirige. Dans son rapport explosif de 2015, l’Office national de la lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) révélait un pompage ignominieux des ressources du Coud pour accueillir en grandes pompes le Président Sall au Campus de l’Ucad en juillet 2015. Les vérificateurs ont révélé le versement de plusieurs subventions frauduleuses, avoisinant les 90 millions de Cfa. 8 millions destinés aux étudiants de l’Ucad, 15 millions pour l’habillement d’accueil, 32 millions pour l’habillement des femmes et des hôtesses du Coud, 34 millions pour la confection de tee-shirt, body et casquettes pour les étudiants et personnel du Coud. Ce qui fait « un montant global de 89 000 000 de Cfa engagé à titre de subvention pour la cérémonie de visite ». Des subventions d’une « irrégularité flagrante », avait déclaré l’Ofnac.
Le Fpe, la mobilisation du Fesman et les »versements » de millions
Des exemples de ce type, il y en a eu beaucoup ces dernières décennies au Sénégal. Par exemple, sous Diouf, le Directeur général de la Sicap (Société immobilière du Cap vert) en place de 1992 à 2001, fut épinglé pour « octroi de dons à caractère politique ». Au Fpe (Fonds de promotion économique), sous l’ère libéral, Ndèye Khady Guèye, qui fut administrateur du Fpe, a été épinglée pour « des cadeaux annuellement distribués à des autorités gouvernementales et politiques, pour des montants de 15 850 000 en 2007 et 34 288 812 en 2008 » et des dépenses pour confection de tee-shirts, de casquettes et de boubous « effectuées à l’occasion de l’inauguration du monument de la renaissance en 2009, du Festival mondial des Arts Nègres (Fesman) en 2010 et du meeting politique de Nguilére ». Dépenses glissées dans la rubrique des dépenses de publicité de sa structure.
Dangers de la politisation : Les enseignements et alertes de l’Ige !
Depuis 2013, l’Inspection générale de l’État (Ige) avait attiré l’attention sur les dangers de la « politisation des hauts cadres de l’administration publique ». Elle avait signalé que ce fléau présente « plusieurs inconvénients pour le bon fonctionnement de l’État », notamment en matière de gouvernance économique et financière. Car, M. Collin et ses collègues signalent que le « fonctionnaire politisé résistera difficilement à des ordres illégaux de ses supérieurs politiques, alors même qu’il n’ignore pas les conséquences de ces ordres en termes de gaspillage ou de dilapidation des deniers publics ». Aussi, il sera « constamment tenté d’utiliser les deniers publics pour financer les activités et partis politiques et même sera encouragé, voire contraint de le faire ». Il aura beaucoup de difficultés à éviter les conflits d’intérêts et « sera constamment tenté d’utiliser ses positions politiques pour se maintenir à son poste ou en obtenir un autre offrant plus d’avantages financiers et matériels ». En fin, signale l’Ige, le fonctionnaire politisé sera « moins regardant sur sa propre gestion, persuadé à tort ou à raison qu’en cas de malversations, il bénéficiera de hautes protections, voire de l’impunité ».
Le message de l’Ige au Président de la République
Au chef de l’État qui sera constamment tenté, au moment d’effectuer ces nominations, « de privilégier les critères de proximité politique des candidats à leurs compétences réelle », l’Inspection général de l’État signale que « l’effet pervers qui découle de cette pratique, c’est de dévaloriser les compétences au profit du militantisme politique ». Par exemple, dans les entreprises publiques, dans le cas où la nomination des hauts cadres obéirait à des considérations politiques et ne serait pas basée sur des critères de compétences, « les risques de dysfonctionnements dans la gestion de ces entités seraient plus élevés. Ce, parce que « les directeurs généraux, voire des présidents de conseil d’administration nommés dans ces conditions ne pourraient pas résister aux éventuelles injonctions ou implications du président de la république dans la gestion financière de leurs entreprises ».
Les alertes de l’Ige rangées dans les tiroirs
Mais, ces alertes de M. Collin et ses hommes, sont royalement ignorées. Quand il est signifié aux Ministres, Directeur et Directeur généraux qu’ils perdraient leurs postes s’ils perdent aux élections dans leur localité, au profit des responsables victorieux, la politisation de l’administration semble avoir de beaux jours devant elle. A fortiori, quand ceux qui pillent les caisses de l’État pour financer des activités politiciennes, vivent impunis. Quid du signal lancé par le chef de l’État, qui a jeté dans l’arène politique son ministre des Finances, dont le département, cœur de l’administration sénégalaise, fut l’unique poste jusqu’ici non politisé depuis plus de 15 ans ? La politisation de l’administration, avec son corolaire de détournements, semble avoir de beaux jours devant lui. Au grand dam des populations.