Cinquième Khalife d’El Hadji Malick Sy (RTA)(1855-1922), Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy « al Maktoum » a 91 ans ce jeudi 29 décembre 2016. Occasion saisie pour dévoiler la face cachée du saint-homme. Pour un tel objectif, nous sommes allés à la rencontre d’El Hadji Malick Cissé. Il fait partie des hommes de confiance de « Mame Cheikh » pour paraphraser ses disciples. De commerce très facile, il a bien voulu retracer les grandes lignes du parcours ô combien élogieux de l’actuel patron de la famille d’El Hadji Malick Sy et de la confrérie Tidianiya.
En guise de lever de rideaux celui que ses proches appellent Cissé Djingué s’engage dans un décryptage du nombre 91 en référence à l’âge de Serigne Cheikh et révèle qu’il signifie maliku (empereur). Tout un symbole…
Ce mystère levé, il explique les raisons du retrait opéré par le guide religieux depuis son intronisation comme Khalife Général des Tidianes, suite à la disparition de son grand-frère, Serigne Mansour Sy Borom Daradji (1925-2012) en 2012. A en croire Cissé Djingué, la mondialisation du mal et de la bêtise ne sont pas étrangères à cet état de fait. Et en procédant de la sorte, philosophe notre interlocuteur, Serigne Cheikh ne fait qu’emboiter le pas à la sainte Rabihatoul Hadawi qui avait consacré toute sa vie à son Créateur.
Le réformateur
S’engouffrant dans la brèche, nous lui posons la question de savoir si en réalité, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy n’est pas l’inconnu de la nation sénégalaise. Il répond par l’affirmative non sans rappeler que le guide religieux avait d’abord dans un ouvrage décerné ce titre à son illustre grand-père, El Hadji Malick Sy. Et d’en venir aux raisons pour lesquelles il n’a jamais été en phase avec la société sénégalaise. « Il est lui-même méconnu de la société pour avoir rompu avec toutes les pratiques maraboutiques d’antan. Les marabouts n’avaient pas le droit de laisser pousser leurs cheveux, ils n’osaient pas porter de tenue occidentale. Même se déplacer à bord d’un véhicule était un péché. C’est Serigne Cheikh qui a arraché tous ces goulots qui empêchaient les « domou sokhna » d’avancer », rétablit-il.
Dans la même veine, notre hôte revient sur l’histoire de la ligne téléphonique que Serigne Cheikh avait installée chez Khalifa Ababacar Sy (1885-1957) par nécessité mais aussi de la voiture qu’il avait achetée à ce dernier. Des démarches qui n’étaient pas du goût de tous car nouvelles dans une famille dite religieuse. Dénoncé auprès du premier Khalife d’El Hadji Malick Sy pour s’être habillé à l’occidentale, Serigne Cheikh a du s’expliquer avec Serigne Babacar Sy. Qui sera convaincu par les arguments avancés par son fils.
Le médiateur
Des arguments, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane en avait aussi besoin pour convaincre Cheikhal Khalifa de soutenir Léopold Sedar Senghor (1906-2001). Parce qu’en réalité, selon Cissé Djingué, c’est Al Maktoum qui a présenté celui qui deviendra le premier président du Sénégal à Serigne Babacar Sy. Pourtant, c’est Lamine Guèye (1891-1968) qui devait bénéficier du soutien du marabout. Mais n’ayant pas respecté ses engagements vis-à-vis du Khalife des Tidianes, Senghor en profite pour être le candidat de Tivaouane. Avec des gages solides. Comme Serigne Babacar Sy et Serigne Fallou Mbacké (1888-1968) avaient d’excellentes relations, le Khalife de Touba choisit vite son camp et assura la victoire à Léopold Sédar Senghor. L’ancien colistier de Lamine Guèye à la mairie de Dakar triompha sur celui qui faisait office de mentor pour lui à ses débuts. Mais la trahison des politiques ne tarda pas à pointer le bout du nez, rapporte El Hadji Malick Cissé.
L’homme politique
Serigne Cheikh qui s’était déjà imprégné de la chose politique va mettre sur pied le Parti de solidarité sénégalaise avec la bénédiction de tous les Khalifes d’alors. Toutefois, les élections législatives sont remportées par l’Union des progressistes sénégalais. Le camp des religieux crie à la fraude et organise des manifestations pour contester les résultats du scrutin. C’est sur ces entrefaites, se souvient Cissé Djingué, que Serigne Cheikh Tidiane Sy fut arrêté en sa qualité de Secrétaire général du PSS et envoyé en prison. Un séjour carcéral qu’il transformera en retraite spirituelle. C’est en prison qu’il a accompli une mission que Cheikhal Hadji Malick Sy avait confiée à Serigne Babacar Sy. Il a pu aussi rendre un hommage mérité à son homonyme Cheikh Ahmed Tidiane Chérif (1737-1815) à travers « Fa Ilayka ». Après cette épreuve, il est nommé ambassadeur du Sénégal au Caire, en Egypte. « C’est parce qu’il les gênait qu’ils l’ont fait sortir du pays mais ils lui ont rendu un grand service sans le savoir », tranche notre interlocuteur.
Ses relations avec Touba
Pour le grand public, c’est Serigne Abdoul Ahad Mbacké(1914-1989), 3e Khalife de Serigne Touba qui était plus proche de Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy que son prédécesseur, Serigne Fallilou Mbacké. Une entorse à l’histoire que tient à réparer le témoin privilégié qu’est El Hadji Malick Cissé. « Serigne Fallou Mbacké a fait convoquer Serigne Cheikh à sa sortie de prison. Quand il a déféré à la convocation de son « père », ce dernier qui l’a accueilli à Ndindy l’a chargé d’une mission auprès du prophète à Médine, au nom de tous les khalifes. Serigne Cheikh s’est exécuté au détriment de ses propres besoins», révèle-t-il. Arrivé au Khilafah de Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Abdoul Ahad ne rompra pas ces liens. Mieux encore, il reçoit son « fils » Cheikh Tidiane Sy à Touba, avec tous les honneurs.
Signification de « al Maktoum »
« De tous les homonymes de Cheikh Ahmed Tidiane Chérif, il est le seul à hériter de l’extension « Al Maktoum » », précise Cissé Djingué qui cache mal son étonnement. S’interdisant de donner la signification de ces deux mots, le disciple de Cheikh convoque la réponse du prophète quand Cheikh Tidiane Chérif lui-même surnommé « Khoutboul Maktoum » a voulu déchiffrer ce grade. « Seuls Ton Créateur et moi savons ce que Al Maktoum renferme comme secret », fut la réponse de Mouhamed au fondateur de la tidianiya.
La dimension de l’homme
C’est sous le magistère de Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy que la famille Sy semble avoir retrouvé l’unité. Mais connaissant l’homme, El Hadji Malick Cissé trouve qu’il n’y a rien de surprenant. « Serigne Cheikh a hérité du secret de la Tarikha dès sa naissance mais il ne pouvait aller à contre courant de la tradition qui veut que le plus âgé soit nommé Khalife », détaille Cissé. « C’est ce qui explique tous ses efforts en faveur d’une paix durable dans la famille et dans tout le pays », décrypte le talibé tidiane. Transition est toute trouvée pour livrer les recommandations du Khalife Général des Tidianes. Un homme insondable…