Spécialiste en Sciences politiques, Dr Cheikh Omar Diallo est Enseignant et Expert en communication. Ancien Conseiller des Wade, l’ancien chef du service politique du Quotidien « Le Soleil » a accepté, pour la première fois depuis quatre ans de commenter pour l’Observateur, l’actualité politique nationale. Législatives et présidentielles, débat sur l’indépendance de la Justice, suppression de la caution présidentielle, financement public des partis politique, statut du chef de l’opposition etc. Sans faux-fuyant !
La raison est simple : vous savez, la concentration académique est contraire au bruit médiatique. Après l’obtention du Diplôme d’études approfondies (Dea) en Sciences politiques en 2009, les charges professionnelles ne me permettaient plus de continuer la thèse de Doctorat. Et « à quelque chose malheur est bon » : les six mois de détention et les six autres mois sous contrôle judiciaire m’ont permis de prendre une option irréversible dans la préparation du Doctorat. Aujourd’hui, je me consacre à l’écriture, à la formation et à la consultance, à travers mon cabinet-conseil. J’effectue régulièrement des missions en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.
Quelles sont aujourd’hui vos relations avec votre grand ami Karim Wade ?
Je n’ai ni contact physique ni relation téléphonique avec Karim Wade depuis le procès. Aucun rapport direct ou indirect !
Pendant le procès, vous étiez cité comme témoin. Il s’est rapproché de vous et a soufflé à votre l’oreille. Il tenait à vous remettre un cadeau. Mais le président du tribunal vous a interrompu. De quoi s’agissait-il ?
Très honnêtement je ne sais pas. C’était notre dernier contact. Après le feuilleton judiciaire, chacun est parti de son côté. Pour ma part, j’ai fait savoir dans une lettre publique, après ma libération et mon non-lieu que je tournais la page. Avant de tourner une page, il faut prendre le temps de la lire. C’est ce que j’ai fait. Alors n’insistez pas davantage. Vous ne m’entendrez plus jamais sur ça.
Mais…
N’insistez pas Svp. J’ai tourné la page et je n’en parlerai plus.
Ok mais, Après les nombreux mandats de dépôt servis ces derniers temps contre des hommes politiques, le débat sur l’indépendance de la Justice refait surface. Qu’en pensez-vous ?
Tant que les Procureurs de la République, maîtres des poursuites, resteront sous la subordination hiérarchique du Ministre de la Justice, tant que le Csm (Conseil Supérieur de la Magistrature) restera sous la présidence du Chef de l’Etat, tant que la Justice n’aura pas une autonomie budgétaire, elle ne sera jamais véritablement indépendante, même s’il restera toujours des magistrats indépendants. Savez-vous qu’en France, le Csm n’est plus présidé par le Chef de l’Etat depuis 10 ans ? Mieux, la nomination d’un Procureur ne peut se faire sans l’aval dudit Conseil a fortiori, celle d’un juge.
Au fond, à la base, il y a un malentendu entre l’Exécutif et le Judiciaire. Nous avons hérité d’une tradition juridique française. Or en France, la Justice est une Autorité. Au Sénégal, la Justice est un pouvoir, à côté de l’Exécutif et du législatif. Et au contraire du Chef de l’Etat et des députés, les juges ne sont pas élus par le peuple. Et pourtant, c’est au nom du peuple qu’ils rendent la Justice. C’est pourquoi, un Président qui tire sa légitimité populaire du suffrage universel n’acceptera pas de coexistence avec une Justice incontrôlable. Mais cet état de fait, n’entame en rien la crédibilité de notre pouvoir judiciaire dans son ensemble.
Les Législatives se profilent à l’horizon. Vous êtes aujourd’hui Docteur en Sciences politiques. Quels sont les enjeux de cette élection ?
Je retiens deux choses. Premièrement, la treizième législature comptera 165 députés au lieu de 150. La majorité absolue sera de 83 députés. Il y aura donc des modifications aussi bien dans le fonctionnement du bureau de l’Assemblée nationale que dans la composition des groupes parlementaires. Deuxièmement, la création de huit circonscriptions électorales extra-territoriales et l’arrivée des 15 députés de la Diaspora entraîneront des changements dans la nomenklature institutionnelle et budgétaire.
Alors concrètement comment l’élu de la Diaspora sera en contact avec à sa base, si l’on sait qu’une circonscription peut regrouper plusieurs Etats ?
