Ces dernières heures vont être décisives dans le règlement de la crise gambienne. D’un côté, une Cedeao agacée qui pousse vers une intronisation d’Adama Barrow à la date du 19 janvier. De l’autre, un Jammeh en fin de mandat, qui décrète l’état d’urgence. Après avoir épuisé toutes les voies de résolution de la crise, la CEDEAO se prépare-t-elle à intervenir militairement en Gambie? En tout cas, jamais la clameur des bottes et les sirènes militaires n’ont été si proches. Pourtant, entre les mains de la CEDEAO, deux cartes pourraient être avancées dans son bras de fer avec le maître de Banjul. Détails
Un navire de guerre nigérian qui fait route vers la Gambie, une force d’attente de la CEDEAO en alerte, un président élu presque « bunkerisé » dans le pays voisin, un état d’urgence décrété pour une durée de trois mois en Gambie… A quelques heures de la fin du mandat constitutionnel de Yahya Jammeh, tous les signaux semblent augurer d’une intervention militaire imminente de la CEDEAO à Banjul pour déloger l’homme fort de Kanilaï du State House et installer Adama Barrow, le vainqueur officiel de la présidentielle du 1er décembre, sur le fauteuil présidentiel. Pourtant, bien avant la menace du bruit de bottes, l’organisation sous-régionale peut encore jouer deux cartes qui pourraient enclencher un début de règlement de la crise gambienne.
1- La reconstitution de la cour suprême gambienne pour trancher le litige électoral
Le pays est dans l’impasse depuis la volte-face de Yahya Jammeh qui, après avoir reconnu sa défaite et même félicité son adversaire, a contesté une semaine plus tard les résultats de la présidentielle du 1er décembre. Dénonçant des « erreurs [de comptage, ndlr] inacceptables » de l’IEC, la commission électorale indépendante gambienne, l’APRC, le parti de Yahya Jammeh avait par la suite, déposé un recours pour annulation des résultats devant la Cour suprême.
Cette dernière, présidée par le juge nigérian Emmanuel Fagbenle assisté de juges sierra-léonais, devait se prononcer sur ce recours, le 10 janvier dernier. Mais elle avait indiqué qu’elle ne se prononcerait pas avant mai prochain évoquant le manque de juges assistants. Un litige électoral non encore tranché auquel s’accroche le président Jammeh pour tenter de bloquer l’investiture d’Adama Barrow. « Tant que la Cour n’aura pas rendu sa décision sur cette affaire, il n’y aura pas d’investiture le 19 janvier. Et nous verrons ce que la Cedeao et les grandes puissances derrière elle pourront faire », affirmait Jammeh dans une allocution télévisée.
Le juge principal de la Cour suprême s’était pourtant déclaré incompétent pour faire annuler l’investiture de Barrow en attendant de trancher le litige poussant Jammeh à camper sur ses positions d’empêcher cette investiture que tout le monde attend.
Cette investiture pourrait théoriquement se faire à Dakar – probablement dans l’enceinte de l’ambassade gambienne- où le président officiellement élu est réfugié depuis le sommet de Bamako. On s’acheminerait vers un scénario à l’ivoirienne en 2010 lorsqu’Alassane Ouattara, en litige avec Laurent Gbagbo, était ironiquement appelé « le président de l’Hôtel du Golf », avait été investi en attendant de prendre les pleins pouvoirs.
Pour éviter un bégaiement de l’Histoire dans la sous-région, la Cedeao pourrait superviser la reconstitution de la cour suprême gambienne en faisant venir les juges nigérian et sierra-léonais pour trancher définitivement le litige. Au mieux, Adama Barrow serait conforté dans une double légitimité si Jammeh est débouté. Au pire, on organiserait une présidentielle bis pour laisser les billes confirmer (ou infirmer ?) leur verdict.
2- L’organisation de nouvelles élections sous supervision de la CEDEAO
Pour remonter aux origines de la crise gambienne, il faut aussi rappeler qu’une des causes immédiates du braquage du maître de Banjul est la reconnaissance des « erreurs » dans l’écart de voix annoncé lors de la proclamation de la victoire d’Adama Barrow. Impavide face aux menaces de l’organisation régionale, sourd aux navettes de bons offices de la Cedeao, Jammeh tient la ferme conviction que les résultats étaient sinon biaisés, du moins influencés par les ingérences étrangères.
En dénonçant les erreurs de l’IEC, l’homme au boubou blanc indiquait: « Tout comme j’ai loyalement accepté les résultats, en croyant que la Commission électorale était indépendante, honnête et fiable, je les rejette dans leur totalité »
La seconde option qui s’offre à la Cedeao serait alors de proposer l’organisation d’un nouveau scrutin placé sous sa supervision. Cette hypothèse est moins coûteuse qu’une intervention militaire. De plus, l’organisation présidée par Ellen Johnson Sirleaf n’a ni les moyens ni la volonté d’une opération militaire à Banjul et masque savamment son incapacité financière et militaire dans une surenchère diplomatique jusque-là contre-productive.
Le système de vote gambien permet de recycler tous les outils nécessaires pour organiser un nouveau vote à moindres frais. C’est peut-être là l’option la plus judicieuse qui en plus, permettrait aux observateurs de la Cedeao, absents du processus électoral, de faire leur retour en Gambie. Seulement, cette possibilité ouverte par Laurent Gbagbo lors de la crise post-électorale de 2010, lui avait été refusée par la communauté internationale avec le blanc-seing de la Cedeao. A décharge pour cette dernière, l’initiative viendrait d’elle-même. Toute la difficulté sera de convaincre Yahya Jammeh d’accepter cette option qui pourrait éloigner le spectre de l’intervention armée !