C’est peut-être un dénominateur commun de nos leaders politiques d’avoir à ses côtés son «fou», quelqu’un à jeter sur les gens pour les insulter, les vilipender. Mamadou Massaly a rempli ce rôle auprès de Abdoulaye Wade. Il s’était rendu si antipathique auprès de nombreux gens alors que le personnage, derrière ses mauvais airs, sait se montrer sympathique, et si attachant. Le fonds de commerce de Massaly a toujours été l’injure à la bouche, son côté rustre très affiché et son manque d’éducation. On raconte que cela plaisait beaucoup à Abdoulaye Wade et c’est ce caractère de personnage agité et impulsif qui l’avait séduit à l’occasion de meetings, pour qu’il en fasse «son homme». Massaly symbolisait l’arrogance d’un régime, surtout par certains de ses comportements de parvenu ou de nouveau riche. C’est dire qu’ils ne seraient pas nombreux à s’apitoyer sur le sort de Mamadou Massaly.
Pour autant, la procédure judiciaire s’est révélée totalement injuste à l’endroit du jeune militant du Parti démocratique sénégalais (Pds). On ne le dira jamais assez, une sanction pénale ne sera juste que si elle a été prononcée sans animosité particulière, sans volonté de revanche ou de règlement de comptes. L’emprisonnement prolongé de Mamadou Massaly, dans une procédure de plainte initiée par la Gendarmerie nationale qui s’était sentie diffamée parce que Massaly avait déclaré avoir fait l’objet de sévices durant sa garde à vue, est apparu injustifié. Placé sous mandat de dépôt par le biais d’une procédure de flagrant délit, Mamadou Massaly avait bénéficié d’une mise en liberté provisoire accordée par le juge en attendant son jugement. Le Parquet ne l’entendait pas de cette oreille et tenait à ce que le jeune Massaly restât en prison le plus longtemps possible. L’appel du Parquet attendra plusieurs semaines avant d’être examiné et débouté par la Cour d’appel.
Les services du procureur de la République décidaient encore de garder Massaly en prison par le truchement d’un recours en cassation. La Cour de cassation attendra de longues semaines pour que le dossier lui arrivât. Choquées par cette forme d’acharnement à l’encontre de Mamadou Massaly, certaines personnes avaient interpellé le Président Macky Sall. Le chef de l’Etat reste le garant du bon fonctionnement des institutions de la République. Un de ses interlocuteurs dira au chef de l’Etat que le séjour prolongé en prison de Massaly entacherait sa gouvernance. Je vous donne en mille la réponse surprise du Président Sall : «Mais ne me dites pas que Massaly est toujours en prison !» Le chef de l’Etat ne pouvait que donner des instructions à la chancellerie de finir avec ses recours et que le dossier revînt au juge correctionnel pour qu’il se prononçât définitivement.
La Cour de cassation statuera dans la foulée pour rejeter le pourvoi du Parquet. Massaly pourra humer l’air de la liberté après plusieurs mois de détention provisoire. Son dossier sera ainsi enrôlé devant le Tribunal correctionnel qui rendra un verdict d’annulation de la procédure. En effet, le Parquet n’avait pas usé de la bonne procédure et ce vice a profité à Massaly. Plusieurs mois de prison pour rien ! Massaly demande maintenant réparation de ce gros préjudice en réclamant 10 milliards de francs Cfa à l’Etat du Sénégal. Sa demande ne le mènera à rien car au Sénégal, il n’est pas encore prévu des réparations légales pour des préjudices causés par un mauvais fonctionnement de l’administration de la justice. Ainsi, des citoyens continuent à être victimes de la désinvolture avec laquelle certaines autorités judiciaires envoient des justiciables en prison. On l’a dit souvent dans ces colonnes, «on envoie trop facilement les gens en prison».
Dans l’affaire du meurtre de l’étudiant Bassirou Faye, trois policiers avaient été en même temps emprisonnés alors que tous les faits indiquaient qu’il n’y avait qu’un seul tireur d’une seule balle fatale. Ainsi, il était certain qu’il y avait au moins deux innocents en prison. Nous avions décrié en vain, ces emprisonnements dans ces colonnes. Résultat des courses ? Le juge vient de rendre une ordonnance disculpant deux inculpés qui auront déjà passé plusieurs mois en prison. Dire qu’il a fallu aussi remuer ciel et terre pour que le journaliste Mamadou Seck de L‘Observateur puisse être autorisé à voyager le week-end dernier, car faisant l’objet d’une interdiction de sortie du territoire suite à la procédure ouverte il y a quelques semaines contre lui et son directeur de publication pour divulgation de secrets militaires. Le chauffeur de taxi Ousseynou Diop, arrêté par la «Section accidents de la circulation» du Commissariat central de Dakar, continue de garder prison pour avoir roulé sur une passerelle piétonne. Son acte incivique est moralement répréhensible, mais qui a le droit de le jeter en prison sans la base d’une disposition légale en bonne et due forme ?
Aucun accident n’a été commis et aucune signalisation n’était faite pour interdire aux automobilistes la circulation sur cette passerelle. Qu’une telle signalisation aurait-elle existé que l’infraction tomberait sous le coup de la contravention et qu’à ce titre, nul ne pourrait le priver de sa liberté. Il s’y ajoute que Ousseynou Diop n’était pas le seul automobiliste à avoir emprunté cette fameuse passerelle le jour des faits, comme le révèlent les vidéos postés sur les réseaux sociaux. Si la même énergie déployée pour retrouver Ousseynou Diop l’avait été pour retrouver les autres automobilistes, le taximan ne serait pas seul à croupir à Rebeuss. Que fait-on des étals de commerçants qui encombrent ces mêmes passerelles piétonnes, ou de ces mendiants qui y élisent domicile au vu et au su de tout le monde ? Cette affaire a été gérée par l’émotion ; or la justice ne devrait pas agir de la sorte. La même logique de traitement des affaires sur la base de l’émotion a été de rigueur dans la convocation du député Oumar Sarr du Pds. De quelle infraction pénale serait-il coupable pour avoir déchiré chez lui, un papier qui pourrait même être un emballage pour une miche de pain ?
A supposer même que ce serait l’original de l’arrêté du préfet de Dakar interdisant la marche envisagée par l’opposition, ce document lui appartiendrait dès lors qu’il lui a été notifié et qu’il pourrait en faire l’usage qu’il voudrait, par exemple le garder jalousement comme un trophée de guerre ou le jeter où bon lui semblerait. A la limite, pourrait-on le poursuivre pour outrage s’il avait déchiré le document devant l’autorité administrative qui viendrait de le lui signifier. Dans cette affaire, Oumar Sarr, un brin provocateur, ne peut être que coupable de s’être montré comme un rustre, comme quelqu’un qui manquerait d’urbanité. Le Code pénal sénégalais ne connaît pas encore une telle infraction. De grâce, ne nous jetez plus en prison pour des broutilles !
Le Quotidien