Événement religieux de très grande envergure initié en 1942 dans la bourgade de Médina Gounass, par Thierno Mouhamadou Seydou Bâ après que des fidèles lui en ont fait la suggestion, le « Daaka » a connu cette année un drame sans précédent, une tragédie. Mercredi 12 avril correspondant au cinquième jour de cette retraite spirituelle qui dure dix jours et à laquelle prennent part des centaines de milliers de pèlerins venus des quatre coins du globe, un incendie d’une rare violence s’est déclaré un peu après 15 heures. Et en quelques heures, il occasionna aussi bien des pertes en vie humaine que des dégâts matériels incommensurables. Le Sénégal est plongé dans l’émoi quand un premier bilan de 10 morts est annoncé par la presse. Recevant au palais son homologue du Portugal Marcelo Nuno Duarte Rebelo De Souzà, le président de la République a saisi l’occasion pour présenter ses condoléances aux familles éplorées. Le deuil prend effet dès ce jour.
Á plus de cinq cent cinquante (550) km dans le sud-est du Sénégal, dans la région de Kolda, c’est le branle-bas de combat pour évacuer les blessés. Á cet effet, le centre régional hospitalier de Tambacounda est presque réquisitionné pour accueillir au moins 31 brûlés dont un décédera à son arrivée à la structure sanitaire. Les autres se battent pour arriver à bout des brûlures qui se sont presque emparé de la totalité de leurs corps. Pendant ce temps, les autorités étatiques dont la responsabilité est déjà engagée, optent pour la censure.
Au même moment, d’autres se battent pour leur survie. Trouvé dans un piteux état aux soins intensifs, un fidèle venu de Sinthiou Bocar, une localité du département de Goudiry en fait partie. Aux brûlures qui assaillent une bonne partie de son corps, il doit en plus supporter la perte de l’usage de ses yeux. Du moins pour le moment. Ce qui ne l’empêche pas tout de même de communiquer avec ses proches.
Invité par nos soins à revenir sur les évènements qui lui ont valu d’être dans cet état pitoyable, il se lève non sans l’aide des siens et raconte son calvaire : « J’étais à la mosquée au moment des faits. C’est lorsque je m’empressais à récupérer mes affaires que le toit de la hutte m’est tombé dessus. L’écharpe que j’avais mise a causé les brûlures que vous voyez autour de mon cou. Tous nos vivres sont restés dans l’incendie ».
Sa femme n’en est pas moins affectée, mais garde la foi. Le sort de son époux, un homme qui a toujours tenu à ce que sa famille ne manque de rien, est d’autant plus incertain qu’il doit être évacué à Dakar. La prière reste sa seule arme. « A première vue, j’ai invoqué Dieu. C’est lui qui s’occupait de tout, s’il lui arrive quoi que ce soit, nous le ressentons forcément. Mais nous nous en remettons au Seigneur », se résigne la femme du brûlé.
Quant à Djobo Baldé, vendeur de matelas de son état, il peut remercier le ciel de l’avoir secouru. Sans quoi, il se n’en serait pas sorti avec de petites brûlures. Restent celles de l’intérieur.
Au Daaka, les stigmates du passage des flammes ne sont pas que visibles. Ils sont réels. Tous ou presque déplorent avoir perdu une portion d’eux dans cet incendie. Si ce n’est pas un commerçant dont toute la marchandise a été dévastée en un rien de temps, c’est un propriétaire de véhicule qui a assisté impuissant à l’incinération de son bien précieux. « L’incendie s’est déclaré après la prière de Tisbar, alors que tous les pèlerins étaient absents de leurs tentes. Tout d’un coup, nous avons aperçu une fumée s’élever au ciel, nous avons paniqué et avons pensé à sauver nos biens mais c’était trop tard. La vitesse de la propagation des flammes ne nous a laissé aucune chance. Nous n’avons pu sauver que quelques-unes de nos affaires », se remémore Thierno Tafsir Dieng. Mis devant le fait accompli, il s’en remet à son créateur, mais ne dirait pas non à une indemnisation de l’Etat. Il le demande implicitement en ces termes : « Certes c’est la volonté divine, mais il n’empêche nous sommes dans un état régi par des lois. En cas de catastrophe, il y a certainement quelque chose qui est prévu pour les victimes et je fais partie de celles du Daaka.
Une autre victime, elle, n’attend rien de l’Etat. Il prend son destin en main et tente de bazarder la carcasse de son véhicule. Surpris en train de marchander avec un homme qui s’intéresse à l’épave, il ne se fait pas prier pour dire à qui veut l’entendre qu’il n’a pas le choix. Ils sont légion ceux qui, comme lui, croient dur comme fer que toutes les mesures n’ont pas été prises pour circonscrire le feu à temps. « Il n’y avait qu’un seul camion-citerne et malheureusement, il ne contenait pas d’eau. Les gens ont cru qu’ils pouvaient compter sur les sapeurs-pompiers pour les aider à circonscrire le feu. Hélas… », charge Thierno Tafsir Dieng, apparemment très peiné par la consumation de son véhicule.
Mais d’où sont parties les flammes responsables de ce malheur collectif ? Nous nous sommes posés la question et avoir une réponse n’est point chose aisée. Personne ne veut endosser la lourde responsabilité d’avoir causé ce brasier. Le « Daaka » indiqué comme le foyer des feux refuse cette paternité.
Quoi qu’il en soit, le mal est déjà fait. Après la résilience, s’imposent désormais des mesures drastiques pour que pareille catastrophe ne se reproduise. Le Khalife de Médina Gounass, Thierno Ahmed Tidiane Bâ en est conscient et semble être dans une dynamique de faire bouger les lignes. Reste à l’Etat de respecter les engagements pris par le président à l’occasion de la cérémonie officielle. En effet, Macky Sall a préconisé des mesures allant dans le sens d’organiser le Daaka dans des conditions plus humaines. Il a ajouté que les travaux commenceront dès la fin de la présente édition. Le président Sall dit en avoir discuté avec le Khalife qui a donné son accord.
D’ici là, le Daaka continue de compter ses morts. 29 selon un dernier décompte donné par le ministre de la Santé. Pour leur part, les familles des victimes peuvent se contenter de la compassion de toute la nation sénégalaise. Trois jours de deuil ont été décrétés par le chef de l’Etat.