De ses premiers pas à l’école de football Mbaye Fall, un ancien joueur du Jaraaf, en passant par un atelier de couture, les Navetanes (championnat national populaire), son parcours scolaire en dents de scie ou encore ses relations familiales, Mbaye Diagne n’aura plus de secret pour vous. IGFM.SN retrace l’itinéraire extraordinaire du gamin des HLM 5 de Dakar devenu international du ballon rond depuis sa convocation en équipe nationale de football du Sénégal, le vendredi 24 août 2018.
Il séchait les cours pour le foot
C’est l’histoire d’un jeune homme, pas comme les autres. Un gamin pas cancre du tout, mais qui était très détaché des affaires scolaires. Quand ses parents cassent leur tirelire pour lui acheter cahiers, livres et sac scolaire, lui préfère troquer ses cours d’écriture, de lecture, de calcul et d’histoire et géographie contre des séances de sprint et shoot derrière une balle crasseuse. A l’école primaire des HLM 5, il n’était pas connu comme un génie, même s’il n’avait pas la tronche d’un cancre. Espiègle, un tantinet perturbateur, un séchait souvent les cours pour aller taper sur le ballon rond. Ses notes étaient tellement à la limite du « très mauvais » et ses absences aussi récurrentes qu’il a failli être renvoyé de l’école. Le gamin s’ennuyait en classe. Et ne trouvait réellement son plaisir que lorsque qu’il poursuivait, à faire exploser ses poumons, un ballon. Là il était dans son élément. Il trouvait les heures de classe anormalement longue, guettait avec impatience les jours de fête et chérissait les grandes vacances.
Les dénonciations de Madame Fama, son ancienne maîtresse d’école primaire, n’y feront rien. La pauvre dame, qui tenait à la réussite de Mbaye comme s’il s’agissait de son propre enfant, ne pouvait supporter que le gamin gaspille tant d’énergies derrière un ballon au risque de gâcher sa vie et finir comme un raté. Elle le grondait et faisait même le déplacement jusque chez ses parents pour le dénoncer, se souvient Khady Mbengue Diagne, une des tantes du joueur. «Mbaye Diagne sautait les murs de l’école pour aller jouer au football au moment où les cours battaient leur plein. Pour qu’on comprenne qu’il les séchait, il a fallu que Mme Fama fasse le déplacement puisqu’elle en avait marre des escapades du jeune garçon », ajoute-t-elle.
«Il était difficile pour lui de suivre les cours comme on le souhaitait. Le football a toujours été sa priorité, même s’il a poursuivi ses études jusqu’en classe de CM2 sans pour autant décrocher son entrée en sixième», confirme son oncle.
« Je me rappelle, un matin, je l’ai réveillé pour qu’il se prépare à aller à l’école, mais il a refusé catégoriquement. « S’il te plaît, laisses moi dormir», suppliait-il à Anta Diagne, sa sœur, l’aînée de la famille, sa confidente.
C’est que Mbaye est né aux HLM, un quartier populaire, riche par sa chaleur humaine, quartier où le foot est une « religion’’. Les parents auront beau lui crier dessus, l’auront menacé, grondé, frappé que Mbaye Diagne resterait fidèle à sa passion. Il adore le foot, un point c’est tout. Et rien ni personne ne peut le changer.
Apprenti-tailleur pendant un an
Même lorsqu’il fout en l’air ses études, ses parents ne le laissent pas pour autant poursuivre sa passion. A défaut de réussir dans les études, il n’est pas question pour eux de le laisser errer. Il fallait lui faire apprendre un métier pour lui permettre d’avoir un gagne-pain lorsque l’heure de la majorité et des responsabilités sonnera.
