Ayant contracté la malvoyance de façon «héréditaire» comme d’autres membres de sa famille, Hamidou Pouye n’en a pas fait un obstacle pour vivre dignement sa vie. Une formation en journalisme presque bouclée (il ne lui reste qu’à soutenir son mémoire), le Rufisquois espère s’en sortir grâce au métier de journaliste dont il se dit passionné depuis son adolescence. Pour le moment que des radios communautaires pour ses 3 ans de carrière dans la profession mais il voit en grand son avenir.
Tous les lundis résonne, de 16 à 17 heures, une voix grave que les habitués de la radio Oxy-jeunes, qui émet depuis Pikine, consomment à travers l’émission «Espace Handicap». Derrière cette voix de stentor qui ne contraste guère d’avec son physique de gaillard bien bâti, se cache Hamidou Pouye, premier étudiant malvoyant de l’école supérieure de la presse, de l’information et des techniques de santé (Esprits) créée en 2009, installée dans la région de Thiès. C’est d’ailleurs dans cette région qu’il a fait tout son cursus éducatif. L’institut national d’éducation et de formation des jeunes aveugles du Sénégal (Inefja, un internat) où il a fait le cycle primaire est le seul établissement public du pays pour enfants déficients visuels.
La détermination comme moteur de son ambition de se forger loin du champ de la mendicité, «solution ultime de survie», comme il le définit lui-même, Pouye intègre tour à tour le collège public Idrissa Diop puis le lycée Malick Sy sous le «régime intégré». Il s’agit de cours avec des élèves valides, les textes étant transcrits en braille pour les malvoyants. Ça aurait été plus difficile encore n’eût été «la générosité de quelques camarades de classe» qui faisaient pour lui la lecture. «Œuvres et textes (en braille) étant reçus partiellement mais aussi tardivement», se souvient-il comme principal écueil n’ayant toutefois en rien altéré sa volonté d’arriver à ses fins.
Le baccalauréat en poche en 2008, l’absence de la méthode braille dans les universités et écoles de formation en journalisme le fait errer jusqu’à son entrée à «l’Esprits» pour enfin s’assurer une formation diplômante dans le métier de ses rêves. C’est en fait depuis le collège que Hamidou s’est entiché de la profession de journaliste. «En classe de 4ème, j’avais déjà créé la radio scolaire Fm3», raconte-t-il.
Du haut de son mètre quatre-vingt, notre homme dispose aussi de connaissances de technicien. Une compétence innée, car avoue-t-il, n’avoir eu aucun enseignement en ce sens. «Ce sont des connaissances héritées, comme la malvoyance, de mon père», lance-t-il avec un brin d’humour, histoire de décrisper l’ambiance. C’est ce pater, polygame et malvoyant de situation sociale modeste, qui est à l’origine de tout. «Il nous a tous envoyés à l’Inefja car il est contre la mendicité qui est le triste sort réservé à la plupart des non-voyants», distille, avec une grande reconnaissance, le journaliste malvoyant qui partage ce handicap avec quatre autres de ses frères et sœurs.
Aujourd’hui trentenaire, l’animateur de «Espace handicap» vit cette pathologie «héréditaire» au contact des ordinateurs, micros, dictaphones et autres tout en voyant l’avenir en grand. «Je rêve d’avoir une radio qui sera principalement un médium de sensibilisation pour les personnes vivant avec un handicap», confesse le journaliste sorti d’école en 2014 après une formation de 3 ans.
Outre son émission hebdomadaire, qui traite des impacts de la situation handicapante dans la vie sociale, Pouye qui a fait ses premiers pas à la radio communautaire Jokko Fm est homme de terrain. De la collecte à la diffusion en passant par le traitement de l’information, il fait tout, Nvda, un logiciel parlant installé dans sa machine aidant, en dépit d’un revenu insignifiant. «Je perçois à chaque fois que l’aide à la presse est distribuée. C’est juste une radio communautaire», avise le marié, père d’un garçon. Un revenu annuel qui ne le démotive outre mesure. «Je sais me débrouiller pour vivre», enchaîne-t-il.
Ce qu’il veut pour le moment c’est trouver un meilleur emploi dans une radio privée plus huppée ou à la chaîne publique nationale. «Quel avenir après le retrait des bailleurs pour l’éducation inclusive ?» Ce sujet de mémoire qu’il n’a toujours pas finalisé du fait de l’indisponibilité de ses encadreurs, il espère bien y trouver une réponse positive. «J’espère trouver le financement d’une Ong ou d’un investisseur qui croit en mes capacités», lance-t-il avec optimisme en pensant à la radio dont il rêve et qui fera de son existence une vie de journaliste bien accomplie.
Auteur: Alioune Badara NDIAYE – Lequotidien