La championne olympique a passé une courte nuit. Elle ne réalise pas encore tout à fait qu’elle est la meilleure heptathlète du monde et espère que son quotidien ne va pas être trop chamboulé.
Il est 13 heures, ce dimanche à Rio. Elle arrive tout sourire au milieu d’une nuée de journalistes. Les tours du village olympique n’empêchent pas le soleil de donner encore plus d’éclat à son large sourire. Elle n’a pas l’air fatiguée pour un sou. «C’est parce que je me suis levée assez tard», sourit-elle. Ce samedi, Nafissatou Thiam est devenue championne olympique de l’heptathlon. Elle se soumet, donc, volontiers aux sollicitations dues à son nouveau rang. «Je n’ai pas encore eu l’occasion de fêter ça, lance-t-elle. Le temps d’aller au contrôle antidopage et de répondre à tous les médias, il était trois heures du matin quand j’ai quitté le stade. A mon arrivée au village olympique, quelques membres de la délégation m’attendaient. J’avais très faim. J’ai mangé et suis allée me coucher.» Le sommeil, elle ne l’a pas trouvé tout de suite. «J’étais fatiguée, par les deux jours de compétition et les horaires inhabituels que parce que je pensais à mon sacre. Franchement, je ne réalise toujours pas. Même dans mes rêves les plus fous, je ne me voyais pas championne olympique. En tout cas pas à 21 ans. C’est juste fou.»
Au réveil, elle avait, évidemment, mal partout. «Aux jambes, comme à chaque fois. Mais aussi au dos et au pied gauche. Et puis au coude. Enfin, un peu partout, quoi! Cette compétition a été d’un niveau très élevée et j’ai dû puiser dans mes réserves.» Mais c’est elle qui l’a remportée. «Oui, je suis championne olympique! J’avais dit, juste après le concours, que ça me semblait très gros. Je n’ai pas encore changé d’avis.» Habituée à taire ses ambitions avant chaque grand événement, Thiam ne l’avait, cette fois, pas fait volontairement. «Pas un instant, je n’avais imaginé ça. Comment voulez-vous? Je ne pensais même pas au podium. Là, je me dis que ne pas être arrivée avec d’autres objectifs que celui de m’approcher le plus de mes records personnels, sans penser au classement, a servi mes intérêts. C’est pourquoi je suis restée très calme durant les deux jours.»
«Une telle opportunité ne se représentera peut-être plus jamais»
Elle a déjà reçu des félicitations de partout. De Rhisnes, où elle a grandi. De Liège, où elle est installée depuis qu’elle fait des études en géographie. De sa famille au Sénégal aussi. Bref, de partout. Et l’on ne compte pas les messages dithyrambiques qui ont envahi les réseaux sociaux. «J’imagine que l’on doit parler de moi au pays.» En fait, une bonne partie de la Belgique s’est réveillée à 4 heures du matin pour ne pas louper son triomphe. Depuis qu’elle a franchi la ligne d’arrivée du 800 mètres, la jeune femme qui fêtera ses 22 ans vendredi est devenue une sorte d’héroïne pour tout un peuple. «Je dois vous avouer que, ce matin, j’ai un peu flippé. Cela me fait peur car je n’ai pas envie que ma vie change. Voir mes copains, aller à l’université, puis m’entraîner, tout ça me plaît. Je ne veux pas devenir une superstar. Il va me falloir gérer ce nouveau statut. Mais avant, je veux prendre du repos et en profiter.»
Dans quelques semaines, elle se remettra au travail. «J’espère que je pourrai encore m’entraîner comme avant, sourit-elle, sans y croire un instant. Je sais que l’on va attendre de moi que je sois au top à chaque fois. Mais c’est tout bonnement impossible. Il faut vous rendre compte qu’un concours pareil, on n’en fait peut-être qu’un seul dans sa vie. Il est sorti au meilleur moment. Parce que même si j’espère être encore plus forte, je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait. L’opportunité d’être championne olympique ne se présentera peut-être plus jamais à moi. Des athlètes courent après ça durant de longues années sans jamais y arriver. Et moi, j’ai cette médaille du premier coup, alors que je ne l’avais pas du tout envisagée. C’est de la folie.»
«Je déciderai mercredi pour la hauteur»
Une fois qu’elle aura digéré le plus grand exploit de sa carrière, elle se fixera de nouveaux objectifs. «N’attendez pas de moi que je gagne tout désormais. J’ai réussi l’heptathlon parfait.» Reste qu’elle est encore très jeune et qu’elle dispose, selon son entraîneur, d’une grande marge de progression. «Je sais que je peux m’améliorer dans certaines épreuves mais que voulez-vous que je gagne de plus que le titre olympique? Il n’y a rien au-dessus.» Et le record d’Europe détenu depuis 2007 par Carolina Klüft (7032 points)? «Je n’y pense même pas. 7000 points, cela me semble appartenir à un autre monde. Moi, j’ai dû réaliser le concours parfait pour grimper à 6810 unités. Non, franchement, ça m’a l’air trop haut.» Depuis samedi, on sait, pourtant, que rien n’est impossible dans son chef.
