Entretien avec Véronique Ndour, Secrétaire général des délégués du personnel du King Fahd Palace(KFP) de Dakar :« La retraite à 60 ans, ce n’est pas quelque chose que nous quémandons, nous l’exigeons »

Derrière l’imposante bâtisse nichée en plein cœur des Almadies de Dakar, une ambiance morose règne à l’hôtel King Fahd Palace(KFP). Il se dégage dans ce fleuron de l’industrie hôtelière du Sénégal un climat délétère voire austère. Le tissu du dialogue social est rompu entre le délégué du personnel et la Direction de l’hôtel. Afin de mieux s’imprégner de la situation qui n’a que trop duré, SENXIBAR a câblé Véronique Ndour, Secrétaire général des délégués du personnel de l’hôtel pour des explications. Entretien.

SENXIBAR- Derrière l’imposante bâtisse nichée en plein cœur des Almadies de Dakar, une ambiance morose règne à l’hôtel King Fahd Palace(KFP). Il se dégage dans ce fleuron de l’industrie hôtelière du Sénégal un climat délétère voire austère. Le tissu du dialogue social est rompu entre le délégué du personnel et la Direction de l’hôtel. Afin de mieux s’imprégner de la situation qui n’a que trop duré, SENXIBAR a câblé Véronique Ndour, Secrétaire général des délégués du personnel de l’hôtel pour des explications. Entretien.

Le climat social de l’hôtel King Fahd Palace(KFP) est délétère ces derniers temps. Quelle est la cause de cette situation ?
La cause de cette situation est très simple. C’est le manque de respect vis-à-vis  des délégués du personnel. Entre autre, nous pouvons noter la non application de la retraite à 60 ans, les sanctions abusives qui se font dans l’hôtel. Aujourd’hui, il n’y a pas de dialogue entre délégués et direction. Celle-ci s’est érigée en système de policier pour traquer les employés et les sanctionner.
Par rapport à la situation que vous venez de décrier, êtes entrés en contact avec vos autorités de tutelle ?
Ce qui est dommage dans cette histoire, c’est qu’il n’ya  pas d’autorités que nous n’avons pas saisies. Pour preuve, notre ministre de tutelle nous a reçus le 02 octobre, nous avons saisi la Direction du Travail, l’Inspection du Travail, le Haut conseil du dialogue et social, le Médiateur de la République, le Conseil économique social et environnemental(CESE) la Primature. Bizarrement, toutes ces autorités contactées répètent la même chanson : « nous savons tout ce qui se passe au King Fahd Palace. Mais c’est dommage car nous savons que ce dossier, c’est le président de la République qui le gère ». Encore une fois, nous interpellons le Chef de l’Etat afin qu’il prenne ce dossier en main et s’enquiert de la situation de ces citoyens sénégalais qui souffrent là où ils travaillent.
 
 Malgré l’interpellation de plusieurs autorités, vos doléances restent toujours insatisfaites. Que comptez-vous faire maintenant ?
Comme nous avons toujours été ouverts au dialogue, nous avons saisi les différentes autorités du pays. Mais il semble qu’elles sont impuissantes face à la situation. Juste après les élections syndicales, nous avons saisi le président directeur général(PDG), Mamadou Racine Sy du King Fahd Palace avec une correspondance pour lui faire part de l’élection du nouveau collège des délégués pour discuter au moins et trouver des solutions et donner les perspectives de l’entreprise. Mais il n’a pas donné suite à notre correspondance. Ce qui est déplorable. Je pense qu’en tant que délégué du personnel, nous avons le droit de saisir notre employeur et discuter avec lui de certains problèmes concernant notre entreprise.  Au moment où nous parlons, il faut reconnaître que le management de KFP ne décide de rien  du tout. Même si on expose les petits détails relatifs au bon fonctionnement de l’entreprise, on ne peut pas nous donner de solutions, on nous sert toujours la réponse suivante : « On vous revient ». Nous pouvons assimiler cet état de fait à un « Management de boîte à lettres »(…) Nous sommes des syndicalistes, nous allons utiliser tous les moyens que le syndicat nous donne pour défendre les intérêts. Ce n’est pas gaieté de cœur que nous exposons nos problèmes sur la place publique si l’on sait que nous ne sommes pas les seuls hôteliers. Seulement, il faut reconnaître que KFP est aujourd’hui le seul hôtel au Sénégal qui traverse ces difficultés énormes. Nos revendications sont multiples : la discrimination sur la retraite à 60 ans. Sur ce point, il faut noter qu’il y a des pères de familles qui sont mis dehors depuis un an sans salaire, sans pension. Ils vivent dans la précarité absolue. Pendant ce temps, l’hôtel ne se soucie même pas de leurs conditions sociales. Ils sont laissés en rade pour le bon vouloir d’une seule personne qui a décidé de ne pas appliquer la retraite à 60 ans. Nous sommes dans un pays de droit, nous sommes des citoyens sénégalais et avons des droits comme tout un chacun. La retraite à 60 ans, ce n’est pas quelque chose que nous quémandons, nous l’exigeons. A cet effet nous allons utiliser toutes nos forces, nous allons nous battre pour que ça soit une réalité au King Fahd. Parce que nous ne pouvons pas accepter qu’un seul hôtel au Sénégal appartenant à l’Etat où on n’applique pas certains avantages. Il y a eu l’arrêté ministériel qu’est-ce qui empêche la direction de l’appliquer alors que c’est appliqué à certains travailleurs de l’hôtel et pas pour d’autres? Pour preuve, nous avons appris que le directeur de l’Exploitation du KFP, M. Pierre Mbow est atteint par cette limite d’âge. Il a 56 ans. C’est lui qui signe les départs à la retraite. Comment se fait-il qu’il ait le privilège d’être gardé au-delà de 55 ans et pas les autres ? Par rapport au non-respect de la retraite à 60 ans, nous allons utiliser les forces que nous avons. Sur ce, nous avons déposé une plainte au niveau de l’Inspection du Travail. Et tout cela n’aboutit pas, nous passons à la vitesse supérieure en introduisant un préavis de grève. Il faut savoir que le Droit est avec nous. Ce sont des choses que nous ne saurons accepter car nul n’est au dessus de la Loi.
 
