Après 29 années à la tête de la Confédération africaine de football, Issa Hayatou a été écarté par Ahmad, vainqueur le 16 mars 2017 à Addis-Abeba. Une victoire surprenante du Malgache qui s’explique, outre un besoin de changement, par les erreurs et les errements du Camerounais. Ce dernier, grand dirigeant et fin politique, s’était toutefois enfermé dans sa tour d’ivoire. Explications.
Il n’a pas fait campagne
Durant le 60e anniversaire de la Confédération africaine de football (CAF) et durant les semaines précédentes, Issa Hayatou n’a pas fait campagne directement, déléguant cela à quelques fidèles. Comme si cette attitude n’était pas digne d’un président en fonction depuis 1988. Le Camerounais n’était de toutes les façons pas trop habitué à ce type de situation. Deux autres adversaires seulement ont pu se présenter contre lui en 29 années : l’Angolais Armando Machado en 2000 et le Botswanais Ismaïl Bhamjee en 2004.
Il a sous-estimé Ahmad
Ahmad, lui, ne s’est pas privé de faire du lobbying jusqu’à la dernière minute, enchaînant réunions, rendez-vous, promesses. Le nouveau président de la CAF a voyagé dans plusieurs pays d’Afrique durant deux mois. Issa Hayatou n’a pas jugé utile d’en faire autant. Un de ses proches estimait en effet avant l’élection que le Malgache ne faisait clairement pas le poids, contrairement au président de la Fédération algérienne ou celui de la Fédération de RDC, par exemple. « Face à un Mohamed Raouraoua ou à un Constant Omari, il y aurait eu match. »
Il n’a pas vu les signes précurseurs
Lors des Assemblées générales en 2016, certains amendements allant à l’encontre des décisions d’Issa Hayatou ont recueilli un nombre significatif de votes, ce qui était encore inimaginable en 2015. C’est d’ailleurs ce qui a décidé Ahmad à se présenter. Le Malgache a senti le vent tourner ; pas l’omnipotent patron du foot africain.
Il n’avait pas de programme
Comme en 2013, Issa Hayatou n’avait pas présenté de programme. Il souhaitait continuer à améliorer ce qui se faisait déjà, sans réelle remise en cause de son bilan.
Il a été éloigné de la CAF durant plusieurs mois
Les scandales à répétition à la Fédération internationale de football (FIFA) ont eu raison de son président Joseph Blatter, en 2015. Issa Hayatou, en sa qualité de vice-président le plus âgé de la FIFA, a alors été propulsé patron par intérim. Durant plusieurs mois, même s’il a conservé ses fonctions à la CAF, il a ainsi dû s’en éloigner. Eloignement renforcé par une greffe de rein fin 2015.
Il était trop âgé pour beaucoup de présidents
Après sa défaite, Issa Hayatou a rappelé avec véhémence qu’il n’avait « que » 70 ans alors que Sepp Blatter était beaucoup plus âgé lorsqu’il avait été réélu à la FIFA. Le problème n’était toutefois pas son âge mais le fait que des ennuis de santé (problèmes de rein, grave blessure à une jambe) l’ont affaibli prématurément. Il se trouvait en outre en décalage avec toute une nouvelle génération de présidents de fédération quadragénaires et quinquagénaires.
Il avait déjà fait un mandat de trop
Si Issa Hayatou avait arrêté après six mandats, son bilan aurait été jugé excellent. Or, le Camerounais avait déjà effectué un mandat de trop, de 2013 à 2017. Il avait été réélu par acclamation en 2013, sans adversaire, suite à une modification des statuts de la CAF. La seule mesure phare de son septième mandat – obtenir une sixième place pour l’Afrique en Coupe du monde – a échoué. Pour le reste, le patron du foot africain n’avait aucune autre grande réforme à proposer, alors qu’il avait impulsé d’immenses changements durant les années 1990 et 2000.
