Saër, 18 mois, est un bélier de race Ladum qui attire l’attention des amoureux des ovins. Sa couleur blanche, sa taille et son poids fait de lui un des mastodontes rêvés par de nombreux pères de famille. Saër est aussi la preuve du glissement de la société sénégalaise du sacrifice d’Abraham à du tape à l’œil, source d’une concurrence sans merci.
Sa voix rauque attire l’attention, ses coups des têtes imposent le respect et les pas de ses pattes hyper puissantes ne passent pas inaperçus. A la moindre occasion, Saër en profite pour trottiner au milieu de ses congénères. Il sniffe de temps à autre l’odeur de l’urine, et d’un signe de la bouche fait fuir les autres béliers comme s’il essayait de marquer son territoire dans la bergerie Ndèye Astou Diokhané, sise à Grand-Dakar, aux abords de la route qui longe le cinéma El Mansour.
Au milieu d’une cinquantaine de moutons, exposés pour les besoins de la fête de l’Aïd-el-Kébir, communément appelée Tabaski, ses bêlements le fait sortir du lot. Impossible pour un chef de famille qui emprunte cette voie de ne pas jeter un regard sur Saër. Et surtout quand on n’a pas encore trouvé un mouton pour le rituel tant important pour un musulman.
En fait, Saër est un mouton de race Ladum, un mâle dominant. Sa couleur blanche éclatante fait de lui une espèce qui attire les peinards et qui fait rêver les personnes aux revenus modestes. Il porte le nom de l’oncle de son propriétaire, Mamadou Dioum. « Je lui ai donné le prénom de mon tonton qui est décédé », sourit-il.
À quelques jours de la fête, le mouton en général et ceux de la race de Saër ne laissent personne indifférent au Sénégal où le rituel du sacrifice abrahamique est devenu un lourd fardeau chez les musulmans.
Un colosse à 18 mois qui vaut un million
Issu d’une mère née d’un croisement de bali-bali et de Ladum et d’un père Ladum pure sang, les mensurations de Saër sont étonnantes. La bête fait 118 cm au garrot et 143 cm de longueur pour un poids qui dépasse les 150 kg. Son cou majestueux est entouré d’un collier sur lequel, est accrochée une cloche. Ses courtes cornes sont parfaitement symétriques sur sa tête qui ressemble à celle d’un veau.
À 18 mois seulement, Saër est déjà un colosse. « Il y a d’autres Ladum pure sang dans la bergerie, mais ce qui fait la différence entre Saër et les autres, c’est sa taille, sa longueur. Il n’a même pas deux ans et il pèse plus que les autres. Mais cela est dû à ses origines. On a étudié parfaitement le croisement pour l’avoir », confie Mamadou Dioum.
Mais entretenir cette bête n’est pas chose aisée. « Son alimentation varie, il mange beaucoup de foin parce qu’il faut savoir que c’est un ruminant. Maintenant, pour l’engraisser, on lui donne du maïs de l’haricot et de l’aliment de bétail. Il est aussi dans de très bonnes conditions d’hygiène », renseigne Mamadou Dioum.
Très docile avec les personnes, Saër mène presque une vie de prince chez son propriétaire. Sa nourriture quotidienne dépasse celle de certains Sénégalais. Sans oublier tout un petit monde toujours à ses petits soins. « Il est très bien pris en charge et est choyé à la maison. Mes enfants jouent toujours avec lui et montent même sur son dos », lance son propriétaire.
Imam Babacar Ndiaye : « Mon mouton coûte 500 000 F Cfa »
Cependant, pour des questions économiques, il est temps pour Mamadou Dioum de se séparer de son « tonton ». Mais pour avoir Saër, il faut débourser un million de F Cfa. Une somme qui n’est pas à la portée de nombreux pères de familles, surtout à cette période de pandémie. Pourtant, malgré la crise économique causée par la Covid-19, certains sont prêts à des folies financières pour fêter la Tabaski. Et Saër ne sera sans doute pas invendu cette année. « J’ai déjà un acheteur. C’est ami transitaire qui veut l’acheter. Ce mouton peut valoir plus que ça « , informe son propriétaire.
Aujourd’hui, acheter un mouton cher n’est pas une affaire des richards. Même les moins nantis, qui n’ont pas les moyens de se payer un Saër, vont remuer ciel et terre pour décrocher un bélier bien cornu. « Si j’avais la possibilité de l’acheter, je l’aurais fait, mais je n’ai pas cette somme. Je rêve un joueur d’acheter ce genre de mouton » promet Moussa Diop croisé au point de vente de Patte d’Oie.
