Sénégal. Un pays aux mille contradictions. Qui aspire à l’émergence. Et souhaite rattraper son retard au plus tôt. Vaste programme !
Les grandes réformes institutionnelles mises en œuvre pour impulser notre développement inclusif par la territorialisation des politiques publiques notamment ont été lancées et validées, soit par la représentation nationale finissante, soit par le peuple sénégalais, comme ce fut le cas lors du referendum.
Et pourtant, aujourd’hui, notre pays bruit de multiples débats aussi futiles que stériles. Normal, nous dira-t-on, tant dans notre pays les rumeurs et les polémiques fondent plus la réputation que la compétence elle-même. Elles sont sources de promotion plus sûrement que le leadership véritable et l’engagement citoyen.
Tout est sujet à débat chez nous : deux gamins s’embrassent à la télé, la pudibonderie sénégalaise s’horripile, crie au scandale et réclame une fatwa exemplaire ; un artiste pousse la chansonnette à Touba, c’est toute la communauté qui manque de s’étrangler à cause de ce crime. Depuis quelques temps maintenant, les sujets à polémique nous viennent directement des USA, entre les frasques supposées d’un guide religieux coupable de profanation d’un haut lieu saint du Mouridisme et un injurieur impertinent devenu le porte étendard d’une opposition impuissante à trouver un créneau mobilisateur et à déstabiliser un pouvoir droit dans ses bottes et que l’on accuse d’enrober d’arguments techniques ou juridiques toutes ses forfaitures politiciennes !
Il est vrai que chez nous, depuis longtemps, nous avons préféré le bien dire au bien faire. Senghor disait que l’ « émotion [était] nègre, » et que nous étions « les hommes de la danse » ; nous sommes dorénavant les maitres de la parole, en plus.
Car c’est par la parole que nous parvenons au sommet. Demandez à cette flopée de prétendus communicateurs traditionnels qui ont réussi à s’y hisser, au point d’avoir un statut de véritables icônes de la vie politique et sociale ; cela n’a pas été surprenant que l’un d’entre eux réclame un poste de ministre qui leur sera exclusivement dédié, il y a quelques temps ! En politique, les leaders dits populaires dans ce pays n’ont jamais convaincu quiconque sur un plateau télé, ou à travers les ondes, en parlant programme. Au contraire, pour eux, il faut crier haut et fort, et avoir le dernier mot. Si en plus on est un tantinet insolent ou vulgaire ou impertinent, l’on est considéré comme le « guerrier » qui ose dire les vérités crues que les autres évitent d’aborder !
Ne soyons pas étonnés alors qu’une partie de notre peuple se prenne d’affection pour ceux qui excellent dans l’art d’insulter…
C’est que l’on est si faussement pieux, si hypocritement pudibonds que nous en sommes venus à vivre avec nos névroses comme s’il s’agissait de fantasmes interdits auxquels nous donnons goulument libres cours, dès lors que quelqu’un d’autre nous ouvre le chemin de ces jouissances interdites et que nous pouvons nous en délecter dans l’anonymat le plus parfait : celui garanti par le net…
Voilà la réalité profonde de notre Sénégal qui se proclame démocrate et civilisé jusqu’au bout des ongles, qui se dit religieux au point de paraitre dévot. La tartufferie de la plupart d’entre nous est une seconde nature qui ne tarde pas à s’exprimer, dès que l’occasion lui en est donnée.
Nos politiciens sont ensemble tant qu’il n’y a pas d’élections. A chaque fois qu’il s’agit de choisir un leader, personne n’a plus confiance en son prochain. C’est automatiquement la scission, la division. Passe encore si c’était fait dans la paix. Mais que nenni, il y a toujours des règlements de comptes qui cachant mal une méfiance réciproque qui indique à souhait que les acteurs politiques sont pour la plupart mus par leurs propres intérêts et ceux de leurs clans respectifs, l’intérêt du peuple passant au second plan.
Cette lâche hypocrisie est observable jusque dans les états majors politiques, où souvent l’inamovible secrétaire général du parti favorise les promotions internes en fonction du degré de soumission des prétendants aux fonctions de responsables de sa formation politique, car la plupart de nos acteurs politiques sont d’éternels secrétaires généraux fondateurs qui s’occupent d’abord d’extraire leur sort du jeu des aléas démocratiques qu’ils ne maitrisent pas de bout en bout, en même temps qu’ils s’occupent d’abord de leur propre promotion.
Les gens qui s’émeuvent du malheur qui frappent leurs prochains sont souvent les premiers à l’ébruiter et à leur tailler un costume de responsables de leurs tristes sorts. Et quiconque réussit ne le doit ni à son mérite, ni à la grâce de Dieu. Il a dealé. Il a sacrifié quelqu’un. C’est un autre qui est derrière. C’est un prête-nom.
On insulte le Président. On insulte d’honnêtes gens. Des sénégalais s’en félicitent et pire, ils encouragent l’infâme coupable, et lui glissent en direct des noms de compatriotes qu’ils seraient heureux de faire injurier à leurs tours.
Qu’est ce que nous sommes devenus sans nous en rendre compte ? Comment en est on arrivés là ? Finalement qu’est-ce que l’on respecte dans ce pays ?
La mission de nos élites politiques est importante. Le Sénégal en est arrivé à un moment où il nous faut repenser notre modèle social. Nous avons « nourri le vent », nous avons « délassé les monstres » et le désastre que nous constatons ressemble en tous points à celui que Moïse vit, quand il descendit du Mont Sinaï avec les dix commandements, et trouva son peuple dans la luxure et le péché, poussant son avanie jusqu’ à l’adoration d’un veau d’or élevé au rang de nouveau dieu durant son absence !
Nous avons du pétrole. Nous avons du gaz. Nous avons une main d’œuvre jeune. Nous avons des dignitaires religieux qui ont lutté pour l’indépendance de notre pays, et nous ont légué des valeurs spirituelles et morales dont nous constatons chaque jour combien elles sont chahutées ! C’est désolant. Car, toutes les conditions sont réunies pour que nous parvenions à bâtir un nouveau modèle social.
Nous n’avons jamais eu autant d’opportunités pour changer le Sénégal. Il est temps que chacun d’entre nous se considère comme un acteur citoyen du développement de notre pays. Et que l’on comprenne une bonne fois pour toutes que personne ne mènera à notre place le combat pour le renforcement de notre démocratie. De manière civilisée. Avec responsabilité. Avec tact. La compétition politique doit avoir lieu dans un climat de saine adversité. Et pour ce, il urge d’élever le débat. Et de se réunir effectivement autour d’une table, pour se parler les yeux dans les yeux.
Même les guerres se sont réglées autour d’une table.
*Président A.DE.R