Invité au 7e congrès de l’AIPS Afrique (Association Internationale de la Presse Sportive) organisé par l’ANPS (Association Nationale de la Presse Sportive) et qui a débuté ce jeudi, le sélectionneur national Aliou Cissé, accompagné de son adjoint Régis Bogaert a répondu aux questions des journalistes africains après avoir animé un panel sur « l’utilisation de l’expertise locale au sein des équipes nationales »
La raison de votre présence?
Merci pour l’invitation. Je salue les doyens qui sont là, la presse nationale et internationale. Depuis que je suis à la tête de l’équipe, j’ai toujours côtoyé ces gens-là. En sept ans, on a dû faire 5 compétitions et pendant ces compétitions là, je vous ai tous rencontrés que ce soit dans les conférences de presse ou lors des entraînements. C’est une fierté pour moi d’être avec vous parce que d’habitude on se voit de très loin. Moi avec mes trois locks en train de faire pression (rire…). Mais aujourd’hui vous êtes les bienvenus au pays de la Teranga. C’est vous avec nous et nous avec vous pour un Afrique meilleur, pour un sport meilleur. Mais c’est aussi avec des difficultés, des désaccords où parfois les titres des journaux peuvent nous mettre en difficulté. Mais ça fait partie du travail. Ça fait trente ans que je suis dans le métier en tant que joueur puis en tant qu’entraîneur. On est pas obligés d’être toujours d’accord mais ce qui est important c’est d’avoir cet échange dans l’intérêt du sport sénégalais et du sport africain
Comment arrive-t-on à diriger et réussir avec une équipe nationale après avoir été joueur de cette équipe ?
Pour entraîner une équipe nationale, il est important de connaître les réalités de ce pays. Il est difficile de parler du futur quand on a pas la connaissance du passé. J’ai envie de dire que moi j’ai eu à contribuer par le passé au football sénégalais, j’ai été joueur professionnel, j’ai eu la chance d’avoir été capitaine de l’équipe nationale et d’avoir été à l’intérieur de cette structure fédérale qu’est la Fédération Sénégalaise de Football (FSF). J’ai fait partie d’une génération qui a écrit l’histoire du football sénégalais et très tôt dans ma tête ça a été clair que je voulais être entraîneur. Après ma carrière je me suis dirigé à passer mes diplômes pour pouvoir entraîner l’équipe nationale du Sénégal. Je pense que c’est un processus. Il fut un temps sur 24 équipes africaines, il pouvait y avoir 20 entraîneurs expatriés, mais quand vous voyez ce qui se passe maintenant, c’est clair que les choses sont en train de changer et il y a une volonté étatique mais aussi de la part des présidents de fédérations qui font de plus en plus confiance à l’expertise locale. L’expertise locale c’est aussi la compétence. Que ce soit moi, Walid (Regragui), Florent (Ibenge), Pitso (Mosimane), mon ami Rigobert Song ou les autres, si on avait pas fait des performances comme lors de la coupe du monde, on allait dire que l’expertise locale n’en vaut pas la peine. Nous connaissons le poids que nous portons et nous savons que réussir c’est un peu forcer la main aux autres présidents de fédérations à faire confiance à l’expertise locale. Ce que j’ai fait je suis sûr que d’autres le feront et je suis très heureux que le continent africain s’inspire de ce que le Sénégal est en train de faire. C’est très bien et j’encourage à aller de l’avant.
Quels sont les problèmes que rencontrent les coachs locaux avec leurs équipes nationales ?
Aujourd’hui on a la chance de se parler entre nous. Il y’a un pool d’entraîneurs africains qui se parlent et qui soulignent leurs difficultés. Loin de moi l’idée de faire une discrimination parce que le football est universel et on parle de compétence. Soit on peut ou on ne peut pas. Avant les présidents disaient qu’il fallait laisser les entraîneurs locaux le temps de se former et de faire des stages. Mais ça c’était avant. Aujourd’hui la plupart des entraîneurs locaux africains ont été joueurs professionnels et ont emmagasiné de l’expérience à travers les compétitions. L’une des difficultés est qu’on ne met pas sur le même pied d’égalité l’entraîneur africain et l’entraîneur expatrié. La question à se poser est pourquoi ? Mais il faut faire face aux réalités trouvées sur place et on te demande de prouver que tu as les épaules pour enraient équipe nationale en quelque sorte. Et pourtant on ne demande pas à un entraîneur étranger qui n’a pas de background de faire ses preuves. Aujourd’hui on en est là mais à nous de continuer pour que cela devienne une évidence de miser sur les entraîneurs locaux. C’est un combat et il n y a pas que moi. Beaucoup de fédérations font maintenant confiance aux enfants du pays qui sont reconvertis en entraîneurs. En Afrique il y a de très bons entraîneurs dans la mesure ou si vous allez en première division en France, en Espagne ou en Angleterre vous pouvez voir le nombre d’entraîneurs issus de la minorité qu’il y a. Un entraîneur africain qui veut entraîner en Europe, il faut qu’on le met sur le même pied d’égalité que l’entraîneur européen. Mais il ne suffit pas de le dire, il faut des diplômes et c’est là ou en vient à la réciprocité des diplômes entre l’UEFA et la CAF. Et je félicite la CAF qui travaille dans ce sens parce qu’aujourd’hui il y a un premier groupe d’entraîneurs africains issue du continent qui est diplômé et qui fait de bons résultats. C’est à la CAF de travailler sur cette réciprocité là pour que l’entraîneur africain soit respecté à sa juste mesure.
