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L’ancien député libéral Moussa Sy a décidé de ne plus adhérer à un parti politique. Dans l’interview exclusive qu’il nous a accordée, l’édile des Parcelles assainies s’en explique largement et assène ses vérités sur nombre de sujets qui agitent le landerneau politique sénégalais.
L’actualité est marquée par le débat relatif à la décision du chef de l’Etat d’envoyer 2100 soldats en Arabie Saoudite, dans le cadre de l’opération «Tempête décisive». Vous en dites quoi ?
Je pense que c’est une question à double réponse. Vous savez, l’argument donné par l’Etat du Sénégal, c’est la protection des lieux saints de l’islam et la solidarité à un pays musulman comme l’Arabie Saoudite, dont on dit que c’est un allié du Sénégal, c’est un pays frère islamique. Maintenant, je pense que ce qui est important, c’est qu’il faut d’abord noter qu’il n’y a pas eu vraiment une transparence totale sur la procédure. On sait que le président de la République avait voyagé avec le chef d’Etat major des armées. Ils ont probablement parlé de la présence des Sénégalais. Depuis lors, il n’y a pas eu d’informations. En 24 heures, le ministre des Affaires étrangères s’est présenté devant la représentation nationale pour annoncer l’envoi de 2100 militaires Sénégalais en Arabie Saoudite.
Je pense que ce n’est pas parce que la Bid a prêté 100 milliards qu’on envoie 2100 soldats. Je le pense. Mais, je pense qu’on peut louer le professionnalisme de nos soldats, de nos «Diambars». N’empêche, je pense qu’il ne faut pas sacrifier ces derniers sur des intérêts privés, parce que nous n’avons aucun intérêt au Yémen. Et je pense les lieux saints ne sont pas menacés. Il n’y a pas de guerre en Arabie Saoudite, ni même à la frontière. Au contraire, c’est l’Arabie Saoudite même qui bombarde des portions et des zones rebelles au Yémen. Ça, tout le monde le sait.
Pourquoi donc le Sénégal devrait-il aller prêter main forte à l’Arabie Saoudite ?
Comme vous le savez, c’est le chef de l’Etat qui est le chef suprême des forces armées, peut-être que lui, il connaît les raisons. Mais, nous attendons de voir ce que ça va donner. Mais, l’essentiel, c’est que je loue le professionnalisme de nos «Diambars». Et je pense que le chef d’Etat major et son staff ont pris toutes les précautions, pour qu’au cas où nos «Diambars» seraient là-bas, qu’ils puissent être protégés. C’est ça que nous souhaitons. Maintenant, c’est le chef de l’Etat qui sera le seul responsable de ce qui adviendra, demain, de la présence des «Diambars» au Yémen. Mais, je pense que, comme toute l’opinion, qu’on n’a rien à faire au Yémen. Maintenant, si c’est l’Arabie Saoudite, comme ils le disent, attendons de voir pour connaître la suite. Mais, des fois, entre ce que dit l’Etat, officiellement, et ce qui se dit officieusement, ou bien ce que l’on voit sur le terrain, c’est diamétralement opposé.
Quel est votre point de vue sur la question de la réduction ou non de la durée du mandat présidentiel ?
Moi, je pense que c’est un faux débat, c’est une diversion. Ce qui est important, c’est que le président de la République a eu rendez-vous avec les Sénégalais en 2012, et ils l’ont plébiscité à 65%. Il a pris des engagements, les Sénégalais le jugeront sur ses engagements, sur ses promesses. Pour les autres, ça sera peut-être des programmes alternatifs à proposer. Tout le reste, ça sera que de la diversion. Tout le temps qui a été pris, où les gens se sont focalisés sur cette fausse information, si on l’avait mis sur la crise scolaire, on n’aurait signé depuis lors les accords.
Les enseignants auraient suspendu leur mot d’ordre depuis longtemps. Mais, c’est de la diversion, c’est une perte de temps. Le Président, il sait ce qu’il doit faire. Le moment venu, il le fera, et les Sénégalais jugeront. Le dernier mot revient aux Sénégalais qui vont aller aux urnes. Par A ou B, en 2017, il va y avoir une élection. Si elle n’est pas présidentielle, elle sera législative. Et les Sénégalais se prononceront positivement ou négativement. C’est ça la vie politique du Sénégal. Tout le reste, c’est de la diversion. Et je pense qu’on pourrait vraiment s’en passer. Malheureusement, ceux qui parlent de rupture, de nouveaux concepts, on voit qu’ils ne font que de la politique politicienne.