Lorsqu’un député de l’Etranger retourne à la base, il doit faire des déplacements dans 5 à 10 pays que peut compter son fief électoral. Soit pour chaque élu, en moyenne une vingtaine de missions chaque année. Faites le total en multipliant à la fin par cinq années de législature !
Cela va donc occasionner des changements de forme et de fond, des dépenses supplémentaires…
… Oui mais comme dans les démocraties avancées, il faudra assurer l’intendance, les remboursements de frais de mission, de téléphone, etc. En même temps, nous devons intégrer une autre dimension : la Diaspora c’est plus de trois millions de Sénégalais et plus de 900 milliards injectés dans notre économie. Ce qui fait environ un tiers du budget national.
D’ailleurs, logique pour logique, après l’Assemblée nationale, la Diaspora devra être représentée dans le prochain gouvernement qui sera formé après le 30 juillet. C’est pourquoi, elle doit faire elle-même son plaidoyer pour le retour du Ministère délégué des Sénégalais de l’Extérieur. Ce qui ouvrira une fenêtre de respiration pour le Ministère des Affaires étrangères.
Alors comment se déroulera concrètement cette campagne à l’étranger ?
C’est simple ! Durant 21 jours, les locaux des représentations diplomatiques et consulaires, les espaces culturels et nos institutions scolaires à l’étranger pourront être mis à la disposition des candidats pour les réunions électorales, s’ils en font la demande écrite à l’autorité compétente. Er c’est dans ces locaux, – considérés comme lieux de manifestation de notre souveraineté nationale – que les programmes, affiches et slogans des candidats seront visibles. Mais attention, l’ambassadeur et le consul général peuvent motiver leur refus pour nécessité de service.
Mais pour la plupart des Sénégalais, l’Assemblée nationale est perçue comme une chambre d’applaudissements.
C’est ce qui explique en autres le fort taux d’abstention. Vous savez l’abstention est à la démocratie, ce que le diabète, tueur silencieux et délicieux, est au malade. Pour rappel, après le bon taux de participation des législatives de 2001 qui était de 68%, la modeste barre des 37% n’a jamais été franchie aussi bien en 2007 qu’en 2012. Le 30 juillet prochain, l’abstention sera incontestablement le vainqueur silencieux des urnes. Espérons vivement que le Parlement cessera d’être « une annexe de l’Exécutif », selon la courageuse formule d’un honorable député. Surtout qu’avec l’adoption du référendum, le rôle du Parlement ne s’arrêtera plus au contrôle classique de l’action gouvernementale mais il s’étendra à l’évaluation des politiques publiques. D’où la création probable des Offices Parlementaires d’Evaluation des Politiques Publiques (Opepp), comme c’est le cas en Grande-Bretagne, en Italie, etc. J’ai développé amplement ce volet dans ma thèse que vous pourrez consulter sur le site de la bibliothèque numérique de l’Ucad.
Et si l’opposition sortait victorieuse des urnes, il y aurait une cohabitation politique. Un cas de figure que vous théorisé avant 2012.
Exact ! J’ai beaucoup réfléchi sur cette hypothèse d’école. Vous trouvez de larges extraits de mon étude dans le dernier ouvrage de notre confrère Mamoudou Ibra Kane. Il faut rappeler que le Sénégal a toujours été dans le schéma classique d’une concordance entre majorité présidentielle et majorité parlementaire. C’est le fait majoritaire, en Droit constitutionnel. Mais en cas de cohabitation, nous serons en présence de deux majorités différentes, de deux légitimités concurrentes, de deux familles politiques opposées et deux projets différents pour un même exécutif. Et c’est bien là que se situe le problème.
Alors imaginez que le Président n’obtienne pas la majorité à l’Assemblée et se voit imposer un Premier ministre issu de la nouvelle majorité parlementaire. Quelles seront les conséquences ?
Là vous m’invitez dans une hypothèse d’école. Mais dans la réalité la France par exemple a connu trois cohabitations plus ou moins houleuses. Si le Chef de l’Etat est minoritaire au Parlement, il aura certes des pouvoirs, mais il n’aura pas le pouvoir. Il aura l’illusion du pouvoir tandis que la réalité du pouvoir sera à la Primature et à l’Assemblée. On passera du domaine réservé au domaine partagé. Fatalement ce sera le tremblement de terre institutionnel. Une crise sans précédent. Pourquoi ? Je m’explique.