Avant vous lors de la CAN 2012 le Sénégal s’est fait éliminer au premier tour avec un sélectionneur sénégalais (Amara Traoré) qu’est ce qui a fait la différence avec vous ? Et pourquoi cette « discrimination salariale » entre les entraîneurs étrangers et les locaux ?
C’est aux entraîneurs africains de prouver leur légitimité dans leurs pays mais il nous faudra du temps. Nous, au Sénégal on a un président (Augustin Senghor) qui croit à l’expertise locale. Sous on magistère je crois qu’il y’a eu 4 entraîneurs locaux. On a eu Lamine Ndiaye, vous l’avez souligné Amara Traoré moi et puis il y a eu Joseph Koto. Sur la différence de salaire je dis qu’il faut encore prouver comme toujours. Lors de la coupe du monde 2018, non seulement j’étais le seul entraîneur africain mais j’avais aussi le plus bas salaire. Mais ce n’est pas ça notre motivation numéro un. Notre motivation est de monter c’est de prouver au continent africain et monde entier que les entraîneurs africains sont capables d’entraîner au Real Madrid, à Manchester City et partout ailleurs.
Après avoir remporté la CAN et qualifié le Sénégal pour le second tour d’une coupe du monde, avez-vous encore une ambition avec l’équipe nationale ?
La question c’est est ce que je vais continuer ou pas. Beaucoup de gens se le posent en se demandant si je suis usé ou fatigué. Non je ne suis pas usé et je ne suis pas fatigué. On est en train de préparé notre liste pour le mois de mars pour aller défendre notre titre et ramener un deuxième trophée de Coupe d’Afrique ici. Donc oui nous sommes prêts à faire le maximum pour ramener cette équipe le plus loin possible.
Pensez-vous que vous auriez réussi avec les Lions si vous n’aviez pas eu un président de fédération patient ?
Il y a ceux qui disent cela. Mais dans le football il n’y a pas de temps. Si j’avais loupé un seul des objectifs assigné par la Fédération Sénégalaise en huit ans, je ne serais pas là. Je sais où je suis et ce n’est pas parce qu’on m’a dit « Aliou on t’a laissé le temps ». Non on ne m’a pas laissé le temps. C’est parce qu’on a travaillé, on a été résilients et on a surtout des joueurs compétents aussi.
Que dites-vous par rapport à l’influence de l’entourage de certains joueurs sur les entraîneurs. Ceci a-t-il un impact sur le choix des joueurs et sur le choix tactique ?
Bien sûr mais il fait se dire qu’il s’agit d’une équipe nationale qui est l’affaire de toute une nation. Vous les journalistes, vous faites des analyses, vous avez vos joueurs et vos avis mais la réalité de l’équipe c’est nous qui la connaissons. Moi je n’ai pas vu un de mes collègues subir une pression venant des politiques ou des fédéraux pour composer son équipe. Ce n’est pas possible. Je le dis, jamais le président Augustin Senghor a impacté sur mes choix. Il m’a laissé travailler avec mes idées et c’est ce qui est normal pour pouvoir faire des résultats. Il faut laisser les entraîneurs faire leur travail et à la fin on décide s’ils doivent continuer ou pas.
Comment vous voyez l’avenir du football en Afrique, ne pensez-vous pas qu’il faut des infrastructures modernes pour être à la hauteur du football européen ?
C’est clair sans infrastructures on ne peut rien. Il faut donner des moyens aux équipes nationales. Quand on donne les possibilités aux entraîneurs locaux en les mettant dans les meilleures conditions, en les payant comme il se doit, quand ils sont respectés et mis sur le même pied d’égalité que les entraîneurs expatriés, on est capable de le faire. On est pas moins argumentés que les autres. Nous sommes une génération qui ne sourit aucun complexe, on a grandi la bas (Europe), on a vu et on a appris. C’est le message à transmettre à nos autorités, à nos joueurs et à tous ces jeunes qui voudraient être des footballeurs professionnels pour représenter dignement le continent africain.
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