Mbaye est alors obligé à intégrer un atelier de tailleur. Il troque ses cahiers et livres contre une paire de ciseaux et des garnitures. Et pour veiller sur lui, pour l’obliger à se concentrer sur son apprentissage et se détourner du ballon rond, ses parents le confient à Ousmane Loum, l’époux de sa grande sœur, Anta. L’homme alliera fermeté et pédagogie pour lui faire assimiler le métier. Il jouera sa partition pendant un an, douze mois durant lesquels Mbaye s’essayera tant bien que mal à la couture. La Coupe du monde de 2002 venait de se terminer avec la belle épopée de la bande à Aliou Cissé, El hadji Diouf, Kalilou Fadiga et autres. De quoi accroître la passion du jeune homme qui rêve de devenir international de football. «Il était régulier et venait tous les jours pour essayer d’apprendre quelque chose à mes côtés. Les matins, il venait travailler et dans l’après-midi, je le laissais jouer au football puisque je savais que c’est sa passion ». Mbaye Diagne venait de rencontrer quelqu’un qui connait sa passion et qui n’essaie pas de le brider. Un gentleman agreement est vite trouvé pour que tous les trouvent trouvent leur compte dans cette coopération naissante. Après tout, il faut que Mbaye aide Ousmane à avoir bonne figure auprès de sa belle famille, lui qui a épousé la soeur du jeune homme. Et Mbaye le comprenait en jouant le jeu. Finalement, les deux sont devenus des complices. Une complicité qui perdure.
Un buteur formé à l’école de foot Mbaye Fall
De fil en aiguille, Mbaye a fini par convaincre tout le monde que le football est sa passion, qu’il a les tripes pour se surpasser et le talent pour percer. Lorsque l’occasion lui est offert, il démontre ses talents de véritable renard des surfaces. Lassi Cissé, son coach et formateur à l’école de football Mbaye Fall (du nom d’un ancien joueur du Jaraf) explique que si Mbaye Diagne est à l’aise devant les buts, ce n’est pas le fruit du hasard. «Il ne pouvait pas terminer les entraînement sans prendre quelques minutes pour un travail devant les buts. Il le faisait tous les jours. Dans sa tête, il s’est formé tout seul. Il visait la gloire. Il regardait de grands attaquants à la télé et s’amusait à imiter leurs performances sur le terrain sablonneux des HLM 5. Je ne cessais de l’encourager et de veiller sur son travail. Je pense qu’intérieurement il se projetait dans l’avenir en se disant : «quand je deviendrai un grand buteur !». Aujourd’hui, il fait les beaux jours de son club, Kasimpasa (Turquie) avec déjà 5 buts en 3 journées sans oublier ses 12 réalisations la saison dernière en 17 matches », déclare son ancien formateur, les yeux pétillant de fierté.
De Mbaye Diagne, son formateur garde de bons souvenirs. « Je me rappelle, un jour, il était venu à l’entraînement avec des chaussures en plastique. Il me disait que tôt ou tard il portera de jolis crampons. Ce jour-là, l’équipe adverse était bien habillée contrairement à nous. Mais, Mbaye Diagne m’a réconforté en me disant qu’il arrivera un jour où notre équipe portera également de jolis maillots. Cela se confirme puisqu’il n’a pas oublié ses racines », témoigne-t-il sur le terrain où l’attaquant des « Lions » a fait ses premiers pas.
L’oncle, le sauveur
A force de sueurs et d’abnégation donc, les portes de la réussite ont commencé à s’ouvrir devant le jeune homme. En 2008, Mbaye Diagne pose ses baluchons en Italie. Un voyage qu’il doit à son oncle, Djibril Diagne, qui voyait en lui un futur goleador. «Depuis tout petit, il me disait « grand-mère, je veux devenir footballeur. Seul le football m’intéresse et rien d’autr »e. C’est pour cela que son oncle a tout fait pour l’amener en Italie», explique sa grand-mère maternelle, Ndèye Marème Sonko. « Lorsqu’il revenait des matches de football, il mangeait tout ce qu’il y avait à manger dans la maison. Pensant qu’il a fini, il me provoquait après avoir mangé avant de s’enfuir», se rappelle-t-elle en riant à gorge déployée, fière de la réussite de son petit-fils…
Une fois en Italie, Mbaye Diagne reprend ses entraînement à un rythme plus soutenu et débute sa carrière deux ans après son arrivée au pays de Berlusconi. L’ASD Brandizzo, l’AC Bra Serie D, la Juventus, Ajaccio…, lui ouvriront tour à tour leurs portes. En 2016, il émigre en Chine et intègre le club de Tianjin Teda. Au pays de Mao Zedong il affole les compteurs et inscrit 16 buts en 44 matches.
