Après le bac, j’ai voulu faire droit, mais le destin en a décidé autrement. Aujourd’hui encore je me demande ce que je serais devenu si j’avais fait le droit. J’ai tout fait pour avoir une réorientation, j’en ai même parlé au chef du département de philosophie de l’époque, et il m’a dit : « pourquoi ne voulez-vous pas faire philo ? ».
Bien sûr, j’adore la philo, mais le droit c’est aussi de la philo ou en tout cas un de ses enfants. Les questions juridiques m’intéressent fortement et il m’arrive de lire des livres traitant de cette matière subtile et passionnante. Tout compte fait, le destin est ne m’a pas été déformable, du moins au regard du jeu de ping-pong auquel nous ont habitué les professionnels du droit.
Car on a toujours dit que la science, en vertu de son objectivité, de sa rigueur démonstrative et de ses méthodes de vérification, était plus crédible, plus apte à mener à des « conclusions concordantes ». Hélas, il semble que les sciences juridiques ne soient pas mieux loties que la philosophie réputé être trop controversée au regard des antagonistes qui rythment son évolution.
La dernière sortie d’Ismaïla Madior Fall (sa réponse au professeur Mary Tew Niane à propos d’une éventuelle 3e candidature de Macky) me conforte dans l’idée que la science n’était nullement à l’abri de l’idéologie, que l’essentiel n’est peut-être pas la possession de la science, mais plutôt la quête de la sagesse. Aujourd’hui nous avons la preuve que la science est effectivement un pouvoir « de bien autant que de mal faire » ; tout dépend de la nature des âmes dans lesquelles elle est incarnée.
Socrate : « Tous ces particuliers mercenaires, que le peuple appelle sophistes et regarde comme ses rivaux, n’enseignent pas d’autres maximes que celles que le peuple lui-même professe dans ses assemblées, et c’est là ce qu’ils appellent sagesse. On dirait un homme qui, après avoir observé les mouvements instinctifs et les appétits d’un animal grand et robuste, par où il faut l’approcher et par où le toucher, 493b quand et pourquoi il s’irrite ou s’apaise, quels cris il a coutume de pousser en chaque occasion, et quel ton de voix l’adoucit ou l’effarouche, après avoir appris tout cela par une longue expérience, l’appellerait sagesse, et l’ayant systématisé en une sorte d’art, se mettrait à l’enseigner, bien qu’il ne sache vraiment ce qui, de ces habitudes et de ces appétits, est beau ou laid, bon ou mauvais, juste ou injuste; se conformant dans l’emploi 493c de ces termes aux instincts du grand animal; appelant bon ce qui le réjouit, et mauvais ce qui l’importune, sans pouvoir légitimer autrement ces qualifications; nommant juste et beau le nécessaire, parce qu’il n’a pas vu et n’est point capable de montrer aux autres combien la nature du nécessaire diffère, en réalité, de celle du bon. Un tel homme, par Zeus ! ne te semblerait-il pas un étrange éducateur ? » Platon, La République
Par respect pour sa science et les services qu’il a rendu à l’enseignement, on ne peut pas considérer IMF comme un mercenaire, (sauf au sens propre du terme quand on l’oppose à loisir qui est une activité libérale) mais le fait de le voir revendiquer le sobriquet de tailleur de haute couture constitutionnelle nous semble être révélateur d’un malaise qu’il cherche à cacher par une ironie mal placée. Etre auteur de la rédaction d’une constitution aussi controversée est certainement source de malaise : soit il n’a pas bien fait son travail, soit l’homme qui lui a demandé ce travail est purement et simplement un monstre des griffe duquel il ne peut plus se libérer. Avouons qu’une telle posture est franchement incommode.
Ismaïla Madior Fall rédacteur d’une Constitution qui voulait consolider l’ancienne instille subrepticement dans les consciences l’idée d’une possible interprétation de la loi constitutionnelle par le Président et lui seul. Ce pays connaîtra-t-il un jour le progrès avec des universitaires aussi versatiles ? De réformes dé-consolidantes, on en est arrivé à une Constitution suspendue au bon vouloir du Président.
Non vous ne répondez pas à Mary Tew Niane, vous vous servez de son texte pour instiller le doute et la confusion dans la conscience des Sénégalais. Le style de ce texte, sa rédaction qui viole les normes d’une pensée discursive semblent montrer que vous êtes venu en sapeur-pompier. Un professeur d’université qui dit que les phénomènes politiques, la perte du pouvoir ne sont jamais monocausales (ce qui est exact) et qui s’empressent de dire que Wade n’a pas perdu le pouvoir à cause de son Wax-Waxeet, mais pour d’autres raisons (qu’il n’a pas daigné donner, même à tire d’hypothèses).
Et puis IMF évoque l’idée saugrenue d’une dévolution monarchique du pouvoir (plus grand mensonge du Sénégal indépendant) que personne n’a jamais démontrée pour fermer cette fenêtre et revenir à l’obsession du 3e mandat ! IMF nous apprend qu’il y a des pays africains et non africains où il n’y a pas de limitation de mandat comme si nous ne le savions pas en 2012 ! Il faut protéger nos enfants et ce, non seulement contre les insulteurs des réseaux sociaux qu’il dénonce dans son texte, mais aussi et surtout contre les scientifiques qui foulent aux pieds les principes éthiques, y compris de l’éthique scientifique. Car l’éthique scientifique exige au moins une dose d’objectivité dans l’analyse des faits. Un scientifique est libre de faire de la politique ou même de devenir un adepte d’une secte, mais il doit se garder de faire dire à la science des absurdités. Or utiliser son statut de scientifique pour cautionner une forfaiture politique, c’est violer l’éthique scientifique.
Ce pays court un grand risque : 13 morts dans les évènements contre le 3e mandat de Wade, 14 morts dans l’affaire Sweet beauté, trois morts dans l’affaire des listes invalides. La démocratie sénégalaise serait-elle devenue une machine qui dévore ses enfants les plus jeunes pour remplir la besace des adultes? Tout ça pour le caprice de l’irresponsabilité des élites. La logique du pouvoir est un poison pour l’esprit libre de l’intellectuel. Voilà pourquoi je continue à penser que celui qui sauvera le Sénégal du précipice sera un homme affranchi en amont et en aval des appareils politiques.
Alassane K. KITANE