Ina thiam « Le hip hop a fait de ce moi ce que je suis aujourd’hui ».

Ina thiam "Le hip hop a fait de ce moi ce que je suis aujourd’hui".

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Son parcours n’a pas grand-chose d’une ligne droite, elle dit d’ailleurs qu’elle s’est longtemps cherchée…Jusqu’à ce fameux jour où elle va alors frapper à la porte de l’association Africulturban de Pikine, sa ville de cœur, qui révèlera son côté hip hop, caché sous cette tignasse qui lui a d’ailleurs valu son nom d’artiste, Ina, photographe et vidéaste, Ndèye Fatou Thiam à l’état-civil. Dans cet entretien, vous découvrirez une jeune femme à la fois bien dans ses baskets, au propre comme au figuré, et pleine d’optimisme, qui vous donnera sans doute l’envie de croire que c’est possible…Ina s’occupe actuellement de deux projets pour Africulturban : le centre de documentation sur le hip hop et le festival Urban Women Week. En plus de ce film qu’elle monte en ce moment…Les femmes, dit-elle, ce n’est pas très courant dans le milieu, ni très évident tous les jours, mais c’est un beau défi. Et heureusement, dit-elle encore, qu’il y a des femmes comme la réalisatrice Fatou Kandé Senghor, qui a su l’inspirer…

Et si vous nous racontiez votre parcours ?

(Quelques hésitations…) J’ai fait mes études à Pikine, puis au lycée Limamoulaye de Guédiawaye, et après le lycée je suis allée à l’Université, où j’ai étudié les sciences économiques. Mais au bout de deux ans, j’ai arrêté…

Pourquoi ?

Parce que… (Elle soupire). Je devais passer la session d’octobre parce que j’avais eu de mauvaises notes en statistiques, et je n’ai pas trop aimé. J’ai eu un bac S2, et la statistique, c’était une des matières que l’on nous enseignait au lycée. En sciences économiques, on reprend plus ou moins les statistiques du collège, de la classe de troisième plus précisément, et ce n’était pas normal que je ne puisse pas avoir de bonnes notes dans cette discipline-là. En fait, je pense que les professeurs ne corrigeaient pas comme il fallait. C’était la deuxième fois que cela m’arrivait, et je finissais par me rendre compte que je méritais mieux que cette note-là. Je devais passer la session d’octobre, et j’ai décidé que je ne le ferais pas. J’ai tout arrêté. C’est ensuite que j’ai suivi une formation en délégation médicale, j’ai même eu mon diplôme, en plus de ce stage d’une année en pharmacie, et il fallait trouver du boulot dans les laboratoires. Pendant les vacances, avec une amie, on s’est dit : «On va à Africulturban». Je connaissais le DJ de Matador, avec qui je jouais au basket, sans oublier que j’étais souvent dans les concerts hip hop et que déjà au lycée, je faisais partie de ceux qui les organisaient. Le hip hop et les cultures urbaines m’intéressaient déjà…Voilà un peu comment tout a commencé, et c’est là que je me suis dit: «Mon milieu, c’est ça, c’est le hip hop», et j’ai surtout réalisé que je m’étais longtemps cherchée. J’ai passé une année dans le studio d’enregistrement d’Africulturban, à faire du mixage ; ensuite il y a eu le projet Hip Hop Academy, avec le centre de documentation.

Qu’est-ce que c’est Hip Hop Academy ?

En fait, l’association fait beaucoup de festivals, beaucoup de concerts, on s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de jeunes qui fréquentaient les lieux, mais qui n’avaient pas de formation, ou qui avaient arrêté l’école, et donc il fallait leur trouver une alternative. C’était cela Hip Hop Academy, des formations en audiovisuel, en graphisme, en management, DJing, musique assistée par ordinateur (Mao), et il y avait aussi le centre de documentation. J’ai donc suivi le cours d’audiovisuel pendant deux ans, et en même temps, j’avais choisi de prendre en charge le centre de documentation, qui est une bibliothèque comme toutes les autres, mais avec des documents sur les cultures urbaine. Les gens viennent s’inscrire, ils ont une carte de lecteur, qui leur donne la possibilité d’emprunter des livres, et je faisais aussi quelques projections de films. Mais le plus important, c’était la recherche d’archives pour le centre de documentation, prendre des photos et vidéos de tout ce qui est cultures urbaines au Sénégal, et particulièrement à Dakar. J’ai commencé à aller à la recherche d’archives, parce qu’il n’y en avait pas, mais il fallait prendre beaucoup de photos. C’était surtout du photoreportage, mais il fallait aussi faire quelques photos artistiques. C’est un peu comme cela que j’ai commencé à faire de la photo…

Vous souvenez-vous de votre premier appareil photo ?