 Nous avons appris que la Direction de l’hôtel a servi tout récemment des demandes d’explications à des délégués et décidé de redéployer un de vos membres. Qu’en est-il exactement ?
 
(Rires). Au King Fahd, on est habitués à ces faits. C’est le train-train quotidien de la Direction de servir des demandes d’explication à tout azimut. Il n’y a pas une semaine qui passe sans qu’une demande d’explication ne soit servie à un employé. Ce sont des demandes d’explication qui finissent par déstabiliser l’employé car ce sont des faits qui ne méritent aucune sanction ou mise en demeure. Notre hôtel a 25 ans d’existence. Et en 21 ans, la Direction qui était là n’a pas donné plus de dix demandes d’explication et pas plus de quatre licenciements. Avec la nouvelle direction en place, nous en sommes à plus de cent demandes d’explications et seize licenciements. C’est énorme ! Cela veut dire que nous avons un Management qui fait défaut et ce n’est pas normal. Tout en reconnaissant par ailleurs que c’est un management qui a été mis en place, nous admettons qu’il y a des lacunes. Je m’en veux pour preuve que les personnes affectées dans ledit département sont des novices en la matière. Personne parmi les responsables du Management n’a eu à occuper un tel poste. Il y a un manque d’expérience quelque part. Même si la discrétion de l’employeur lui permet de recruter qui il veut, il faut que l’on nous mette des Hommes qu’il faut à la place qu’il faut. C’est la seule chose que nous demandons. Un hôtel qui a 25 ans d’existence mérite des gens qui sont capables de tenir ses rênes pour pouvoir gérer des centaines de personnes.
 
