Daro Thiam, nouvelle coqueluche du théâtre sénégalais au parcours sinueux, tire aujourd’hui les dividendes de son talent et de ses prestations de haut vol sur la lucarne, cerise sur le gâteau d’une carrière déjà vieille de dix ans. Le prétexte est tout trouvé pour dresser son portrait avec la célébration aujourd’hui de la Journée mondiale du théâtre.
Elle est l’apôtre d’un nouveau mode de dérivatif : la tranche de rire qui déstresse lors des soirs de pur cafard. Daro Thiam a involontairement forcé des portes des téléfilms sénégalais, perchée haut dans la série Dinama nekh, une production de la SenTv. Son personnage, complètement déjanté et haut en couleurs, fascine. Sur la lucarne, elle est l’exact reflet de la fille de quartier portée sur les mondanités, au goût vestimentaire douteux, amoureuse des billets de banque froufroutant. Maîtresse du rire, bouille prolixe, réplique instantanée, fifille légère et aérienne, elle carbure en combines savamment posées, en coups tordus, en arnaque rondement menées. Greffage en bataille, habillement criard, make-up bariolé, bouche inquisitrice, Daro Thiam a été adoptée à l’unanimité par ses suiveurs. Côté communication, elle est un modèle. Daro s’insinue sans l’air de rien, débit mitrailleur, causerie saccadée, présence dévorante. Mais surtout fascinante. A l’écran, elle détone par ce teint clair, sa perruque batailleuse et son allant. Daro «firistre» (comprenez frustre), la bienséance et les téléspectateurs l’en excusent volontiers. Elle brosse l’apologie de la mauvaise fille. Et pourtant…
Pourtant, cette Daro qui s’invite allègrement dans l’intimité des foyers et qui s’emploie à jouer sa partition dans le téléfilm Dinama nekh n’est pas ce qu’elle prétend être dans la fiction. Aujourd’hui, elle dégage la trentaine pleine, le profil mature. A la loupe, sous la pétulante Daro se cache une toute petite fille, encore timide. Son exubérance devant la lucarne occulte sa vraie nature. Un dédoublement de personnalité qu’elle a réussi. Surprise lors de la présentation de la pièce Keur Baye Dame à Kaolack, à l’hôtel Hilton, elle confesse dans le feu de la conversation : «La personnalité que j’incarne dans le téléfilm est loin d’être la mienne dans la réalité. Je l’ai assumée, mais ce n’est pas la vraie Daro. Vous m’avez côtoyée pendant trois jours, vous avez pu vous en rendre compte.» Même sa maman a eu du mal à s’accommoder de cette nouvelle approche de sa fille. Elle dit encore : «En me voyant sous ce rôle, ma mère a sursauté de son lit pour se demander si c’était réellement moi qui apparaissait sur l’écran de télévision. Elle ressassait toujours que sa fille et celle qui passait à l’écran sont diamétralement opposées.» Dans le quartier où elle a ses pénates, même son de cloche. La fille qu’ils ont vu naître et grandir est aux antipodes du modèle présenté à la télé.
Daro assure qu’elle garde la tête bien droite pour ne pas oublier d’où elle vient, en restant bien à califourchon dans ses valeurs. Elle dit : «J’éprouve des difficultés à regarder mes voisins dans les yeux en marchant comme ça dans la rue. J’ai une certaine retenue.» Pourtant, sa popularité lui colle au train et ne la lâche pas d’une semelle. Dans la rue, les admirateurs et les fans la hèlent, rembobinent des séquences de tirades. Pourtant, elle croit bon d’avertir : «Le succès ne me monte pas à la tête. Aujourd’hui, c’est mon heure qui a sonné. Demain, ce sera peut-être le tour d’un autre.» Elle se sent obligée de devoir répondre à chaque salut, d’obliger chaque fan, d’honorer les sollicitations. «J’ai eu une image à préserver. Je ne peux pas m’autoriser à snober ceux qui m’interpellent dans la rue. Ils auraient une mauvaise impression de moi.» A Kaolack, au cœur du bassin arachidier, elle a malgré elle perturbé par sa simple présence le deuil ayant frappé le quartier de la Médina, après le décès de la mère de la doyenne Rama Thiam à qui ses collègues étaient venus présenter leurs condoléances. L’auberge qui hébergeait Daro Thiam avait également été prise d’assaut par une foule d’admirateurs. La rançon du succès.