Oui, c’était un lumix, un appareil numérique tout simple qui appartenait à Matador, et c’est ce que j’utilisais pendant les concerts et les conférences que l’on faisait. Je l’avais partout avec moi.

Vous êtes donc autodidacte ?

J’ai quand même appris la vidéo à Pikine, à l’association Africulturban, des cours de montage, un peu de réalisation, des films surtout…Mais la photo, c’était plutôt sur le tas. La troisième année, nous avons eu Fatou Kandé Senghor comme professeur, et c’est de cette façon que je me suis mise à la côtoyer. Et comme elle est (aussi) photographe, elle m’a beaucoup appris…

Vous disiez quelque part que c’est quelqu’un qui vous inspire…

Oui, elle m’inspire.

Pourquoi ?

Parce que…Avant d’aller à Africulturban, je la voyais souvent dans les concerts, et je me demandais souvent ce qu’elle pouvait bien faire là à cette heure. C’est quelqu’un qui a fréquenté les rappeurs comme Awadi, elle est de la même génération que ces grands-là, elle les a écoutés, elle les a suivis en tant que vidéaste, elle a d’ailleurs récemment publié un ouvrage intitulé «Wala Bok : Une histoire orale du hip hop», une vraie matière première pour tout ce qui est hip hop, avec plusieurs entretiens et beaucoup de photos. Je l’ai ensuite retrouvée à Africulturban où elle m’a donné des cours, et là je ne rencontrais pas l’artiste, mais la personne, qui, au-delà des cours, me parlait beaucoup, parce que dans le bureau, j’étais la seule fille, sur une douzaine de personnes…

Vous voulez dire que ça a créé des liens ?

Oui, ça a créé des liens : je n’étais plus seulement son élève, il y a beaucoup d’autres choses qui intervenaient, elle jouait à la fois le rôle de mère et de grande sœur, et elle m’a montré comment surpasser certaines difficultés en tant que femme dans un milieu d’hommes, dans le milieu hip hop.

Justement, comment se sent-on, au Sénégal ou à Pikine, quand on est une femme dans ce milieu-là ?

Au bureau ça va encore, mais le «tu es une femme» revient souvent. Si on ne vous le dit pas, on vous le montre. Et dans le milieu, on pense toujours qu’on peut vous faire des avances, que vous êtes là pour ça, et vous êtes perpétuellement en train de vous battre, de mettre des preuves sur la table, pour dire «écoutez, je ne suis pas là que pour vous faire plaisir ou pour vous faire fantasmer, je suis là pour travailler, comme vous». C’est donc un perpétuel combat, et moi je me dis que je n’ai pas droit à une pause…Vous trouverez tous les jours des gens pour vous parler de tout à fait autre chose que de votre travail ou de vos projets, ou même de ce qu’ils font. On cherchera parfois à vous manquer de respect. Et c’est là que vous vous dites qu’un homme n’aurait peut-être pas eu droit à ce genre de réflexions. Après, il y a aussi le regard des autres, des gens qui n’ont rien à voir avec le hip hop, qui vous voient comme ça dans le quartier, qui ne savent pas exactement ce que vous faites, et qui vous classent dans une boîte. Il y a donc tous ces paramètres, mais pour moi c’est un challenge, et je me dis aussi que si ces gens-là n’avaient pas ce regard-là, je n’aurais peut-être pas autant de défis à relever.

Que représente le hip hop pour vous ?

Le hip hop a fait de ce moi ce que je suis aujourd’hui. Si on parle d’Ina, si on me suit sur les réseaux sociaux ou si les gens viennent voir ce que je fais, c’est grâce au hip hop, ma deuxième famille. Quand je sors de chez moi, ma famille c’est le hip hop. Et même pour les autres choses que je fais à côté, c’est au hip hop que je le dois. J’ai participé à trois expositions collectives pendant la Biennale, j’ai travaillé avec des gens comme Boubacar Touré Mandémory, Fatou Kandé Senghor, avec qui j’ai partagé la même galerie, et ce n’est pas rien. J’ai été à la Biennale de Marrakech cette année, pour une résidence artistique avec des gens comme Ndoye Douts, Fally Sène Sow, qui n’ont pas grand-chose à voir avec le hip hop, et dont j’entendais parler sans m’imaginer travailler avec eux un jour. En toute modestie, si je n’avais pas fait mes preuves en photographie ou dans le milieu hip hop, des personnes comme celles-là ne m’auraient pas remarquée ni proposé de travailler avec elles. Je dois tout au hip hop, et à côté, j’ai beaucoup de projets…

Quels sont vos projets ? Vous parliez d’un film sur le basket ?

