Avec son nouvel album Art de vivre sorti en septembre dernier, le rappeur sénégalais Nix renouvelle son art en y apportant plus de musicalité et s’affiche aux antipodes des artistes engagés de son pays. Rencontre avec Nicolas Omar Diop, jeune optimiste qui veut créer un beat sénégalais pour concurrencer les mastodontes nigérians.
RFI Musique : Votre troisième album Art de Vivre est plus musical que vos opus précédents, Black Crystal et Rimes de Vie. Pourquoi ce choix ?
Nix : On sent effectivement plus les influences de la soul et des années 70, notamment avec des reprises de The Spinners ou encore de Marvin Gaye. D’habitude, je travaille avec des beatmakers qui font des instrus sur des logiciels. Je me contentais de poser ma voix sur les morceaux. Pour cet album, j’ai pris la peine d’écouter l’instru et d’ajouter de la guitare, de la basse ou encore de la kora, en faisant appel à de vrais musiciens. Je ne savais pas dans quelle direction j’allais aller, j’ai finalement fait ça au feeling.
Les 16 titres de l’album comportent beaucoup d’influences américaines. Est-ce le résultat de votre voyage à New York où vous êtes partis après avoir passé votre baccalauréat ?
Les premiers morceaux sont nés aux États-Unis. Je suis un gros fan du rap américain et new-yorkais, c’était donc comme un pèlerinage. En plus, c’était ma première fois à New York, j’étais très excité. J’ai beaucoup apprécié, appris et j’ai rencontré beaucoup de monde. J’ai transformé ce voyage en musique. J’ai notamment commencé par enregistrer un featuring avec Wyclef Jean [rappeur et membre du groupe The Fugees, ndlr].
En préparation depuis fin 2010, Art de vivre est sorti en septembre 2016. Ce temps de préparation est-il nécessaire ?
Au moment où j’ai collaboré avec Wyclef Jean, je n’avais pas vraiment commencé à bosser sur l’album. C’était conçu comme un morceau libre. On n’a pas pu terminer le morceau et je ne savais pas ce que j’allais en faire. Je me souviens avoir discuté avec lui pour savoir comment il voyait les choses. Mais on a eu du mal à se croiser, il voyage beaucoup. J’ai gardé les bandes et dès qu’on a pu se revoir, on a terminé le titre avec notre beatmaker. On était déjà en 2014 à ce moment-là.
Concernant vos textes, quel message voulez-vous faire passer ?
Je parle de tout : de moi, de mon parcours et de mes aventures. Dans Air afrik, je parle aussi d’immigration et des clichés sur les Noirs qui nous collent à la peau. J’ai également des morceaux festifs comme Random nights où j’évoque une soirée improvisée en boîte qui se termine dans les rues de Dakar avec mes potes. J’ai des morceaux très variés, je suis très versatile.
Votre rap plus festif se place plutôt à contre-courant du rap sénégalais qui est connu pour ses textes engagés politiquement…
Dans mon morceau L’Ennemi de l’Afrique, je suis engagé. Je dis que le véritable ennemi pour nous, Africains, c’est l’Afrique, et qu’il faut qu’on pense à nous, à défendre nos intérêts. Mais je n’aime pas pointer du doigt. Je respecte beaucoup le parcours de Keur Gui par exemple, mais je suis dans un autre créneau. Je suis strictement musical et j’assume.
Sur le continent, le rap notamment du Nigeria et de Tanzanie, qui explose au niveau international, s’est totalement renouvelé grâce à l’apport de sonorités traditionnelles africaines. Le Sénégal semble en retrait de ce mouvement…
Il y a beaucoup de rappeurs sénégalais qui ont essayé de mélanger le rap occidental à de la musique traditionnelle, comme le mbalax. Mais ce n’est pas une musique qui marche en dehors du Sénégal. Le rythme est complexe : il n’est pas binaire comme le coupé décalé ou l’afrobeat. Et en plus, c’est en wolof ! Aujourd’hui ce qui fait le rap sénégalais, connu pour être très engagé, ce sont les paroles. Or, au Nigeria, ce sont des morceaux très dansants.
Dans ce sens, le rappeur franco-sénégalais Booba a récemment déclenché la polémique en affirmant : « Le rap sénégalais, c’est comme le rap polonais, il n’est pas connu. » Partagez-vous ce constat ?
Quand Booba a déclenché la polémique, je me suis demandé pourquoi les gens se sont autant vexés. Mais, ce n’est pas faux ce qu’il dit… Les groupes comme BBC Sound System ont fait leur temps. Après eux, il n’y a rien eu. Moi aussi j’ai fait des trucs, mais ça n’a pas encore atteint le niveau que ça devrait atteindre pour s’exporter réellement. Il y a beaucoup de pays qui nous dépassent en Afrique, mais on y travaille. Avec mon beatmaker, on essaye de créer un son qui ne sort pas du cadre hip hop classique et afro mais qui ne ressemble pas forcément à ce qui se fait déjà. C’est notre challenge. On a atteint la maturité artistique pour le faire, je suis optimiste.
Source RFI.FR