Au deuxième jour de son procès devant la Cour d’assises de Saint-Omer, Fabienne Kabou, accusée d’avoir abandonné sa petite fille sur une plage de Berck, a livré le récit glaçant de son crime, rapporte le « Nouvelobs ». Ainsi Fabienne Kabou, froide et détachée, est-elle capable de revenir sur les faits, sans honte ni émotion. De les égrener, « comme ces petits cailloux » qu’elle aurait sciemment laissés tomber derrière elle le 19 novembre 2013, en partant « tuer » sa fille. Elle part de Saint-Mandé avec Adélaïde dans sa poussette, comme elle l’avait décidé la veille, direction Berck-sur-Mer : « Le bus. Le train. Des gens charmants ». Sur place, elle trouve un hôtel proche de la plage, joue dans la chambre avec « Ada », la fait manger un peu. Vers 21 heures, « il fait suffisamment nuit, je descends » avec la petite dans les bras, « le gérant de l’établissement regarde la télé ». « Je vais jusqu’à la plage. Je la berce. Je lui donne le sein. Je la fais dormir. Je la pose sur le sable. Je fais le constat à mes bottes enfoncées dans l’eau que ma fille en est couverte. Et devant son silence, je m’enfuis ». Fabienne Kabou dit qu’elle court, retourne à l’hôtel, se « douche peut-être », pense « avoir dormi d’un sommeil de plomb ». Le lendemain, elle rentre à Saint-Mandé, « avec l’attitude de quelqu’une qui est allée faire une course ». « Qu’est-ce qui pourrait expliquer que je commette cet acte ? » Elle répond : « Tout ça, c’est un ensemble de pourquoi… » Et pensive : « J’ai presque envie de reprendre l’histoire à rebours ». Mais elle se dit « toujours empêtrée », car « si j’ai eu l’intention de tuer ma fille, alors ce n’était pas conscient ». Fabienne Kabou s’est sentie « pressée », « incitée », affirme qu’elle n’avait « pas le choix », que « la date était fixée », c’était « ce jour-là, et pas un autre ».
Comme on peut se regarder sous tous les angles dans un miroir, Fabienne Kabou enfile tous les rôles, de la victime à l’accusée, en passant par l’experte. Elle s’interroge : « L’idée de la pathologie mentale ? En des instants précis, je pense que ça ne doit pas être stupide ». Et juge : « Mais ce que je pense et ce que je dis me semble suffisamment cohérent… Non, je ne me sens pas malade ». Dans un furtif éclair de lucidité, on croit que le masque se craquèle, parce qu’une larme échappe à l’œil de l’accusée : « Si je ne voulais pas de cet enfant, je ne l’aurais pas porté neuf mois !… J’avais mille et une possibilités, comme la mettre à l’assistance publique, la déposer à une église ». Mais la mère infanticide peut dire tout et son contraire.
Au juge d’instruction, elle a lâché : « J’aurais aussi pu congeler mon bébé, c’était à la mode ! » La présidente de la Cour d’assises, Claire Le Bonnois, fait donc bien de se demander si Fabienne Kabou prend la juste mesure de ses mots. Voire d’elle-même. Une lourde question pèse sur cette semaine d’audience. L’avocate de Fabienne Kabou, Fabienne Roy-Nansion, la pose dans les couloirs du tribunal : « Quand va-t-on se rendre compte que cette femme délire en permanence ? Quelle est donc la frontière entre l’altération du discernement, à laquelle ont conclu les experts psychiatres, et l’abolition de ce dernier ? » Car celle qui a tué la petite Adélaïde est à vrai dire bien loin de nous tous : perdue dans les méandres de sa folie. Et les débats de la Cour d’assises tournent péniblement à vide.