Le tir par la Corée du Nord, dimanche 12 février, d’un missile de moyenne portée, qui s’est abîmé en mer du Japon, vise à tester la politique que le président Trump entend mener à l’égard de la péninsule coréenne. Ce missile balistique de type Musudan amélioré (Pukguksong-2 selon KCNA, l’agence de presse nord-coréenne) a une portée allant jusqu’à 4 000 km. Lancé d’un site du nord-ouest du pays, à Kusong, proche de la frontière chinoise, il a parcouru 500 kilomètres. Ce tir, réussi selon Pyongyang, n’est qu’une piqûre de rappel : il ne s’agit pas d’un missile intercontinental capable d’atteindre les Etats-Unis, dont le dirigeant Kim Jong-un a annoncé, dans son message du Nouvel An, que sa mise au point était entrée dans sa phase finale.
: Pyongyang affirme avoir acquis « le statut de puissance nucléaire »
Au cours de la campagne électorale américaine et depuis l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier, la République populaire démocratique de Corée (RPDC) avait fait preuve de retenue, évitant les provocations (après huit tirs de missile balistique entre avril et octobre 2016). Elle a sans doute jugé le moment opportun pour rappeler son existence.
Ce missile a terni l’euphorie affichée de la rencontre en Floride de Donald Trump avec le premier ministre japonais, Shinzo Abe, qui a été l’occasion de réaffirmer la solidité de l’alliance entre les deux pays. Elle s’inscrit surtout dans un contexte régional incertain : crise politique en Corée du Sud – qui se traduit par une vacance du pouvoir tant que la Cour suprême n’aura pas pris de décision concernant le sort de la présidente Park Geun-hye, déchue de ses fonctions – et tension latente entre Pékin et Washington.
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« Menace sérieuse »
Lors de sa visite à Séoul en janvier, le secrétaire américain à la défense, James Mattis, a déclaré que la Corée du Nord était une « menace sérieuse » et a confirmé l’intention de Washington de mettre en place le bouclier antimissile. Un projet qui divise le monde politique sud-coréen et pourrait être remis en cause par un successeur de centre gauche de Mme Park.
Après avoir caressé l’espoir qu’en dépit de ses déclarations contradictoires, Donald Trump pourrait se démarquer de la politique attentiste de l’administration précédente, Pyongyang semble désormais penser qu’au vu des personnalités de l’équipe du nouveau président, il faut davantage s’attendre à un durcissement de la position américaine. Mais les dirigeants nord-coréens peuvent estimer aussi que la tension entre Pékin et Washington est durable, et que la Chine sera d’autant moins favorable à coopérer avec les Etats-Unis pour sanctionner Pyongyang et qu’ils disposent d’une certaine marge de manœuvre.
Pyongyang, qui poursuit avec constance l’ambition de se doter d’une arme de dissuasion crédible, s’apprête apparemment à une nouvelle épreuve de force. Le pays se considère déjà comme une puissance nucléaire et fait de ce statut un élément constituant de sa souveraineté, inscrit dans sa loi fondamentale.
En dépit d’un renforcement des sanctions internationales, la RPDC a procédé, en septembre 2016, à son cinquième essai atomique. Selon le Livre blanc 2016 du ministère de la défense sud-coréen, elle disposerait de plus 50 kg de plutonium, lui permettant de produire une cinquantaine de bombes d’ici à 2020, et met au point un missile intercontinental capable d’atteindre les Etats-Unis. Si la politique de Donald Trump vis-à-vis de la Corée du Nord est pour le moins peu claire, celle de Pyongyang l’est davantage, sans être pour autant plus rassurante.
- Philippe Pons (Tokyo, correspondant)