Dans son livre consacré à la gestion des ressources naturelles du Sénégal (pétrole, gaz, zircon), Ousmane Sonko revient sur les manquements liés au contrat de Petro-Tim. Après un premier jet, Dakarmatin vous propose un second du brûlot de l’ancien inspecteur des Impôts et domaines, auteur de « Pétrole et gaz au Sénégal : chronique d’une spoliation ».
LES MANQUEMENTS DANS L’AFFAIRE PETRO-TIM
Les éclairages ci-dessus permettent de ressortir les entorses qui jalonnent le dossier PETRO-TIM, de la signature du CRPP à la cession des intérêts de participation.
– VIOLATION DU CODE PETROLIER
Dans la phase d’attribution des blocs de Cayar et Saint Louis Offshore :
Le cadre juridique établi par le Code pétrolier fixe les exigences, notamment techniques, financières et technologiques, pour l’octroi de blocs pétroliers sous l’une des formes prévue.
Sous ce rapport, maître Ibrahima Diawara, avocat sénégalais, a eu parfaitement raison de dire que : «l’affaire PETRO-TIM n’est pas une question de publication des contrats pétroliers conclus par le Sénégal, mais de respect ou non des conditions d’octroi des permis de recherche d’hydrocarbures concernant les puits Saint Louis Offshore Profond et Cayar Offshore Profond à PETRO-TIM Limited, leur transmission à TIMIS-Corporation et enfin à KOSMOS Energy »
En signant, le 17 janvier 2012, le contrat par lequel l’Etat du Sénégal lui octroi des droits de recherche d’hydrocarbures, PETRO-TIM s’engageait à affecter à ces opérations tous moyens techniques, technologiques, financiers, tous équipements et matériels ainsi que tout le personnel nécessaire à leur réalisation.
Concrètement, au plan des obligations générales (identiques pour tous les contrats), le CRPP entre l’Etat du Sénégal et PETRO-TIM stipulait entre autres que :
Le contractant devra effectuer les travaux nécessaires à la réalisation des opérations pétrolières selon les règles de l’art en usage dans l’industrie pétrolière internationale (protection de l’environnement, bon fonctionnement et entretien des installations…).
Le contractant devra ouvrir un bureau au Sénégal dans les trois mois suivant la date d’effet. Le cocontractant devra soumettre dans les 30 jours suivant la date d’effet l’accord d’association entre les contractants. Pour les obligations spécifiques, celles qui concernent les capacités financières portent en particulier sur les derniers bilans financiers de la compagnie pétrolière ou de la société mère et les garanties bancaires ou de société mère dont la compagnie pétrolière dispose. En ce qui concerne les capacités techniques, il s’agit de descriptif des projets similaires dans lesquels la compagnie pétrolière a été impliquée et des curriculum vitae des dirigeants, cadres et personnel qui seront en charge du projet.
Dans le cas d’espèce, PETRO-TIM s’était engagée :
Durant la période initiale de recherche, à acquérir au moins 2000 kilomètres carrés de sismique 3D pour un investissement minimum de huit (8) millions de Dollars ;
Durant la première période de renouvellement, à réaliser au moins un (1) forage d’exploration pour un investissement minimum de vingt (20 000 000) millions de dollars ;
Durant la seconde période de renouvellement, à réaliser au moins un (1) forage d’exploration pour un investissement minimum de vingt (20 000 000) millions de dollars ;
Les forages devront être réalisés jusqu’à une profondeur minimale de 3 500 mètre à partir de la surface de la mer.
Au total, en plus des clauses techniques, PETRO-TIM s’était engagée à un investissement financier de 96 millions de Dollars, soit 48 milliards de francs CFA. Cependant, il était manifeste avant la signature des deux décrets que la société PETRO-TIM, contrairement à ses engagements contractuels, n’avait pas les capacités ni techniques, ni financières pour mener à bien les opérations de recherche.
La raison est très simple, cette société n’existait pas au moment des négociations et de la signature du contrat. Elle ne pouvait en conséquence disposer des références ni techniques ni financières. En effet, la société censée s’être engagée avec l’Etat du Sénégal a été créée le 19 janvier 2012 dans les Iles Cayman sous le numéro 265741 avec un capital de 50 000 US$ (25 000 000 FCFA), soit deux jours après la signature. Comment a-t-on pu vérifier que PETRO-TIM à la date de signature possédait les capacités exigées par la loi?
Il est flagrant que les autorités signataires du CRPP, établi à la veille du premier tour de l’élection présidentielle de 2012, ont délibérément bafoué les dispositions du Code pétrolier en contractant avec une société qui n’existait pas au moment de l’acte et dont on ne pouvait, en conséquence, juger des capacités techniques et financières.
Le contrat est donc illégal car violant les dispositions de l’article 8 de la Loi 98-05 du 8 janvier 1998 portant Code Pétrolier aux termes desquelles : « Nul ne peut être titulaire d’un titre minier d’hydrocarbures ou d’un contrat de services s’il ne justifie des capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien les opérations pétrolières».
Malgré ces exigences légales, voilà ce qui été dit : « PetroAsia Resources Limited est un Groupe de Société contrôlé par des investisseurs basés en Asie. PetroAsia est dotée d’une expérience avérée et réussi dans le secteur de l’Energie et notamment dans l’Exploration-Production des Hydrocarbures ». Ces notes laconiques, inscrites par le ministre de l’Energie et des Mines dans ses rapports de présentation des décrets en guise de références des capacités techniques et financières du Contractant, en disent très long sur la supercherie.