Oui, il y a ce film. Je suis en montage depuis le mois de Ramadan. Le film s’intitule «Ici et Ailleurs». Je jouais au basket avant, et le film parle du Centre Jacques Chirac de Thiaroye, un centre de lutte contre les drogues, qui abrite un club de basket qui s’appelle le Pikine Basket Club. Ce club est logé à Thiaroye, les conditions ne sont pas très bonnes, avec très peu de moyens, et on ne fait pas beaucoup la promotion des joueurs. Mais c’est aussi un club qui a fourni des joueurs à beaucoup d’autres clubs sénégalais. Beaucoup de jeunes de Pikine sont actuellement en Espagne, aux Etats-Unis, en Italie, en France, on en trouve un peu partout…

Qui par exemple ?

Je parle de Younouss Diop, qui a été au Duc, je parle de Thierno Ibrahima Niang qui est meneur de l’équipe nationale du Sénégal, je parle de Ndèye Fall qui a fait ses preuves au Dakar Université Club et qui évolue au Portugal cette année, il y a Fanta Lèye, Yaram Bèye…Au Jaraaf, cette saison, il y a quatre anciennes joueuses de Pikine. Donc, en termes de formation de base au basket, on ne trouve pas meilleur endroit que Pikine. Mais après, le manque de moyens fait qu’il y a des «fuites», et que les joueurs sont obligés de partir. Et c’est cette histoire que raconte mon film. Je parle de comment c’est possible, parce qu’en fait il faut que ces jeunes-là aient de l’espoir, qu’ils se disent que c’est possible d’être à Pikine, et d’y réussir, et que l’on n’est pas obligé de partir. Certains vous diront qu’il n’y a rien ici. Le film s’intitule donc « Ici et Ailleurs », ici c’est Pikine, ailleurs c’est les autres clubs, c’est l’Europe, c’est les Etats-Unis, et le protagoniste du film c’est Thierno Ibrahima Niang, que je suis depuis 2012. On parle des «fuites», de ses études aux Etats-Unis, de son retour au Sénégal, de son parcours, pour essayer de montrer tout cela aux jeunes et à leurs parents, qui ont aussi besoin de voir le succès de quelqu’un qui est passé par Pikine, et pour qu’ils s’impliquent dans les choix sportifs de leurs enfants.

Pourquoi Ina, votre signature ?

Ina, c’est une très longue histoire (rires)…Au lycée, en fait je n’ai jamais su m’occuper de mes cheveux, j’allais à l’école sans me peigner, et les professeurs me renvoyaient souvent en me disant : « Thiam, il faut que tu t’arranges un peu les cheveux sinon tu ne viens pas en classe ». Il se trouve qu’il y a un joueur japonais qui s’appelle Jun’ichi Inamoto, et mon frère aîné trouvait que je lui ressemblais beaucoup, avec mes cheveux et mes grosses joues. C’est venu comme ça…C’est d’ailleurs ce grand-frère-là qui m’a ouvert ma première boîte mail, il a mis « Ina », et c’est resté.

Votre coupe «afro», c’est pour la mode, c’est un choix esthétique, idéologique ?

Mes cheveux ont toujours été comme ça, mais j’étais plutôt garçon manqué, pas vraiment dans les tendances, et ne me retrouvais mas dans le défrisage. Maintenant j’essaie de les arranger.

Et il se trouve qu’aujourd’hui, c’est un peu la mode ?

Oui c’est la mode, et quand on me demande parfois depuis quand je suis nappy, je réponds que c’est depuis toujours (rires), et c’est vrai.

Quelle est la photo qui vous aura marquée ?

C’est une photo prise à Rufisque, et que j’ai exposée cette année pendant la Biennale, au Centre Maurice Guèye de Rufisque. C’est une petite fille de quatre ans, tout sourire et sans chaussures, qui est debout devant une vieille pirogue et devant un véhicule qui ne marche plus, et quand on regarde bien la photo, on a l’impression que la fillette supporte à la fois la pirogue et le véhicule. C’est un visage qui reflète bien Rufisque je trouve, une photo en noir et blanc. J’aime bien cette image-là, parmi tant d’autres.

Quel genre de photos aimez-vous faire ?

Je suis très photoreportage, parce que ça a été mon premier volet. Je peux, en une série de photos, vous montrer tout ce qui s’est passé lors d’un événement précis, en vous donnant l’impression que vous regardez une vidéo. C’est un challenge pour moi que de faire en sorte que tout ressorte, tous les moments forts. Après, c’est vrai que j’en ai fait, mais je ne suis pas trop «mise en scène». Quand je fais une photo et que l’on me demande si la personne m’a vue, si elle était préparée pour la photo, j’aime répondre non. J’aime aussi montrer la condition des femmes, des enfants, la vie quotidienne, le sport

 

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