Yaya Jammeh n’était pas copain-copain avec lui, mais il supportait mieux Abdoulaye Wade que son successeur, Macky Sall. Le Président gambien s’en explique dans un entretien choc avec Jeune Afrique au cours duquel les coups pleuvent. Du classique.
Dans un entretien paru sur le site de Jeune Afrique, Yaya Jammeh vide son sac. Contre les Occidentaux qui le « détestent », contre Ban Ki Moon « qui est raciste », contre certains de ses pairs africains « qui prennent leurs ordres en Occident » … et contre Macky Sall avec lequel il entretient des relations « pires » que celles, difficiles certes, qu’il avait avec Wade.
Le Président gambien commence par le blocus de la Transgambienne. Il rejette la responsabilité sur le Sénégal. « Ce sont les agents sénégalais qui travaillent à la frontière qui ont imposé un système de tarification illégal aux transporteurs gambiens, et je m’en plains depuis des années. La situation était devenue intenable, et, comme rien n’a été fait, ni sous Abdoulaye Wade ni sous Macky Sall, j’ai décidé d’imposer les mêmes taxes aux Sénégalais. C’est de là que tout est parti. »
Les transporteurs sénégalais, qui ont subitement appris le passage de 4000 francs Cfa à 400 000 du tarif de la traversée du territoire gambien, apprécieront. Mais c’est de l’histoire ancienne depuis que les deux parties ont levé le blocus à la suite de longues et difficiles négociations.
Pour autant, les relations entre le Sénégal et la Gambie sont-elles aujourd’hui comme un long fleuve tranquille ? Yaya Jammeh n’y va pas par quatre chemins : « Elles sont bien pires que du temps d’Abdoulaye Wade ! Comme Macky Sall, il (Wade) était animé de mauvaises intentions, mais il était plus discret. Il (Wade) n’a jamais laissé les dissidents gambiens s’exprimer librement, proférer leurs menaces dans les médias publics sénégalais. Macky Sall, lui, le fait sans vergogne. Son gouvernement protège tous ceux qui complotent contre mon pays, tous ceux qui commettent des délits en Gambie et qui fuient en prétendant que leurs droits sont bafoués. Je lui ai fait parvenir un message et j’ai été très clair : si ces personnes qu’il protège attaquent la Gambie, alors j’attaquerai le Sénégal. J’y suis prêt. »
« Fier d’être taxé de dictateur »
Fin du chapitre sur le Sénégal. Jammeh en ouvre d’autres pour la suite de l’entretien réalisé à Farafenni (300 kilomètres de Banjul), à 3 heures du matin, juste à la fin d’un conseil des ministres qu’il a convoqué à minuit.
À ceux qui le taxent de dictateur, il adresse un doigt d’honneur : « J’en suis fier. Du fait que personne ne meure de faim en Gambie et que tout le monde puisse bénéficier gratuitement d’une éducation. Lorsque j’ai pris le pouvoir, ce pays était l’un des plus pauvres du monde, il ne l’est plus. Il y a une opposition, un Parlement, un système de santé fiable… Appelez-moi dictateur si vous le voulez, mais je ne suis qu’un dictateur du développement. Je n’y peux rien si les Occidentaux sont habitués à ce que les chefs d’État africains ne soient que des béni-oui-oui, sans plus d’indépendance que Mickey Mouse. Moi, je ne suis pas un suiveur. Je dirige. »
Lorsque le journaliste objecte que la Gambie est l’un des pays les plus pauvres de la planète en citant un rapport de 2015 du Pnud, Jammeh manque de s’étrangler. Il dit : « J’ai un problème avec les institutions de Bretton Woods. Ma croissance, ma prospérité économique, c’est moi qui les définis. Je regarde combien de personnes ne pouvaient s’offrir un déjeuner ou une bicyclette hier et combien le peuvent aujourd’hui. Cela me suffit. À quoi sert-il d’avoir un taux de croissance à deux chiffres quand la moitié des écoles sont vides parce que les enfants sont obligés de travailler ? À quoi cela sert-il d’avoir des millions en banque lorsque des millions de gens peinent à se nourrir ? Vous pouvez me qualifier de socialiste, mais moi, j’appelle ça être humain. »
« Ban Ki-moon est raciste »
Pour le reste de l’interview, l’homme fort de Banjul se borne à distribuer les bons points et les mauvais points. Ban Ki-moon et sa leçon sur l’homosexualité : « Eh bien qu’il vienne ici, et on verra ce que je lui répondrai ! En plus, il est raciste. Il a écarté tous les Africains des postes à responsabilité à l’Onu. »
Les relations avec l’Occident : « Je n’ai pas d’amis en Occident et je n’en veux pas. Les Occidentaux me détestent parce que je ne me ridiculise pas à dire que je suis ce que je ne suis pas, mais je m’en fiche. »
Ses amis en Afrique : « J’aime parler avec Robert Mugabe (président du Zimbabwe). Nous n’étions pas proches au début, mais maintenant nous le sommes. C’est la même chose avec Alpha Condé (chef de l’État guinéen. J’ai été ami aussi avec Mathieu Kérékou et avec Omar Bongo Ondimba (ex-présidents, aujourd’hui décédés, du Bénin et du Gabon. Des amis, en fait, j’en ai eu et j’en ai plein. »
Son ex-ministre de la Justice devenue procureur à La Haye, Fatou Bensouda : « Son job est difficile et, contrairement à ce que j’entends, la CPI ne vise pas spécialement l’Afrique. Ce n’est pas Bensouda qui voulait Gbagbo, c’est Ouattara qui le lui a envoyé en disant qu’il ne pouvait pas le juger sur place. Les leaders africains râlent aujourd’hui. Mais pourquoi ont-ils signé [le traité ratifiant la CPI] en sachant qu’ils pouvaient en être victimes ? »
Au juste, demande le journaliste de Jeune Afrique, pourquoi Jammeh est toujours en boubou ? Réponse : « Avez-vous déjà vu un homme politique porter un boubou en France ? J’ajoute que quand ils viennent chez nous, on leur fait des cadeaux. Ils nous remercient, ils sourient, mais on ne les voit jamais les porter sur des photos. Je suis sûr qu’ils les jettent à peine montés dans l’avion. »