Son modèle, Seune Sène
La jeune Daro regarde tout ça et s’autorise un brin de contentement. Le théâtre réel de la vie ne lui avait pas confié le bon rôle. Son amour pour le théâtre n’a jamais été un long fleuve tranquille. Alors qu’elle caressait le rêve de devenir actrice, sa famille lui en avait déjà inventé un autre. Son entourage voyait du théâtre «une pure perte de temps». Daro désarme, se plie à la volonté de sa maman et devient coiffeuse. Elle répète ses gammes dans un salon à Pikine avant de décrocher très vite. Elle ne se sentait pas trop dedans et le théâtre l’attirait irrésistiblement. Une de ses sœurs vient à sa rescousse et convainc sa maman de la laisser «vivre sa passion». Aujourd’hui, elle ne moufte pas : le théâtre fait bien vivre, même si elle ne confesse pas ce qu’il lui a apporté. Ses ambitions demeurent intactes : réussir dans sa passion. Après avoir jaugé d’un coup d’œil le chemin parcouru, elle lâche un brin de philosophie : «J’ai longtemps galéré dans le théâtre.» Un soir, après une pure tribulation, elle s’est retrouvée en train de cogiter sur le moyen de rentrer chez elle en taxi. Elle raconte : «J’ai failli passer la nuit dans la rue parce que ne disposant pas du billet de transport pour rentrer chez moi. Il était 3 heures du matin et tout le monde était rentré. Je sollicitais les prières de maman avec qui j’estime communiquer par télépathie. C’est à cet instant que Sidy Niang est revenu sur les lieux à bord d’un taxi pour me remettre 5 000 francs et j’ai pu payer le taxi. Je considère Sidy comme mon père.»
Daro clame haut et fort qu’elle a Seune Sène comme modèle et idole. Alors qu’elle semble avoir gagné sa célébrité par la grâce de la série Dinama nekh, Pape Faye, comédien, metteur en scène et par ailleurs metteur en scène de la pièce Keur Baye Dame, souligne avec contentement : «Cette pièce l’a révélée au grand public. Dinama nekh a contribué à son rayonnement, mais c’est Keur Baye Dame qui l’a davantage exposée aux yeux du public.» En technicien averti, il juge : «Daro fait partie de ceux qui ont donné de la splendeur à cette pièce.» Il avait dès le début flairé le talent de la jeune fille au point de lui confier un rôle dans Keur Baye Dame. Il poursuit : «Elle s’est surpassée dans son rôle. C’est elle qui attise, qui débloque les nœuds des différentes séquences avec sa langue pendue. Elle est un électron libre. Les gens n’ont pas l’opportunité d’utiliser son talent, moi j’ai su le valoriser dans Keur Baye Dame.» Pour le maître Pape Faye, il s’agissait de donner «un souffle jeune à Keur Baye Dame» où «la majorité des acteurs qui ont eu à y jouer un rôle appartiennent à l’ancienne école». Il conclut : «Elle a d’énormes potentialités et elle est talentueuse.»