L’appétit venant à manger, il se fixe comme objectif d’être plus visible pour taper à l’oeil du sélectionneur national. Il nourrissait une désir secret : participer au Mondial « Russie 2018 ».
Et pour espérer faire partie des poulains d’Aliou Cissé, il se rapproche davantage de Europe, là où les projecteurs sont plus braqués. Le club Kasimpasa de la Turquie, à deux jets de pierre de l’Europe, l’accueille. Il ne perd pas de temps pour exploser. Malheureusement pour lui, Aliou Cissé avait déjà ciblé ses 23 « Lions ». Une déception pour le joueur de 26 ans et sa charmante épouse qui voulait l’accompagner en Russie. « Il avait sa place dans l’équipe qui était en Russie», soutient son oncle. Son heure n’avait juste pas encore sonnée.
Mbaye Diagne alias ‘’Jaay taar’’
Heure qui finit par sonner pour cet homme pas du tout rustre. Il sait s’entretenir. Il a toujours d’ailleurs été un « gamin fashion », souffle Anta Diagne sa confidente. «Il aime se faire beau depuis tout petit. Il me demandait souvent de l’argent pour acheter du crédit, c’était une de ses priorités. Son téléphone devait forcément avoir du crédit. Une fois son problème réglé, il se fait beau comme d’habitude. On l’appelait ‘’Jaay taar’’ », révèle-t-elle avec le sourire. «Même avant d’aller aux entraînements, il se mettait devant le miroir pour voir si tout était normal », ajoute-t-elle. «Actuellement, vous le voyez, il n’a pas changé. Il est resté le même avec toujours ce même style. Il est ‘’fashion’’ », indique Anta, confortablement assise dans sa luxueuse voiture 4X4 offerte par son frère. « Mbaye Diagne prend tout au sérieux. La preuve, il nettoie ses chaussures lui-même et lavait ses maillots après chaque match de football dans son quartier ».
Le social, sa marque de fabrique
Son quartier, Mbaye ne l’oublie pas et n’oubliera jamais. Il n’est pas un garçon à faire le malin, à snober ses anciennes connaissances, à se détourner de son entourage. «Presque tous les voisins ont senti la réussite de Mbaye Diagne. Moi, qui vous parle, je ne manque de rien. Depuis toujours, il partage tout ce qu’il a avec sa famille et ses voisins. Ce, depuis tout petit. Il a toujours promis d’aider les gens s’il réussissait. Il ne nous oublie jamais et je pense que c’est aussi grâce à l’éducation qu’il a reçue de ses parents. Je lui souhaite le meilleur », témoigne sa voisine, Adama Niang.
Son dernier geste de grande envergure remonte à la fête de la tabaski. Mbaye a cassé sa tirelire, sans tambours ni trompettes, aidant discrètement nombre de ses voisins. Et si ces derniers n’en avaient pas témoigné, jamais il ne l’aurait dit. Dans son quartier, Mbaye est un exemple. Un exemple de constance dans sa passion, d’abnégation dans sa carrière de footballeur, de fidélité dans ses relations avec ses proches et voisins et d’altruisme marque des grandes âmes. Il est un champion et agit en champion, comme en témoigne sa famille…
Mamadou Salif GUEYE et Cheikh SARR (Images)
IGFM