Mais bon, on vous concède que tout ça est encore loin. Jeudi, par contre, débute le concours du saut en hauteur. Inscrite, Thiam ne sait pas si elle y prendra part. «Je ne déciderai que mercredi, dit celle qui détient la 4e performance mondiale de l’année (1,98m). Il faut voir comment j’aurai récupéré physiquement. Là, je suis cassée. Et puis, j’ai laissé beaucoup d’influx nerveux dans ce concours et je vais devoir aussi me remettre de mes émotions.»
A moins de 22 ans, elle les fêtera vendredi, Nafissatou Thiam est entrée dans le panthéon de l’athlétisme belge. Elle a réalisé l’exploit de remporter la médaille d’or de l’heptathlon des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro. Elle offre à la Belgique sa 4e médaille dans ces JO après l’or de Greg Van Avermaet dans la course cycliste en ligne, le bronze du judoka Dirk Van Tichelt (-73 kg) et l’argent de Pieter Timmers sur 100 m nage libre. « Championne Olympique, c’est plus que tout ce dont j’ai jamais rêvé », a été la première réaction de l’athlète féminine la plus complète de la planète. « Ma première pensée une fois la victoire assurée? Je suis championne Olympique. »
Elle est la 4e championne olympique de l’athlétisme belge après Gaston Reiff (5000 m) en 1948 à Londres, Gaston Roelants (3000 m steeple) en 1964 à Tokyo et Tia Hellebaut (saut en hauteur) en 2008 à Pékin. C’est aussi la 12e médaille dans le bilan national du sport numéro des Jeux Olympiques. Elle décroche ainsi la 146e médaille olympique belge et la 39e en or.
« J’ai commencé à y croire après la longueur »
Samedi, Thiam s’est imposée avec un total de 6810 points, meilleure performance mondiale de l’année. Thiam, qui aussi la 16e meilleure performeuse de tous les temps, s’est offert le luxe de battre dans l’ordre la Britannique Jessica Ennis-Hill (6775), sacrée il y a quatre ans à Londres et la Canadiernne Brianne Theisen-Eaton (6653). Nafissatou Thiam n’était que la 7e meilleure performeuse mondiale de la saison avant les Jeux grâce à ses 6491 points réussis à Götzis.
« J’ai commencé à y croire ce matin après la longueur qui a été très bonne. Je me suis dit qu’une médaille était possible mais pas l’or. Ce n’est qu’après le javelot, que je ne m’attendais pas à faire aussi bien, là je me suis dit que la médaille d’or était possible. Il fallait juste que je donne tout ce que j’avais dans le 800m pour que première ou deuxième je ne regrette rien car j’aurai fait mon maximum et que je peux être fière de moi. Et voilà c’est l’or. Je suis contente d’avoir réussi à faire cela ici. »
Blessure au coude
Elle a établi au terme des sept épreuves et des deux jours de compétition un nouveau record de Belgique en effectuant un bond de 305 points, grâce à cinq records personnels. Elle y efface ses 6508 points obtenus les 31 mai et 1er juin 2014 à Götzis en Autriche. « 6810 points. Je ne sais pas comment je vais faire pour battre cela. Cela va être chaud. »
Malgré une blessure au coude survenue lors de son dernier essai dans le concours du lancer du javelot aux championnats de Belgique, le 26 juin, elle a multiplié les performances, améliorant ses records personnels et terminant première dans trois épreuves (poids, longueur et hauteur, ex aequo avec la Britannique Katerina Johnson-Thompson). Elle a aussi à cette occasion amélioré sa meilleure performance mondiale du saut en hauteur en heptathlon en effaçant une barre de 1m98.
Samedi, lors de la seconde journée, habituellement sa moins bonne, elle a parfaitement débuté la journée en bondissant à 6m58, à 5 cm du record de Belgique pour retrouver la première place du classement cédée à Ennis-Hill vendredi soir à l’issue de la 4e épreuve le 200 mètres. Elle a ensuite réussi ses records au javelot (53m13) et sur 800m (2:16:54).
« Je savais que je ne devais pas suivre Ennis-Hill »
Elle possédait une marge de 9 secondes sur Ennis-Hill au moment d’abord la dernière épreuve le 800 m. « Je savais que je ne devais pas la suivre, sinon j’allais terminer sur les genoux. Je suis parti à mon rythme. Je suis passée en 1:04 aux 400m, je ne l’ai pas quittée des yeux pour ne pas lui laisser trop d’avance et j’ai tout donné dans les derniers 200 mètres. Quand elle a franchi la ligne j’ai commencé à compter dans ma tête en sachant que j’avais 9 secondes (pour arriver) et quand moi j’ai passé la ligne. Je savais que c’était bon. »
L’an dernier aux championnats du monde de Pékin, Thiam avait pris la 11e place et à ceux de Moscou en 2013, la 14e. Entre-temps, elle s’était classée 3e aux championnats d’Europe de Zurich en 2014. En principe, Nafissatou Thiam doit encore disputer à partir de jeudi les qualifications du concours de saut en hauteur. La finale est programmée samedi.
Ses performances olympiques successives: 100 m haies: 13.56 (1041 points/PB); hauteur: 1m98 (1211/PB); poids: 14m91 (855); 200m: 25.10 (878); longueur: 6m58 (1033/PB); javelot: 53m13 (921/PB); 800m: 2:16:54 (PB/871).
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