A titre de comparaison, voilà comment ce même ministre Aly Ngouille Ndiaye, présente la Compagnie Rex Atlantic Ltd., attributaire du bloc de Djiffere :
« Rex Atlantic Ltd est une filiale à 100% de REX OIL& GAS… . Rex Oil & Gas Ltd détient des permis de recherche pétrolière au Moyen Orient (Oman et Emirats Arabes Unis), en Guinée Bissau, au large de Monaco, en Suède et en Norvège.
Les fondateurs de Rex Oil & Gas sont les pionniers de l’utilisation des données altimétriques de satellites pour détecter les réservoirs potentiels d’hydrocarbures au début des années 1980. Cette technologie a permis des découvertes majeures d’hydrocarbures à ‘origine des champs de « Haltenbanken » en Norvège et « Bukha » en Oman. ».
De même pour A-Z Petroleum dans le rapport de présentation du décret d’approbation du CRPP pour le bloc de Diourbel : « A-Z Petroleum Products Ltd. Est une société de droit nigérian créée en décembre 1994. Il s’agit d’une filiale du groupe CHICASON spécialisé dans le stockage et la distribution de produits pétroliers et gaziers.
A-Z Petroleum s’est engagée depuis 1995 dans la recherche, le développement, la production et la commercialisation de produits pétroliers et pétrochimiques. La compagnie détient actuellement trois permis de recherche au Kenya et au Burundi. Elle est en négociation pour d’autres permis au Ghana, en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone et en Guinée Conakry. ».
Face à ces références techniques, technologiques et même géographique, celles avancées pour justifier l’attribution des deux blocs les plus prometteurs à PETRO-TIM apparaissent comme du pipeau.
Comment expliquer alors ces décrets d’approbation pour un contrat qui contenait dès l’origine des irrégularités et violations flagrantes de la loi. La société PETRO-TIM Limited dont la dénomination et les références ont servi à signer les contrats du 17 janvier 2012 est – elle la même que celle qui a été créée le 19 janvier 2012 aux iles Cayman?
Toujours est-il que, pour bien camoufler cette première forfaiture et parachever le montage délictuel, il était nécessaire de « réfugier » PETRO-TIM derrière une société mère pouvant être présentée comme bénéficiant de l’expérience requise. C’est donc PetroAsia Resources Ltd qui a été trouvée et présentée comme telle.
Or PetroAsia Resources Ltd, est elle-même une société créée à Hong Kong le 6 mars 2012, donc 45 jours après la signature des CRPP et 43 jours après la création de sa filiale PETRO-TIM, sous le numéro 1713823, avec un capital de 10 000 US$ (5 000 000 FCFA). Elle a pour unique actionnaire, à l’exception d’une action premium, Mr Wong Joon Kwang détenteur d’un passeport Singapourien.
Pire, PetroAsia Ressources, présentée par Aly Ngouille Ndiaye comme une société « dotée d’une expérience avérée et réussie dans le secteur de l’Energie et notamment dans l’Exploration-Production des Hydrocarbures (…) a d’ailleurs été dissoute le 15 septembre 2016 ; personne ne peut donc s’empêcher de penser qu’elle a été créée pour la circonstance comme un véhicule.
Au vu de ce qui précède, il faut s’interroger sur les motivations et la justification du Président Macky Sall à signer les décrets d’approbation sur la base d’un contrat entaché et douteux, d’autant que son gouvernement avait bel et bien reçu un courrier en contestation de la société TULLOW Sénégal Limited, en date du 02 mai 2012, adressée à l’incontournable Aly Ngouille Ndiaye, ministre de l’Energie et des Mines.
Dans cette correspondance, TULLOW Sénégal Ltd, qui détient des références solides en la matière, particulièrement au Ghana, en Mauritanie et en Guyane française, marquait son étonnement et sa surprise d’apprendre « qu’une compagnie coréenne dénommée PETRO-TIM Ltd aurait signé avec Mr Karim Wade et Mr Mbodj (DG de Petrosen alors) depuis le 07 janvier 2012» alors que depuis trois ans, qui s’étalent avant et après cette date, ces mêmes autorités avaient continué de négocier avec elle.
Il s’agit d’un manque d’élégance totale car un Etat non fiable se discrédite aux yeux de ses partenaires. Laissé à lui-même et livré à ses propres incohérences, il risquerait de ne plus forcer le respect sur la scène internationale. En effet, en droit international, il est fortement établi que dès lors qu’un Etat accepte d’entamer des négociations, ses interlocuteurs sont considérés, de fait, comme ses partenaires. C’est en vertu de ce principe d’ailleurs que les Etats, à l’image des Etats Unis d’Amérique, refusent toute forme de négociation avec des terroristes.
Plus grave, TULLOW, dans sa correspondance, soulève même des cas de corruption en révélant que « ces négociations se sont heurtées à beaucoup de difficultés liées à des malversations proposées».
On y apprend encore que le DG de Petrosen, à la date du 19 janvier, réclamait à TULLOW Sénégal Ltd la somme de 1,5 millions de Dollars en guise de bonus de signature par bloc. Cependant que, deux jours auparavant, le Président Macky Sall avait déjà signé les fameux décrets au profit de PETRO-TIM, sans qu’un centime ne leur ait été réclamé à titre de bonus d’entrée. Qu’est ce qui pouvait justifier alors cette manœuvre du DG de Petrosen ?
Avec Dakarmatin