Les députés paient l’impôt. Mais leurs bulletins de salaire présentent quelques bizarreries relevées sur un spécimen.
Ils ont adhéré volontiers au principe de l’inversion de la charge de la preuve. Tenant coûte que coûte à se dédouaner. Avec l’espoir de gommer l’accusation de fraudeurs du fisc, qui leur colle à la figure et écorne encore plus leur image depuis qu’Ousmane Sonko a révélé qu’il n’y a pas de reversement d’impôts à l’Assemblée nationale. Le président Moustapha Niasse ainsi que plusieurs de ses collègues députés se sont pliés à l’exercice de transparence. Celui-ci aurait pu être un succès total, si l’avis d’un expert fiscal n’était pas venu tout remettre en cause.
Niasse sort du bois. Enfin !
Par un communiqué diffusé dans les rédactions ce lundi, la direction de la communication de l’Assemblée nationale a tenté de balayer les accusations de Sonko. Affirmant que non seulement les députés payent l’impôt, mais qu’il y a bien eu reversement des montants prélevés à la source sous la 12e législature. Que l’institution a, à ce titre, versé à l’administration fiscale près 175 millions et qu’un montant de près de 150 millions est « en cours d’ordonnancement pour être payé ».
La même source ajoute qu’à son avènement, le 30 juillet 2012, la 12e législature a même épongé une dette fiscale pour un peu plus de 120 millions de francs CFA. « Au nom du principe intangible de continuité du service public. » L’Assemblée nationale subira certes un redressement pour la période 2010-2013, mais, indique la direction de la communication de l’institution, celui-ci ne couvre pas les versements déjà effectués. D’ailleurs, rapporte le communiqué, cette procédure « fait l’objet d’un contentieux en voie de règlement par une réconciliation des chiffres en cours entre les deux parties ».
Avant ces précisions du Parlement, deux députés (un non-inscrit et un de l’opposition) avaient accepté pour SeneWeb de détailler la nature et les montants des retenues opérées sur leurs indemnités mensuelles. Ils disent la même chose qu’un troisième (majorité) qui est allé plus loin en acceptant de nous remettre son bulletin de solde. Avec la recommandation suivante : « Il faudra le publier afin que les Sénégalais sachent que contrairement à ce qui se dit ces derniers jours, les revenus des députés sont bel et bien imposés à la source. »
Indemnité trop généreuse
On peut donc affirmer sans trop courir le risque d’être démenti que les députés s’acquittent de leur devoir vis-à-vis du fisc. La fiche de paie dont nous avons copié, fait foi. Consultons-la en détail. De plus près. Le brut imposable du député est de 722 504 francs CFA sur le bulletin de salaire que nous avons examiné. Ce montant est alimenté par 8 rubriques : « Solde mensuelle indiciaire », « Complément spécial », « Indemnité de résidence », « Indemnité kilométrique », « Indemnité complémentaire », « Ajustement solde », « Augmentation salaire » et « Augmentation solde mars 2002 ». Il supporte trois types de retenues pour un total de 89 067 francs CFA dont 53 067 exclusivement pour les impôts : « Minimum fiscal » (1000 francs CFA), « Impôt sur le revenu » (52 067) et « CRAN » pour Complément retraite Assemblée nationale (36 000).
Ces retenues effectuées, le député se retrouve avec un net de 633 437 francs CFA. À cette somme, est greffé un généreux « Complément indemnité représentation » de 666 563. Presque autant que le brut imposable. Une indemnité exonérée d’impôt et qui permet au parlementaire « simple » de gagner chaque mois 1,3 million de francs CFA net d’impôts.
Ils sont 120 députés à recevoir ce traitement. Les 30 autres bénéficient de revenus nettement supérieurs grâce à un certain nombre d’indemnités supplémentaires attachées à leur statut particulier (président, vice-présidents, présidents de commissions, présidents de groupes parlementaires, etc.). « Vous voyez vous-mêmes : on nous livre à la vindicte populaire alors que nous payons l’impôt comme tout le monde », jubile, l’air satisfait, le député qui nous a remis son bulletin de solde. Comprendre : ceux qui prétendent que les députés ne paient pas l’impôt peuvent donc aller se rhabiller.
Indemnité indue, exonérations suspectes
Soit. Mais il serait bien trop tôt de bomber le torse. La fiche de paie en question est truffée de bizarreries. « Le niveau d’imposition des députés est trop bas », pose un inspecteur des Impôts et des Domaines contacté par SeneWeb. Notre interlocuteur, qui a requis l’anonymat, « pour des raisons évidentes », indique avoir « relevé plusieurs anomalies » sur le document soumis à son expertise. Il détaille : « D’abord le montant prélevé au titre de l’impôt (53 067 francs CFA) est très faible par rapport au brut imposable (722 504). Le tableau de simulation montre qu’avec ce brut imposable et pour 5 parts (le maximum légal, sachant que plus on a de parts, moins l’impôt à payer est élevé, NDLR), un député devait payer un peu plus de 100 000 francs CFA. C’est ce que paient tous les citoyens avec ce niveau de revenus et le même statut matrimonial. »
L’expert croit comprendre que l’Assemblée nationale a usé d’une « petite astuce » pour amortir la pression fiscale sur les indemnités des députés tout en gonflant le « Brut imposable ». Il détaille : « L’indemnité kilométrique du député (200 000 francs CFA) n’est pas effectivement taxée. Pourtant sur le bulletin de salaire elle figure en bonne place dans le champ des indemnités imposées. Si on la prend en compte dans le calcul de l’impôt, le député s’acquitte presque du double de ce qu’il paie actuellement (53 067). Cette indemnité ne rentre pas dans le calcul, et ce n’est pas normal. C’est une fraude manifeste. »
Plus grave selon l’inspecteur des Impôts et des Domaines, les députés reçoivent chaque mois une indemnité kilométrique alors qu’ils n’y ont pas droit. Celle-ci est accordée au travailleur qui utilise son propre véhicule dans le cadre de l’accomplissement de sa mission. Ce n’est pas le cas pour les titulaires de sièges à l’Assemblée nationale qui ont droit chacun à une voiture au moins.
Autre anomalie décelée par notre source : l’exonération du « Complément indemnité représentation » de 666 563 francs CFA. Il explique : « Toutes les indemnités doivent être imposées. Certaines peuvent être exonérées, mais ce sont les petits montants. Les gros montants doivent être taxés. C’est le cas de l’indemnité de judicature des magistrats que Wade avait portée à 800 000 francs CFA. »
Un député coûte 169 millions
S’il apparaît donc que les députés paient l’impôt et que, selon le service de communication de l’Assemblée nationale, il y a eu reversement d’impôts sous la 12e législature, il reste que le niveau de cette imposition est faible selon l’expert que nous avons contacté. Et, pis, pour établir cette base de calcul « injuste », « l’Assemblée nationale s’est assise » sur le Code des impôts en usant de pirouettes peu catholiques.
Ces remarques sont bien parties pour faire grand bruit. D’autant que les députés passent déjà pour des privilégiés au vu des nombreux avantages qui leur sont accordés dans le cadre de l’accomplissement de leur mission. Dans un article bien documenté paru sur SenePlus. Com, l’éditorialiste Saliou Guèye révélait qu’au bout d’un mandat de 5 ans chaque député aura coûté en moyenne la somme de 169 millions de francs CFA au contribuable sénégalais.
Il faudra donc ressortir la calculette. Procéder aux correctifs nécessaires en intégrant, notamment, le manque à gagner causé au fisc par le faible niveau d’imposition des représentants du peuple.