Le bain de sang dans une prison de Manaus (56 morts) est la tuerie la plus importante survenue dans une prison brésilienne depuis celle de Carandiru, la maison d’arrêt de São Paulo, en 1992. En Amazonie, dans la nuit de dimanche à lundi, les détenus appartenant à des gangs ennemis se sont entre-tués. A São Paulo, la grande majorité des 111 prisonniers morts avaient été abattus par la police militaire (PM), alors qu’ils s’étaient déjà rendus. Le massacre avait commotionné le pays, et reste très présent dans l’esprit des Brésiliens. L’une des factions rivales de la prison de Manaus est le PCC (Premier commando capital), un gang criminel qui serait né en 1993 pour venger les morts de Carandiru.
Pavillon 9
Le 2 octobre 1992, une bagarre dégénère en mutinerie dans le plus grand lieu de détention d’Amérique latine, occupé par quelque 8000 prisonniers. Le gouverneur de l’Etat ne s’embarrasse pas de négociations avec les barricadés du pavillon 9, et décide, en accord avec le colonel Ubiratan Guimarães, de la Police militaire, de donner l’assaut. Le bilan est de 111 prisonniers tués, 9 par arme blanche, le reste par balles. Les photos prises par les premiers reporters admis dans la cour du pénitencier, qui montrent des amoncellements de cadavres nus et ensanglantés, horrifient l’opinion publique, alors que la presse révèle les détails de l’action: les mutins n’ont pas résisté et se rendus rapidement, ce que confirme l’absence de blessés parmi les 68 policiers participant à l’opération.
Cette exécution massive d’homme désarmés, noirs ou métis dans leur grande majorité, est un électrochoc pour la société brésilienne. En 1993, Caetano Veloso s’inspire de la tragédie pour écrire la chanson Haiti, qu’il enregistre en duo avec Gilberto Gil. C’est aussi l’année où des survivants de Carandiru, transférés dans un autre centre pénitentiaire, à Taubaté, créent le Premier Commando Capital, devenu aujourd’hui le groupe criminel le plus puissant du Brésil.
En 2001, le colonel Guimarães est condamné à plus de 600 années de prison (six ans par prisonnier tué), mais en 2006, il est blanchi en appel car d’après les juges, en bon militaire, il n’a fait qu’obéir à des ordres. Elu député, il est retrouvé mort par balles peu après à son domicile. Sur la façade avait été taguée la phrase «On récolte ce qu’on sème». Le meurtre n’a jamais été élucidé. Les différents procès des autres officiers de la PM impliqués dans la tuerie aboutiront en 2013, plus de vingt ans après les faits, à de lourdes condamnations.
Gay Friendly
Avant la destruction de la prison de sinistre mémoire, le film Carandiru est tourné sur les lieux mêmes du carnage. C’est l’adaptation d’un livre du Dr Drauzio Varella (1), qui a mené pendant plus de dix ans un programme de prévention du sida auprès des détenus. Présenté en mai 2003 en compétition à Cannes où il plutôt mal reçu, le film bat des records de fréquentation au Brésil avec 4,6 millions de spectateurs. Carandiru, réalisé par Hector Babenco (Pixote, le Baiser de la Femme Araignée), dépeint un monde carcéral idéalisé, où les reclus recréent une société solidaire et gay friendly, que la brutalité policière fera voler en éclats.
Malgré Carandiru, les tueries n’ont jamais cessé, en raison des guerres entre les mafias qui contrôlent les prisons, mais aussi de conditions de détention inhumaines, régulièrement dénoncées par les ONG. «Le système pénitentiaire [est] toujours marqué par une forte surpopulation, des conditions dégradantes, la pratique de la torture et des violences fréquentes», écrit Amnesty International dans son rapport 2015-2016. Avec 608000 personnes enfermées, la population carcérale du Brésil est la quatrième de la planète, après celles des Etats-Unis, de Chine et de Russie.