L’apologie que le Président Macky Sall a faite de la transhumance a beaucoup agité le landerneau politique…
Je ne peux plus vraiment perdre mon temps sur la transhumance. Je pense que le Président l’a dit dans des moments, où ce n’était pas bon. Vous savez, une tournée économique, voire politique-politicienne, c’est toujours des moments difficiles. Il y a le stress et tout, mais je ne pense pas que le Président puisse, quand même, aujourd’hui, vouloir faire comprendre aux Sénégalais que la transhumance, c’est du feeling. Non, ce n’est pas du «feeling», c’est de la mauvaise chose. Je pense que c’est à bannir, c’est à combattre. Quand on parle de valeurs, de vertus, on ne peut pas parler de transhumance. Et on a vu que les transhumants, ce sont des gens qui sont fatigués, en général, qui sont dans le besoin. Et le malheur dans tout ça, ce n’est pas de la volonté, ce n’est pas de l’initiative politique, ce sont des gens qui sont démarchés. Il y a des courtiers qui viennent vous démarcher et qui vous disent : «Si vous acceptez, on va vous aider sur ça, on va vous donner tel poste, on va vous promouvoir à tel niveau». C’est ça qui est mauvais. Maintenant, tout Sénégalais est libre de dire : «Moi, j’étais dans l’opposition, aujourd’hui, je vois un Président, il me convient, librement j’adhère à son parti. Je vais aller acheter la carte et militer». Mais, quand on vous reçoit au Palais, on vous met une corde.
Que voulez-vous dire par-là ?
On vient, on trouve Moussa Sy dans son bureau. On lui fait des propositions, on lui attache une corde. Le courtier le traîne jusqu’au Palais. Le soir, on le voit devant les caméras chanter tous les projets du président de la République, dire qu’il est bien, alors qu’il l’avait combattu, hier, et avait participé à toutes les réunions pour le défenestrer de l’Assemblée nationale. C’est ça qui est immoral, c’est ça qu’il faut combattre, c’est ça qu’il ne faut pas accepter. Et dans ce pays-là, aujourd’hui, c’est ce que nous voyons. Moi, je connais des cas patents, des gens qui ont combattu Macky Sall à l’Assemblée nationale, qui ont participé à toutes les réunions que le Président Wade a convoquées pour défenestrer Macky Sall de l’Assemblée nationale, aujourd’hui, ce sont ces mêmes gens-là qui ont accepté d’être attachés par une corde, d’être traînés jusqu’au Palais et qui disent que Macky est bien.
Mais, dans certains cercles du pouvoir, on parle de mobilité politique…
Alors qu’hier, ils l’ont vomi, ils ont poussé Wade à le faire quitter l’Assemblée nationale. Dieu a sanctionné Wade pour mettre Macky à sa place. Pour leur dire que c’est Dieu qui décide. La mobilité politique, elle n’existe pas. Dans ce pays, il y a deux choses importantes, aujourd’hui, qu’il faut régler, deux problèmes à résoudre, deux questions pour lesquelles, il faut trouver des solutions. C’est le manque de démocratie dans les partis politiques. Le manque de démocratie au niveau des partis politiques et la transhumance, ce sont deux questions que notre génération et les générations futures devront régler. Il y a des choses, on ne doit plus les accepter après 2020 dans ce pays-là. Il faudra que ça s’arrête. Il faut que les partis fonctionnent démocratiquement. Il n’y a aucune règle démocratique dans les partis politiques. Ils créent leurs partis, les gens viennent y adhérer, après ils font ce qu’ils veulent. Ils décident de tout, ils deviennent des dictateurs. Et ça, c’est inacceptable, c’est immoral !
Donc, c’est sur ça que la population sénégalaise, les intellectuelles de ce pays, doivent réfléchir. Et je sais que si les partis politiques ne changent pas, ils vont disparaître. Je pense que c’est fondamental pour notre génération et les générations futures de travailler à ce que d’ici à quelques années, on ne parle plus de transhumance dans ce pays-là. Et que les partis puissent fonctionner démocratiquement, qu’ils puissent connaître des alternances à leur tête. C’est ça qui fera l’avenir de ce pays-là.
A votre avis, est-ce que les choses bougent dans ce pays ?
