Dans cet entretien exclusif avec , le directeur de la Pharmacie et du Médicament, Pr Amadou Moctar Dièye, rassure : la rupture du Sintrom ne met pas en danger la vie des malades du cœur à qui le médicament est prescrit. Explications.
Le Sintrom, un anticoagulant prescrit pour beaucoup de malades du cœur, est introuvable dans les pharmacies. À quand remonte cette rupture ?
Les responsables de pharmacie que nous avons contactés hier (avant-hier, samedi 18 mars), disent qu’ils sont en rupture depuis trois jours.
Quelles sont les causes de cette rupture ?
Pour le moment, on ne les maîtrise pas. Dans notre système, ce sont les grossistes privés qui font les commandes de ces produits. Ils ont passé les commandes, et nous avons vu les documents. Ils ont des stocks de sécurité qui peuvent couvrir jusqu’à trois mois. À des dates déterminées, ils procèdent au renouvellement du stock. Il s’est trouvé que les dernières commandes qui ont été faites n’ont pas été honorées.
Pour quelles raisons ?
Ceux qui fournissent ces médicaments sont à l’étranger, principalement en France. Parmi eux, il y a les «regroupeurs» qui ne fabriquent pas eux-mêmes les médicaments. Ils prennent les produits des différents laboratoires et les ventilent un peu partout. L’un de ces «regroupeurs» a dit à nos grossistes- j’ai vu la réponse parce que je les ai interpellés- qu’il ne peut pas honorer les commandes pour le Sintrom parce qu’il a arrêté la distribution de ce produit. Sans autre explication.
Avez-vous cherché à en savoir plus ?
J’ai échangé avec les grossistes pour leur dire qu’il nous faut des informations plus précises, plus claires. Jusqu’à présent on n’a pas plus d’explications. Mais nous savons que le laboratoire qui fabrique ce produit (Novartis, Ndlr) a vendu la licence à un autre laboratoire. On ne sait pas maintenant si cette transaction est à la base de cette situation ou pas. Nous avons appris aussi- c’est au conditionnel- qu’il y aurait un projet de révision du canal de distribution des médicaments. Cette révision serait-elle à l’origine de la rupture ? Nous n’avons pas encore une réponse crédible. J’ai interpellé les responsables de Novartis, j’attends leur réponse.
Pendant ce temps, les personnes sous Sintrom craignent pour leur vie.
Il faut savoir qu’il y a au moins une alternative. C’est le Préviscan, un Anti-Vitamine K comme le Sintrom. Ils ont les mêmes indications, les mêmes effets indésirables. Ce produit est aujourd’hui disponible au Sénégal dans les pharmacies qui en ont fait la commande. Donc, il n’y a pas de risque de décès parce que le Sintrom est indisponible au Sénégal. Ça, je dois le préciser. Les cardiologues et les autres prescripteurs de ce médicament savent bien comment passer du Sintrom au Préviscan. Je dois préciser aussi que dans les pays développés les gens préfèrent le Préviscan. Ça demande une adaptation, mais les médecins savent le faire.
Existe-il d’autres alternatives disponibles sur le marché en dehors du Préviscan ?
Il y a les Anti-vitamine K injectables. C’est ce qu’on utilise souvent en premier lieu. Mais faire des injections tout le temps, c’est difficile. Donc, on fait des relais avec les Anti-vitamine K oraux comme le Sintrom le Préviscan, la Coumadine, etc. Il y en a d’autres, mais les plus utilisés sont le Préviscan et le Sintrom.
Le Sintrom coûte environ 1500 francs CFA la boîte. Les alternatives que vous citez coûtent-elles plus ou moins ?
(Il consulte un volumineux registre posé sur son bureau) Le Sintrom coûte environ 1500 francs CFA, le Préviscan coûte 2478 francs CFA. Mais ce qui est important pour un médicament, c’est moins le coût de la boîte que le coût du traitement. Tout dépend de la posologie. Et dans tous les cas, les prix de ces médicaments ne sont pas élevés. Un mois de traitement, c’est entre 1500 et 2500 francs CFA.
Pour éviter des ruptures de médicaments sans préavis, surtout pour les produits d’urgence, ne faudrait-il pas intégrer des clauses pertinentes dans les accords avec les fournisseurs ?
C’est important qu’il y ait des clauses, mais c’est très difficile. Notre poids économique ne nous permet pas de peser dans les négociations avec les fournisseurs. Ces derniers réalisent dans d’autres pays des chiffres d’affaires beaucoup plus importants que chez nous. Heureusement qu’il y a des alternatives. C’est pourquoi je répète que ceux qui sont sous Sintrom ne courent aucun risque, des alternatives existent au niveau des pharmacies qui ont fait la commande des produits en question. Maintenant, je dois attirer l’attention des patients, des pharmaciens, des prescripteurs, contre une rupture artificielle des alternatives au Sintrom. Si certaines personnes veulent constituer leur propre stock de Préviscan, par exemple, il risque d’y avoir un déséquilibre. Que les gens se limitent à une boîte, le temps que le marché soit réapprovisionné en Sintrom et pour les autres Anti-vitamine K.
Ça va prendre combien de temps ?
Le Sénégal est en train de tout faire, au niveau des grossistes, au niveau de certaines pharmacies et au niveau de la Pna (pharmacie nationale d’approvisionnement, Ndlr) pour que le produit soit disponible le plus rapidement possible, et en grande quantité. On met les bouchées doubles aussi bien pour le Sintrom que pour le Préviscan.