Le président Emmanuel Macron se rend vendredi à Gao, dans le nord du Mali, auprès des troupes françaises de l’opération Barkhane. Quatre ans après le début de l’intervention, le niveau d’insécurité est « sans précédent » dans le pays, selon la FIDH.
Pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle, Emmanuel Macron avait promis de se rendre rapidement, s’il était élu, auprès des troupes françaises engagées dans une opération extérieure. Moins d’une semaine après la passation de pouvoir, le nouveau chef des armées se rend vendredi 19 mai à Gao, dans le nord du Mali. Une zone dans laquelle son prédécesseur, François Hollande, a engagé l’armée française en 2013 dans le but d’en chasser les jihadistes qui y prospéraient.
Emmanuel Macron, qui s’est dit favorable pendant la campagne à la poursuite de l’intervention française au Sahel, hérite d’une opération militaire – Barkhane, autrefois Serval – qui s’est étendue en août 2014 à quatre autres pays (Burkina Faso, Mauritanie, Niger et Tchad). Cette opération mobilise 3 500 soldats français, épaulés par les casques bleus de la mission des Nations unies au Mali (la Minusma), ainsi que l’armée malienne.
i l’opération a connu des succès incontestables à ses débuts – notamment avec la libération de Tombouctou et Gao occupées durant un an -, la stratégie antiterroriste menée dans cette vaste zone désertique est aujourd’hui largement remise en question. Dans un rapport intitulé « Mali : terrorisme et impunité font chanceler un accord de paix fragile », la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) fait le constat d’un niveau d’insécurité « sans précédent » dans le pays, quatre ans après le début de l’opération militaire et deux ans après la signature d’un Accord pour la paix et la réconciliation qui « peine à produire ses effets ».
« Après avoir opéré un retrait stratégique après la reprise du Nord par les forces maliennes et françaises en 2013, les groupes armés terroristes ont réinvesti le terrain et exercent leur influence sur de larges portions du territoire », constate l’ONG. Signe de cette influence grandissante, le centre du pays, longtemps épargné par la menace jihadiste, est aujourd’hui l’épicentre du conflit. Épargnés aussi, le nord du Burkina Faso et la zone frontalière du Niger sont devenus des zones d’action pour ces groupes.
« Le jihad ne prospère pas au hasard »
Cette stratégie terroriste d’expansion et de déstabilisation régionale s’est matérialisée en mars 2017 par l’alliance des principaux mouvements terroristes au sein du groupe Nusrat al-Islam wal-Muslimin (« Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans ») sous l’égide de Iyad Ag Ghaly, leader du mouvement terroriste Ansar Dine. « Ce développement (…) démontre que ces groupes persistent, se recomposent, et parviennent à mettre en place des mécanismes de coordination, en dépit de la lutte antiterroriste engagée depuis plusieurs années », analyse la FIDH.
L’ONG dénonce la multiplication d’actes terroristes « de plus en plus sophistiqués » (385 attaques qui ont coûté la vie à au moins 332 personnes dont 207 civils dans le nord et le centre du pays en 2016, majoritairement imputés aux groupes terroristes, selon la FIDH), la recrudescence des assassinats ciblés, la reprise des hostilités entre groupes armés, la multiplication des conflits intercommunautaires violents, des actes de banditisme armé et des violences sexuelles.
Des exactions dont elle souligne qu’elles s’accompagnent de violations des droits humains commises par les forces maliennes (Fama) dans le cadre de la lutte antiterroriste. La FIDH tire la sonnette d’alarme et exhorte l’État malien « à prendre toutes (ses) responsabilités (…), enquêter et poursuivre les auteurs de telles violations graves ». L’ONG relaie le témoignage glaçant d’une victime battue « durant des heures » par des militaires maliens : « Il ont également fait couler du plastique qu’il ont brûlé sur mon dos. Ils me demandaient si j’étais jihadiste, si je connaissais des jihadistes, et je leur répondais inlassablement que non, je cherchais uniquement mon pain quotidien pour ma famille, mais ils n’entendaient rien. » Outre l’extrême brutalité de certains de ces militaires, ces agissements apparaissent contre-productifs puisqu’ils ciblent des populations dont la coopération pourrait être cruciale pour lutter contre les mouvements terroristes.
L’État malien s’est par ailleurs désengagé de vastes zones où les écoles et les centres de soins ont été fermés et la liberté de circulation des populations civils est limitée avec pour conséquence de mettre en péril leurs activités professionnelles. Une absence de l’État comblée par les terroristes.
« Le jihad ne prospère pas au hasard, contrairement au portrait paresseux qu’en fait François Hollande. Il émerge dans les espaces où aucune forme de gouvernement légitime ne prévaut. Ces espaces abondent au Mali, dont les autorités ont fait de l’instrumentalisation de milices communautaires un mode privilégié de gouvernance du nord du pays depuis de nombreuses années », analyse Yvan Guichaoua, maître de conférence sur les conflits internationaux à l’université du Kent. « La viabilité de Barkhane dans la durée est d’autant plus précaire que la refondation par les autorités maliennes d’une légitimité politique est en cale sèche », ajoute ce spécialiste dans une longue tribune publiée sur le site The Conversation au titre sans détour : « L’horizon compromis de la force Barkhane au Mali ».
« Requalifier la crise malienne selon ses paramètres maliens »
Une analyse partagée par Corinne Dufka, la directrice adjointe pour le programme Afrique de Human Rights Watch : « Le président Macron devrait exhorter le président du Mali à s’attaquer frontalement aux problèmes qui ont mené à des décennies d’instabilité et ouvert la porte à des groupes armés abusifs, notamment une gouvernance faible, une corruption endémique et les abus commis par les forces de l’ordre. Les opérations militaires seules ne suffiront pas à tirer le Sahel de ce bourbier. Le renforcement des institutions représentatives de l’État de droit au Mali est une tâche ardue, mais aucune stratégie de lutte contre le terrorisme ne saurait réussir sans cela. »
« Requalifier la crise malienne selon ses paramètres maliens permet de mieux cerner les impasses du contre-terrorisme musclé qui, s’il peut remporter des succès militaires ponctuels, ne saurait faire émerger des solutions durables à la crise », estime Yvan Guichaoua qui décrit la vision, biaisée selon lui, « en noir et blanc », de la politique antiterroriste menée par François Hollande au Sahel. Selon le chercheur, en abordant cette crise sous la forme d’une lutte contre « une menace globale et coordonnée », ce dernier a fait fausse route. « Explorer l’option du dialogue (avec les groupes armés) ne garantit en rien son succès, estime le spécialiste. Mais l’alternative de la poursuite de la lutte antiterroriste sous sa forme actuelle n’est pas plus encourageante, du fait de son indifférence aux complexes fractures maliennes. »
afriquemidi