Concernant votre cas Madame, votre demande d’explication fait suite à votre sortie dans la presse.
Cela nous fait encore rire parce qu’en tant que Management, ils sont bien structurés et nous ne pouvons pas nous permettre de tenir une Assemblée générale sans l’autorisation de notre Direction. Nous avons les documents attestant l’autorisation accordée par le directeur d’exploitation où il précise «  je vous autorise à tenir votre AG dans la courtoisie, dans la sérénité, dans le calme etc. » Me reprochant aujourd’hui d’avoir introduit des personnes étrangères dans l’enceinte de l’hôtel(NDLR: presse), c’est me faire un mauvais procès. Il se tient toujours des conférences au King Fahd et les journalistes sont conviés. La presse quant à elle, est libre. Elle est là pour relayer les informations. Et puis si on n’a rien à cacher, on ne doit pas avoir peur que la presse entre dans l’hôtel pour collecter des informations. En ce qui me concerne, j’ai dit dans ma réponse de demande d’explication que nous sommes des syndicalistes et à chaque fois que la presse nous tendra le micro, nous répondrons aux questions qui seront posées. Nous évoquerons toujours des problèmes qui se passent. Avant, nous n’avions jamais exposé nos problèmes parce que nous avions du répondant avec des gens qui trouvent des solutions à nos revendications. Mais s’il ya un dialogue de sourd avec les tenants de l’entreprise qui sont là que pour mâter ou sanctionner, nous mettrons toute notre énergie pour dire NON. Quid du délégué qui a été redéployé, j’en ai parlé au directeur des Ressources humaines(DRH) et au directeur de l’Exploitation en leur disant que l’histoire se répète. J’ai mon propre cas qui  est palpant. J’ai été mutée de façon déguisée lorsque je fus élue déléguée. On m’avait fait comprendre que c’était une réorganisation. Mais tout le monde savait ce qu’il y avait derrière. Aujourd’hui le même cas se reproduit avec notre collègue. Ce qui est cocasse dans cette histoire c’est à peine fut-il élu délégué le 16 février 2016 et un mois après, la Direction a mis en place un poste que je qualifie d’imaginaire. Parce que depuis 25 ans, ce poste n’a jamais existé et depuis 4 ans que la nouvelle direction est nommée, elle n’a jamais imaginé créer ce poste.
De quel poste s’agit-il ?
Le poste est dénommé Comptable analytique des chats  nourriture des boissons. Comment se fait-il qu’un hôtel bien organisé et bien structuré qui a un responsable d’achats, le directeur financier, les cost-controller, et tous les services sur place pour veiller à cela. Normalement le superviseur des achats et les cost-controller sont là pour s’occuper de ces affaires. Mais c’est pour mettre notre collègue au frigo. Tout cela c’est déguisé. Ce poste n’a rien de comptable alors que notre camarade est comptable de formation et de profession. Ce qui est vraiment dommage au King Fahd, c’est que les vraies compétences ne sont pas utilisées. On essaie toujours de saquer certaines personnes, de les sanctionner. Si vous êtes en odeur de sainteté avec la direction, vous êtes promus si vous n’êtes pas avec elle, vous êtes mis au placard. Quelque soit la compétence que vous pourriez mettre au service de l’entreprise, cela laisse la direction indifférente.  C’est déplorable!
Quels sont les autres reproches que vous faites à la Direction de KFP ?
Nous avons plusieurs griefs contre la Direction de l’hôtel. Hormis le manque d’expérience de certaines personnes recrutées au sein du Management, il ya le népotisme qui ne dit pas son nom dans l’entreprise alors que des journaliers sont là depuis des années, assurent le travail et occupent des postes stratégiques faisant marcher l’hôtel. Au lieu de privilégier le recrutement de ces journaliers pour leur expérience, on les laisse en rade au détriment des nouveaux qui viennent à peine de finir un stage où ils ont été formés par ces mêmes journaliers. Cela est une injustice parce que l’hôtel est un patrimoine de l’Etat et que tout citoyen sénégalais qui y travaille a les mêmes droits et privilèges. Cette direction nous parle aussi de salaire payé à la fin du mois, cela n’a rien d’extraordinaire, c’est normal car c’est à la sueur de l’effort fourni par les travailleurs au quotidien. Ces braves employés font sans cesse un service remarquable pour satisfaire les clients. C’est ce qui permet d’avoir des revenus. Aujourd’hui, la même Direction se glorifie des acquis qu’elle a trouvés sur place depuis 2009 (comme la question d’habitat, la prime de Tabaski, la prime scolaire, la gratification, naissance, mariage et les billets de pèlerinage). Quant au transport des employés, il est assuré depuis l’ouverture de l’hôtel.
Le 1er mai marquant la fête du Travail pointe à l’horizon, qu’est-ce que vous avez prévu de faire ?
Comme à l’accoutumée, nous allons nous faire entendre. Nous allons poser nos doléances tout en espérant que les autorités sénégalaises accorderont une oreille attentive à nos revendications. Cette situation qui perdure n’arrange personne car elle risque de dégénérer si l’on y prend garde. Nul ne peut de prévaloir le droit de faire du mal et que les gens se taisent. C’est impossible.
Votre mot de la fin.
Nous remercions les travailleurs en premier lieu sans oublier nos responsables syndicaux qui nous soutiennent. Nous sommes reconnaissants au sénégalais lambda resté sensible à la situation de l’hôtel. Nous osons espérer qu’une solution immédiate sera trouvée d’ici peu de temps. Nous ne pouvons terminer sans  interpeller encore une fois le Chef de l’Etat, Macky Sall en tant que citoyen. Il a l’habitude de chanter Le Sénégal émergent mais le King Fahd Palace fait partie des hôtels qui peuvent faire émerger le pays car l’expertise et l’expérience sont là. Ce que le KFP offre sur le plan géographique, sur le plan de l’espace et même sécuritaire peu d’hôtels ont cette capacité. C’est pourquoi nous attendons une suite heureuse à cette difficile situation qui a trop duré.
 
 
Abdoul Aziz DIOP

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