Il y a des choses qui ont été faites et qui sont positives. Par exemple, j’ai vu qu’il y a la carte pour l’égalité des chances qui a été lancée. C’est une forte attente des personnes en situation de handicap. Donc, je pense que c’est important. Je pense que ce sont des choses à saluer. Mais, il ne faudrait pas que ça reste seulement une volonté politique. Il faut mettre en œuvre cela, et il faut faire un suivi, pour que ces personnes-là puissent bénéficier des avantages, qu’ils puissent s’apercevoir que l’Etat a pensé à eux. C’est important ! Comme d’autres projets aussi. La Couverture maladie universelle, il faut corriger les imperfections. C’est une bonne chose. Les bourses familiales, dérisoires qu’elles soient, c’est important ! Tout ce qui, tous les jours, participe à diminuer les difficultés sociales de nos administrés, de nos populations, est une bonne chose. Donc, il ne faut pas toujours «négativiser». Je ne suis pas dans ces positions. Il y a des choses que l’Etat actuel fait qui est bon, il y a d’autres choses, comme la transhumance, comme autre chose, qui se font et qui ne sont pas normales, et qu’on n’attendait même pas du régime du Président Macky Sall.
Politiquement, on a du mal à vous situer…
Moussa Sy est devenu un citoyen libre, qui a décidé de ne plus être membre d’un parti politique. C’est une décision que j’ai prise.
Qu’est-ce qui a réellement motivé votre départ de «Bokk gis-gis»?
En réalité, «Bokk gis-gis» n’a jamais été un parti. C’est devenu un parti. Moi, je n’ai pas participé à la création de «Bokk gis-gis». Je ne suis pas membre fondateur, et je n’ai pas participé au Congrès du parti du président Pape Diop. Le Pds aussi, on nous avait exclus avec le président Pape Diop, quand on a voulu contester le choix du maire Oumar Sarr comme coordonnateur du parti et tête de liste du parti.
On n’avait une coalition «Bokk gis-gis» pour aller aux législatives. J’étais candidat de la coalition à Dakar. Après, en toute connaissance de cause, j’ai pris une décision. Et ça fait trois ans que cette décision-là, je la respecte. Et tous les jours que Dieu fait, pendant les prières et après les prières, je prie pour que rien ne me change par rapport à cette décision-là. C’est-à-dire : je ne ferai plus partie d’un parti politique, jusqu’à la fin de ma carrière politique. Je suis un leader d’opinions dans mon quartier, je suis le maire des Parcelles. Je peux participer au développement de mon pays, aux activités citoyennes de mon pays, sans être dans un parti. C’est mon choix. Je ne cherche plus à chercher un avenir politique. Je ne le cherche plus. Non ! Je travaille pour mon pays, et je me bats pour que tout ce que je peux récolter soit licite.
Qu’est-ce qui s’est passé pour que vous en arriviez à cette décision radicale ?
Ce qui m’a poussé à me révolter de cette manière-là, c’est qu’aujourd’hui, comme je l’ai dit, c’est qu’il n’y a plus de partis politiques démocratiques dans ce pays. Les partis politiques ne fonctionnent pas démocratiquement. Comme je l’ai dit, il y a un leader qui crée un parti, parce qu’il a les moyens. Regardez ce que je dis, c’est réel, c’est du palpable. Je n’invente rien ! (Rires) Si vous prenez 99% des partis au Sénégal, ils ne fonctionnent pas démocratiquement. Ces partis qui n’ont jamais fait de Congrès, dont le processus de vente de cartes et de renouvellement des instances n’a jamais abouti. Tous les cinq grands partis de ce pays-là, en dehors du Parti socialiste – qui a fait récemment un congrès et qui n’a même pas terminé dans certaines zones ses renouvellements – tous les autres partis ont des problèmes de fonctionnement, ont des problèmes pour renouveler leurs instances, pour passer le témoin à d’autres personnes. C’est un diktat ! Ce sont des décisions unilatérales, dictatoriales, avec des insultes à la bouche. Comment vous-voulez que notre génération-là puisse accepter cela. Moi, en tout cas, personnellement, j’ai décidé de ne plus être dans un parti, où je vais suivre une personne qui décide de tout, avec son épouse, avec ses enfants ou avec un clan. Non. Je ne suis plus dans ces choses-là. Je ne perds plus mon temps dans les partis. Je ne suis pas contre les partis, parce que j’ai été formaté dans les partis. J’ai cru à un idéal, Abdoulaye Wade. Le Pds, j’y ai adhéré. J’y ai fait 26 ans d’activités politiques. J’ai été deux fois député, deux fois maires. |