Mais auparavant, il faut rappeler que nous sommes toujours sous l’empire de la Constitution du 22 janvier 2001. Le référendum n’a pas entraîné l’adoption d’une nouvelle Constitution. Confusion à éviter ! Cela étant précisé, notre charte fondamentale en son article 42 dispose que « le Président de la République détermine la politique de la Nation ». Plus loin, l’article 53 dispose que « le gouvernement conduit la politique de la Nation sous la direction du Premier Ministre ». Alors allez donc demander à un Premier Ministre issu d’une liste opposée à la politique du Chef de l’Etat de conduire une politique qu’il combat ? Ce serait un désaccord inédit entre les deux têtes de l’Etat. L’exemple le plus achevé de la dyarchie au sommet de l’Etat.
Que faire ?
Du point de vue de l’ingénierie constitutionnelle, il faut impérativement réécrire l’article 42 de la Constitution. Je rappelle que dans la Constitution française, c’est « le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation ». La France a donc anticipé les choses. Voyez tout mimétisme constitutionnel présente des limites. A l’époque, j’avais attiré l’attention du Président Wade. Il m’avait rétorqué que c’était une hypothèse hautement improbable : « Lorsqu’ils vous donnent le pouvoir, Les Sénégalais vous accordent en même temps une majorité pour gouverner». Il n’a pas tort. Y a qu’à étudier minutieusement le mode de scrutin mixte, une combinaison entre le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel. Ce système est généralement favorable aux grands partis. Sans oublier, la clé de répartition des députés qui est encore en vigueur. A cela il faut ajouter un quota de 15 députés de l’Etranger.
Le statut du chef de l’opposition n’est pas encore une réalité, contrairement aux autres pays de notre espace géographique.
Pour être effectif, le statut de l’opposition a besoin d’une loi organique. Le Président Sall attend peut-être les résultats du scrutin législatif. La bonne pratique commande que le leader du parti d’opposition qui obtient le plus de sièges au Parlement soit d’office le chef de file de l’opposition et l’interlocuteur principal du Président. Avec bien sûr, les droits et devoirs qui sont attachés au statut, c’est-à-dire un budget de fonctionnement, un siège, un cabinet et un personnel, etc. Le Burkina Faso, la Guinée, le Mali, le Niger et le Tchad, entre autres, ont déjà réglé la question.
En filigrane, le statut de l’opposition pose également la question du financement public des partis politiques. Sous Abdou Diouf, le Constitutionnaliste El Hadj Mbodj avait fait un excellent rapport. Il fait autorité en la matière. Il suffit juste de le dépoussiérer et de l’actualiser.
La caution présidentielle est fixée à 65 millions f cfa, une décision du Président Wade. Avec le recul, n’est-ce pas exagéré ?
Je vous le concède. Nous avons jusqu’à présent, la palme de la caution la plus élevée d’Afrique. C’est pourquoi avec le recul, je propose pour le dossier de candidature, la suppression de la caution comme dans les grandes démocraties. Tout en exigeant que tout candidat à la présidentielle qu’il soit indépendant ou non, apporte un minimum de 30.000 signatures. Soit 0,5 % du corps électoral. Le bon sens électoral commande de reconnaître qu’un candidat qui ne peut avoir ce pourcentage en terme d’intentions de vote, ne peut valablement prétendre diriger les Sénégalais.
Une sorte de primaire à la Sénégalaise, vous voulez dire…
Oui une sorte de primaires. En fait c’est aussi un concours de beauté électorale qui peut tonifier notre corps démocratique. En somme, « une démocratie du phénix », pour parler comme le Professeur Alioune Badara Diop, une référence en Science politique. Mieux dans cette proposition, les candidats retenus doivent bénéficier chacun d’une subvention exceptionnelle de 100 millions, par exemple, comme en Côte d’Ivoire. A mon sens, cela pourrait diminuer les mouvements sur les financements extérieurs ou occultes. Savez-vous que les financements étrangers sont interdits. En revanche, en matière de fundraising, la loi ne fixe aucune limite, lorsque les fonds proviennent des privés nationaux. A juste titre ! Parce qu’on craint que le côté obscur de l’argent des lobbys étrangers ne confisque notre souveraineté populaire. Tout le monde sait que la plupart des acteurs politiques sont dans une situation financière précaire et ils ne comptent que sur d’improbables cotisations des membres et sympathisants. Et encore !
