Depuis une semaine, le débat au Sénégal est marqué par le cumul des mandats électifs suite à la destitution de Aïda Mbodj de son poste de présidente du Conseil départemental de Bambey. Mais si le législateur a décidé que personne ne doit exercer plus de deux mandats électifs (et pourtant c’est la décision du peuple souverain), quid de ceux qui occupent plus de deux postes administratifs au sein des structures de l’Etat ? L’exemple le plus grave et le plus scandaleux est sans nul doute celui de Mamadou Racine Sy. Patron de Sénégal Hôtels qui est «sa propriété», Racine Sy est aussi président du Conseil d’administration de l’Ipres, Pca de l’Aspt, Pdg du King Fahd Palace, vice-président du Conseil d’administration de la Caisse de sécurité sociale. On en oublie certainement d’autres. Ce qui fait de lui incontestablement le plus grand cumulard sénégalais et peut-être du monde de tous les temps.
Exit Aïda Mbodj, Yetta Sow, Aliou Sow, Daouda Dia… de leur mandat électif de trop. Au Sénégal, c’est désormais l’orthodoxie dans ce domaine. Il fallait le faire parce que c’était l’anarchie généralisée. Du temps du magistère de Me Abdoulaye Wade, ils étaient nombreux à cumuler plus de deux mandats électifs sans que cela ne constitue un scandale. Pire, un député (Ahmed Fall Baraya en l’occurrence) s’était même retrouvé président de Conseil d’administration (du Conseil sénégalais des chargeurs) en totale contradiction avec la loi mais puisqu’il était membre du groupe majoritaire et militait dans le parti au pouvoir, il a bénéficié pendant longtemps de tous les avantages liés aux deux fonctions. Et comme argutie, il expliquait que c’était le tour du patronat et patati et patata.
Mais au-delà des mandats électifs que les bénéficiaires ont tiré, quoi qu’on l’on puisse dire de la confiance de leurs mandants, le cumul le plus choquant dans un Etat de droit est incontestablement celui lié à des postes administratifs dans des fonctions publiques ou des sociétés publiques ou parapubliques.
Souvent en effet, des fonctionnaires, syndicalistes ou membres du patronat occupent plusieurs sièges du fait d’un prétendu «statut». La presse avait fait état dernièrement de la décision de Macky Sall d’expurger de la présidence des Conseils d’administration tous ses conseillers techniques et autres conseillers spéciaux.
Il était fréquent en effet de voir des conseillers techniques à la présidence de la République ou à la primature diriger des conseils d’administration comme s’ils étaient les seuls à pouvoir être à ces postes.
MADEMBA SOCK, UN VERITABLE CAS
Mademba Sock, syndicaliste «guerrier», connu pour son engagement et sa détermination à défendre les travailleurs, est un cumulard qui n’honore pas sa corporation. Mademba Sock est président du Conseil d’administration de la Caisse de sécurité sociale (Css), président du Conseil d’administration de l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (Aser) et membre du Conseil économique, social et environnemental. Tout cela pour une personne. Même s’il doit être délégué ès qualité, est-ce qu’il est le seul membre du syndicat ou de la confédération syndicale qui le mandate ? Pour le Conseil d’administration de l’Aser qu’il dirige, c’était une sucette de Me Abdoulaye Wade qui voulait ainsi le récompenser du soutien qu’il lui a apporté lors de son élection en 2000. Il dirige le Conseil depuis plus de 10 ans et personne ne trouve à redire. Pire, nos confrères de dakaractu avaient révélé il y a quelques mois qu’il a eu un différend avec le Directeur général parce qu’il «réclamait un traitement salarial plus conséquent alors que la réglementation actuelle ne s’y prête pas».
Tout ça donc pour ça sans compter ce qu’il gagne en tant que retraité de la Sénélec…
RACINE SY, LE PATRON DES CUMULARDS
Mais incontestablement celui qui remporte la palme est sans aucun doute Mamadou Racine Sy. Celui qui s’est essayé à la politique sous Wade à Saint Louis en perdant lamentablement avant de mordre la poussière honteusement face à Me Aïssata Tall Sall à Podor, est le plus grand cumulard de tous les temps. Outre sa société qu’il dirige (ce qui est normal), Racine Sy est le Président Directeur général du King Fahd Palace. Un mémorandum a fait le tour des rédactions dernièrement pour dresser le bilan «catastrophique» de sa gestion. Pour cet hôtel qui appartient à tous les Sénégalais que Wade lui a confié avant que Macky Sall ne le renforce, il a pris comme Pdg adjoint sa propre sœur Seynabou Sy.
Outre le King Fahd Palace où il est le Pdg, Racine Sy est le Pca de l’Institut de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres). Il est le Pca de l’Agence sénégalaise de promotion touristique (Aspt). Il est aussi vice-président du Conseil d’administration (donc adjoint de Mademba Sock) à la Caisse de sécurité sociale. Il en était d’ailleurs le Pca jusqu’à la rotation survenue il y a juste 2 ans, le 18 avril 2014. Quand il était Pca de la boîte, son nom avait été cité dans un rapport d’audit.
Si à l’Ipres et à la Caisse de sécurité sociale, c’est au nom du Conseil national du patronat (Cnp) qu’il y siège, il y a à se demander s’il est le seul membre de cette organisation. A moins que les autres soient tellement absorbés par leur travail de chef d’entreprise prospère qu’ils n’ont pas le temps de s’occuper des conseils d’administration.
En tout état de cause, tout est à construire dans ce pays. Les autorités, au-delà des mandats électifs doivent lutter contre le cumul tout court. C’est aussi cela la rupture.
Contrairement au Bénin, il n’y a pas de désert de compétences au Sénégal. Au contraire, elles ne sont tout simplement pas valorisées…
(jotay.net)