Il avait suscité beaucoup de rancœurs
Les cinq dernières années de son pouvoir ont d’ailleurs suscité beaucoup de rancœurs et de tensions, notamment dans l’attribution des Coupes d’Afrique des nations. Du bras de fer avec le Maroc concernant l’édition 2015 à l’attribution imprévue de l’édition 2023 à la Guinée, Issa Hayatou a rarement joué les cartes de l’apaisement et de la démocratie.
Il favorisait trop les francophones et les pays d’Afrique centrale et de l’Ouest
Beaucoup de pays anglophones se sont sentis lésés par les choix du Camerounais qui ne parle ni l’anglais, ni l’arabe, ni le portugais, ni l’espagnol, les autres langues des pays membres de la CAF. En favorisant son pays pour l’organisation de la CAN 2019, en offrant celle de 2021 à la Côte d’Ivoire et celle de 2023 à la Guinée, Issa Hayatou a renforcé la frustration des pays d’Afrique australe et de l’Est, qui ont grandement soutenu Ahmad.
Il ne lâchait pas de lest
Rancunier, Issa Hayatou ne supportait pas la contestation et la contradiction. S’il savait se montrer fidèle et très reconnaissant envers ses amis, il pouvait aussi freiner, voire briser les carrières d’opposants ou de délégués trop ambitieux. L’Ivoirien Jacques Anouma, le Libérien Musa Bility ou l’Algérien Mohamed Raouraoua peuvent en témoigner, eux qui espéraient prendre un jour sa succession. « Il y avait vraiment un ras-le-bol, lâche Samir Sobha, le président de la Fédération mauricienne. Pour être sincère, c’était une dictature à la CAF. On devait toujours voter « oui » » (*).
Il minorait l’importance des footballeurs
Issa Hayatou ne mettait presque jamais en avant des footballeurs alors qu’ils sont la base et la richesse du football africain. De fait, il confondait les intérêts de la CAF et ceux du football africain. En 2010, il avait attribué un 18/20 à l’Angola pour son organisation catastrophique de la CAN, alors que deux membres du staff de l’équipe du Togo avaient pourtant péri dans une fusillade dans l’enclave de Cabinda.
Il avait misé sur le mauvais cheval pour l’élection du président de la FIFA
Pour l’élection du président de la FIFA, en février 2016, Issa Hayatou et le Comité exécutif ont exigé que les membres de la CAF votent pour le Cheikh Salman. Consigne pas toujours respectée et c’est le Suisse Gianni Infantino qui a gagné. Le Camerounais a donc misé sur le mauvais candidat et ne l’a pas accepté. Une source à la FIFA indique en effet qu’Hayatou n’a pas supporté qu’un ancien chef de l’administration de la confédération européenne de football (Secrétaire général de l’UEFA) réussisse là où il avait échoué, en étant battu par Blatter en 2002 pour la présidence du foot mondial.
Il était dans le viseur de la FIFA
Même si on s’en défend à la FIFA, devoir travailler avec l’un des derniers représentants des années Blatter, était difficile à accepter. Le voir partir au profit d’Ahmad, un dirigeant plus jeune et plus souple, est un soulagement. Depuis quelques semaines, Issa Hayatou ciblait régulièrement la FIFA dans ses discours, avec des accents anticolonialistes.
Il est ciblé par une procédure judiciaire en Egypte
Enfin, Issa Hayatou est au cœur d’une procédure judiciaire en Egypte où se trouve le siège de la CAF. L’autorité locale de la concurrence enquête sur l’attribution des droits médias et marketing du foot africain à la société Lagardère Sports pour la période 2017-2028, contre 1 milliard de dollars. Un accord qui génère des suspicions et un mélange d’enjeux politico-financiers. Une entreprise égyptienne, Presentation, qui souhaite concurrencer Lagardère Sports, a en tout cas déposé un dossier auprès de la FIFA. Ce dossier a été transmis au Comité éthique qui va l’étudier et estimer s’il faut ouvrir une procédure contre le Camerounais.
Rfi