Et pourtant, influent conseiller des Wade, vous aviez été l’un des théoriciens de cette caution élevée. Les écrits sont encore là…
C’est vrai ! J’assume ma part de responsabilité et je suis revenu de mes erreurs stratégiques. Nous nous sommes lourdement trompés. Je le dis avec toute la modestie qui entoure mes propos. J’en profite d’ailleurs pour témoigner toute ma reconnaissance à mon Directeur de thèse, le Professeur Ismaïla Madior Fall. On dit souvent que « celui qui ne rend pas hommage à son maître ne sera jamais un maître ». Cela dit, l’intention était noble. Il s’agissait de décourager les candidatures fantaisistes. Tenez ! En 20 ans, le fichier est passé d’un à six millions d’inscrits. Je vous fais observer qu’en même temps que le nombre d’électeurs augmente, le nombre de candidats augmente, malgré la caution élevée. Résultat : En 2000, huit candidats ont versé la caution de 6 millions. En 2012, ils étaient quatorze à cautionner 65 millions. Cherchez l’erreur !
Quels sont les enjeux de la présidentielle de 2019 ?
Il y existe maintenant en Afrique, une loi de gravité électorale relative. Le premier mandat présidentiel se gagne généralement au second tour. En revanche, lorsque le Président sortant est candidat à sa propre succession, soit il l’emporte au premier tour, soit il perd au second. Il suffit de faire un monitoring des élections présidentielles des dix dernières années. Par conséquent dans deux ans, le candidat Macky Sall est « condamné » à gagner au premier tour, sinon il pourrait perdre au second. Mais a-t-il vraiment des challengers sérieux ? Je ne sais pas. Je sais seulement que les législatives seront un test grandeur nature. La coalition Benno Bokk Yakaar n’a plus la vigueur de 2012. Elle a connu des départs de troupes fidèles à Idrissa Seck, Malick Gackou et récemment à Khalifa Sall. A cela s’ajoute l’entrée en scène de néo-opposants tels qu’Abdoul Mbaye et Ousmane Sonko. Dans la même veine, la majorité présidentielle enregistre de nouvelles arrivées. Quant à l’opposition, elle présente de belles individualités, mais elle est profondément divisée, à commencer par le Pds. Il devait être la roche-mère mais il s’effrite de partout.
Il y a un retour de flammes entre la Gambie et le Sénégal. Mais les derniers événements diplomatiques ont démontré que les Etats membres de la Cedeao entretiennent une unité de façade pour ce qui est du Sénégal. Et puis, nos relations ne sont pas des plus chaleureuses avec la Guinée et la Mauritanie.
Reconnaissons que c’est le leadership démocratique du Sénégal qui dérange tout simplement. Le Président et son Ministre des Affaires étrangères sont les premiers à le savoir. Quelques illustrations : Un, Dakar est le passage obligé des plus grands du monde et ils ne manquent jamais de saluer notre vitalité démocratique. Deux, l’ancrage des relations avec nos alliés historiques que sont la France, le Maroc et l’Arabie Saoudite. Trois, le rôle du Sénégal dans les dernières résolutions du Conseil de Sécurité de l’Onu. Quatre, le poids considérable de Dakar dans la gestion de la crise gambienne. Ça fait un peu beaucoup de points positifs. Et croyez-le, la jalousie fabrique des adversaires silencieux. Je suis bien payé pour le savoir.
Plus loin en Afrique centrale, l’alternance démocratique est bloquée. Chez « le Bantou problématique », la conception du pouvoir est simple : on ne cède pas le passage démocratique.
Et chez nos voisins immédiats ?
Lorsqu’on évoque le voisinage, nous sommes dans « le kilomètre affectif », selon le bon mot de Mame Less Camara, qui a guidé mes premiers pas dans le journalisme, il y a 20 ans. Je disais donc qu’avec nos voisins maliens, mauritaniens et guinéens, il y a une méfiance historique. Ils évoluent dans d’autres logiques géostratégiques. Et ça se comprend ! En vérité, c’est la notion classique de frontière qui est complètement remise en cause, de nos jours. Voyez avec l’entrée du Maroc dans la Cedeao, l’Ouest s’étendra au Nord. Quant au Togo, il sera probablement membre du Commonwealth.
Pour finir, il me vient à l’esprit une anecdote. Lors d’une visite dans une école primaire, Vladmir Poutine demande aux élèves de citer les pays frontaliers de la Russie qui sont au nombre de 14. Quand ils commencent à énumérer. Le Président coupe net : « la Russie n’a pas de frontière ! »
PAPE SAMBARE NDOUR
L’Observateur