Après la brutale mise au ban du Qatar par l’Arabie saoudite, les réactions sur le continent vont du soutien à Riyad à la neutralité gênée, relaye Jeune Afrique dans un dossier étoffé exploité par Senego.
La Mauritanie et les Comores qui emboîtent le pas à l’Arabie saoudite, aux Émirats et à leurs alliés, en rompant leurs relations diplomatiques avec le Qatar ; le Sénégal et le Tchad qui rappellent « pour consultation » leurs ambassadeurs à Doha ; le Gabon qui publie un communiqué virulent contre le Qatar ; la Tunisie et le Maroc, terriblement embarrassés, qui ne pipent mot : l’onde de choc de la crise qui secoue les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG) a atteint l’Afrique de plein fouet. Exception faite de la Libye, théâtre d’une guerre par procuration entre le Qatar et les Émirats, les pays africains sont en réalité assez peu concernés par cette querelle d’émirs qui a pour toile de fond la rivalité atavique entre les familles Al Saoud, Al Nahyane et Al Thani et l’attitude à adopter face aux Frères musulmans et à l’Iran.
Mais la volonté des Saoudiens et des Émiratis de punir et d’isoler le Qatar, le virage belliqueux pris par les diplomaties de ces deux États, qui s’est renforcé depuis l’avènement du roi Salmane et l’élection de Donald Trump, en 2016, les leviers de pression économiques et politiques dont ils disposent expliquent le dilemme auquel sont aujourd’hui confrontés les partenaires traditionnels de Riyad et d’Abou Dhabi sur le continent. Comment ne pas s’attirer les foudres saoudiennes sans fâcher ou froisser le Qatar, devenu, au fil des années, un partenaire économique important, voire essentiel ? Les réactions, forcément en ordre dispersé, vont du soutien à Riyad à la neutralité gênée. Revue de détail, par région et par pays.
Le Maghreb écartelé
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La Tunisie, proche du Qatar
L’embarras est le plus palpable en Tunisie, où les dirigeants sont écartelés entre des partenaires du Golfe tous indispensables et qu’ils souhaitent tous ménager. La Tunisie n’a pas réagi officiellement mais ne souhaite surtout pas rompre avec Doha. Alors que l’élection de Béji Caïd Essebsi (BCE), en décembre 2014, laissait présager une lune de miel avec les Émiratis, les relations entre Tunis et Abou Dhabi sont allées de mal en pis, et les ressortissants tunisiens ont même un temps été interdits de voyage aux Émirats. Sous l’impulsion de BCE, la Tunisie, qui espérait des contreparties sonnantes et trébuchantes, s’est placée dans l’orbite de Riyad.
Ce flirt très poussé s’est traduit par un soutien (verbal) à l’action, pourtant illégale, de la coalition arabe au Yémen et par le vote de résolutions émanant du conseil des ministres arabes de l’Intérieur et des Affaires étrangères, condamnant les agissements de l’Iran et du Hezbollah, et qualifiant ce dernier d’organisation terroriste. L’affaire avait provoqué un vif émoi dans l’opinion, qui voit dans le mouvement chiite libanais le fer de lance de la résistance à Israël. Tunis, cependant, n’a jamais envisagé une rupture avec Téhéran. La relation avec le Qatar est devenue un enjeu de politique intérieure après la révolution.
La proximité affichée entre l’ancien émir, Cheikh Hamad, son épouse, Cheikha Moza, et Moncef Marzouki, le prédécesseur de BCE, aurait pu laisser craindre une prise de distance marquée. Mais les autorités tunisiennes, pragmatiques, ont opté pour le reset (remise des compteurs à zéro). Les Qataris ont fait des gestes, en investissant, notamment dans le secteur hôtelier (plus de 400 millions de dollars, soit près de 356 millions d’euros), en multipliant les dons et en acceptant de différer le remboursement d’un prêt de 500 millions de dollars contracté en 2012 et qui arrivait à échéance en 2017. Le Qatar a parrainé, avec la France, la conférence Tunisie 2020 sur l’investissement, et l’émir, Cheikh Tamim, est venu à Tunis pour l’occasion.
Les islamistes d’Ennahdha, qui se savent dans le collimateur d’Abou Dhabi, sont également partisans d’une ligne d’apaisement et de désescalade. Ils ont dit, le 7 juin, leur vive préoccupation et ont encouragé les efforts de médiation du Koweït. Très soutenus par le Qatar du temps de la troïka (décembre 2011-janvier 2014), ils avaient réussi à se rabibocher avec Riyad après l’avènement de Salmane. En septembre 2016, le monarque avait même invité personnellement Rached Ghannouchi au hajj (le pèlerinage)…
- Le non-alignement algérien
Fidèle à sa doctrine de non-alignement, l’Algérie observe une neutralité sourcilleuse. Alger, traditionnellement, se tient à équidistance des différents adversaires dans les conflits et contentieux opposant les pays arabes-musulmans. En novembre 2011, l’Algérie avait été l’un des rares États de la Ligue arabe à voter contre l’exclusion de la Syrie, au grand dam, à l’époque, de Doha et de Riyad… Elle a refusé d’intervenir au Yémen et prône inlassablement le dialogue.
Du Sahel à l’océan Indien : des réactions en ordre dispersé
Les pays du Sahel, comme le Mali et le Niger, ont observé une prudence confinant au mutisme. Ils sont pourtant confrontés, depuis le début de la décennie, à la menace d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), ainsi qu’à celle de la katiba de Mokhtar Belmokhtar. Or des informations convergentes émanant de services de renseignements occidentaux suggèrent l’implication de parties qataries dans le soutien, financier et matériel, à ces mouvements. Les présidents Ibrahim Boubacar Keïta et Mahamadou Issoufou avaient participé au sommet arabo-islamo-américain de Riyad les 20 et 21 mai dernier.
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Le Sénégal soutient l’Arabie Saoudite
Leur réserve contraste avec l’attitude du Sénégal de Macky Sall (présent lui aussi à cette rencontre), qui s’est fendu d’un communiqué pour dire « sa vive préoccupation face à la situation en cours dans la région du Golfe » et pour exprimer « sa solidarité agissante à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, à Bahreïn et à l’Égypte ». Dakar a rappelé pour consultation son ambassadeur à Doha. Cette prise de position, qui n’a pas provoqué de grands débats, le pays étant accaparé par la campagne pour les législatives du 30 juillet, a cependant déconcerté les observateurs.
Certes, le Sénégal a apporté son soutien à l’action de la coalition arabe au Yémen et déployé 2 000 soldats en Arabie saoudite pour protéger les installations pétrolières, et les relations avec Riyad sont au beau fixe. Mais le pays s’était, dans le même temps, beaucoup rapproché du Qatar. Cheikh Tamim n’avait pas hésité à mettre la main à la poche, en 2015, pour aider à boucler le financement du sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) de Dakar. Il avait aussi joué de ses bons offices dans l’affaire Karim Wade et avait accueilli à Doha l’ex-pensionnaire de la prison de Rebeuss.