Daro Thiam a fait ses humanités à la troupe théâtrale Abdoulaye Sow de Pikine, avant de poser ses baluchons dans la troupe estampillée «Kaddu Touba Pikine». Après «Souffrance», la dernière troupe théâtrale où elle a évolué, la «nouvelle star des planches sénégalaises» a intégré, grâce à Aminata Mbaye, l’Association des artistes comédiens du théâtre sénégalais (Arcots) de Dakar où elle fait ses répétitions. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’elle a connu Maïmouna (l’épouse de Metzo Djata, producteur de la série Dinama nekh) qui l’a sollicitée et cooptée pour participer dans la série. Ce fut la consécration. A la base, elle ne devait même pas jouer ce rôle. Elle a remplacé au pied levé l’actrice qui devait jouer ce rôle et dont elle tait le nom. «Je n’étais venue que pour remplir le rôle qui m’est confié. Je ne devais jouer que deux séquences. Je devais être leur amie, la troisième fille dans le théâtre. Mais du moment que j’ai assumé le rôle, il me l’a confié. La fille qui était pressentie pour jouer ce rôle étant absente, alors Metzo s’est dit : pourquoi pas Daro ?» Avec celle qu’elle surnomme «Djank» (jeune fille), elle se sent en complicité. «C’est une amie. Elle se lâche dans la réalité, mais elle a bien réussi son rôle en incarnant un personnage timide dans cette série», analyse-t-elle. Maï, dit-elle, a souffert de l’arrestation de Metzo Djata qui avait tenté de corrompre un agent de la circulation, un thème abordé dans la série qui a eu à la révéler.
Cœur à prendre
Alors que le téléfilm l’a vendue en fille à hommes, Daro Thiam est célibataire dans la vraie vie. Son délicat pied n’a pas encore trouvé de chaussure. Pourtant, les exigences de la fille à la taille de guêpe ne sont pas compliquées : «L’homme idéal est celui qui est sérieux, qui me tient un langage de vérité. Si j’arrive à croiser cet homme, je lui ferai le privilège de me marier avec lui. A condition qu’il me rende l’amour que je lui témoigne. Je lance un appel à candidatures pour trouver cet homme idéal. Je ne l’ai pas encore dégoté bien que je reçois beaucoup de déclarations d’amour. Mon mari devrait m’aider à vivre ma passion. J’aime l’art.» Toutefois, Daro rechigne à dire son âge. Pour l’heure, elle nourrit une ambition : faire son apparition à la télé. Elle dit : «Je me dis que celui-ci ou celle-là ne vaut pas plus que moi. Je vis le théâtre, c’est une ambition. C’est quelque chose que je ne peux dissocier de ma personnalité.» Cette Wolof pur jus croit bon d’affirmer son appartenance pour balayer les certitudes qui font d’elle une «Laobé» à cause du nom «Sow» qu’elle porte dans la série.
L’artiste basée à Pikine estime que c’est cela qui pousse certaines personnes à penser qu’elle est la fille de la diva Fatou Laobé. Alors qu’il n’en est rien. «Ma mère s’appelle Fatou Diop», tient-elle à préciser. En attendant que la saison 2 de Dinama nekh commence à être produite à la fin du mois, Daro Thiam se bat pour trouver un toit à sa mère. «Je suis soutien de famille. Mon rêve est d’acheter une maison à ma mère et de lui permettre de faire le pèlerinage à la Mecque», prie Daro Thiam, qui se bat tous les mois pour payer la location à de maman. Un comportement qui lui vaut une pluie d’éloges. Maman Aïcha, une autre comparse dans la série, prend le pinceau pour la peindre sous les traits d’un personnage qui frise la perfection. «Je ne trouve pas de défaut à Daro Thiam. Elle est d’une bonne tenue», indique la comédienne. Aminata Ndong, qui est proche, ne dit pas autre chose si ce n’est qu’elle est altruiste. «Tout ce qu’elle gagne comme argent, elle le partage avec tout le monde», fait-elle savoir. En attendant, la saison 2 de Dinama nekh, qui murit en coulisse, allèche déjà. Et ce soir au Grand Théâtre de Dakar, Daro promet de se lâcher aux côtés de Per Bu Xaar. Un spectacle à suivre gratuitement.
Le Quotidien