Ameth Ndao ne conçoit pas les choses de la même manière que Moussa. Ce jeune cadre sénégalais n’imagine pas dépenser plus de 200 mille pour un mouton de Tabaski. « C’est compréhensible pour certaines personnes. Mais la majeure partie des Sénégalais n’a pas ce pouvoir d’achat et il y a d’autres priorités. Débourser un million F Cfa pour un mouton et avoir un problème de 50 mille le lendemain, ce n’est pas raisonnable », soutient-il.
Mais Imam Babacar Ndiaye fait partie des prêcheurs qui soutiennent que le mouton de Tabaski doit être de la trempe de Saër. « Quand on parle du mouton de l’Imam, c’est qu’il répond aux normes décrites par Dieu. Et il n’y a pas de différence entre le mouton de l’Imam et celui des autres. Donc, ce n’est pas contraire aux recommandations d’acheter un mouton à un million F Cfa si votre volonté est seulement de faire le sacrifice comme le recommande Allah » dit-il. Avant d’ajouter : « moi, j’achète un mouton qui coûte 500 mille F Cfa. »
Le profil typique du sacrifice abrahamique
Si certains considèrent la race de Saër comme étant le mouton des nantis, pour d’autres, acheter un mouton de cette carrure pour seulement la Tabaski relève de pure extravagance des Sénégalais qui aiment se faire voir.
Faux ! Rétorque Imam Babacar Ndiaye. « Dieu a décrit comment doit être le mouton de Tabaski. Il a dit qu’on a échangé la vie d’Ismaïla à un grand mouton. Donc vous imaginez comment ce mouton doit être grand si c’est Dieu lui-même qui parle de grand mouton », prêche-t-il.
Saër est donc le profil typique du mouton de Takaski comme l’a décrit Dieu, selon Imam Ndiaye. Mais ce n’est pas une obligation pour tout le monde. « Il faut préciser que, ceux qui n’ont pas la possibilité de se procurer un mouton qui répond à ces critères, ne sont pas obligés de faire le sacrifice », ajoute Imam Babacar Ndiaye.
Mais le profil d’une bête de sacrifice pour la Tabaski a été interprété de manière plus exhaustive par les savants. Selon ces derniers, rapporte Oustaz Matar Sarr, le plus recommandé c’est un bélier, à défaut un bouc, sinon, un bœuf ou un chameau. Pour chacune de ces catégories, la femelle vaut mieux que le mal de l’espèce suivante.
D’après les explications Oustaz Matar Sarr, le bélier doit avoir entre 8 et 12 mois. Il ne doit pas être maigre, ni atteint d’une maladie comme la diarrhée. Il ne doit pas être borgne ou boiteux. Le mouton de Tabaski ne doit pas avoir des blessures saignant aux cornes et dans d’autres parties du corps. Si ses oreilles ou sa queue sont coupées ou lacérées sur deux tiers de sa longueur, l’animal ne peut pas être utilisé pour le sacrifice d’Abraham.
Et tout musulman qui a les possibilités, doit chercher un mouton qui répond à ses normes pour s’acquitter de ce rituel de la religion musulmane. Mais avec le temps, cette pratique a pris des proportions démesurées notamment au Sénégal. Elle semble être une sorte de concurrence à laquelle presque tout le monde s’adonne.
Pression sociale
Aujourd’hui, trouver le grand bélier de la trempe de Saër est même devenu une pression sociale. Et certains pères de famille sont prêts à tout faire pour le bonheur de leur femme et enfant. C’est le cas de l’histoire de cet homme, relatée par le journal L’Observateur la semaine dernière. Ce monsieur a donné sa voiture en garantie pour un mouton qui coûte un million de F cfa.
Doudou Codou Diop, propriétaire d’une bergerie raconte : « Un père de famille s’est pointé chez moi avec 500 000 F Cfa. Mais, comme c’est un adepte du m’as-tu-vu et qu’il craint les représailles de son épouse, une bourgeoise des quartiers huppés de Dakar, il m’a fait une proposition rocambolesque. Bien que je lui aie proposé un mouton acceptable pour la Tabaski, lui voulait un gros bélier pour épater sa dame, comme l’habitude. Il m’a proposé de laisser en garantie sa voiture, une belle Kya Sportage neuve, en échange d’un mouton à un million. (…) J’ai accepté le marché ».
Une situation qui s’explique par un mode de vie, des croyances coutumières et traditions de la société sénégalaise qui sont perpétrés dans la religion musulmane. « Plusieurs d’entre nous ont adhéré à la religion musulmane sans savoir les tenants et les aboutissants. Pour beaucoup, il y a une méconnaissance réelle des textes. Pour d’autres, il y a la prolongation des pratiques traditionnelles qui accompagnent les exigences canoniques de l’Islam », analyse le sociologue Djiby Diakhaté.
Selon ce dernier, certains Sénégalais ont créé des syncrétismes et continuent « malheureusement » à émarger sur la tradition des us et des coutumes et croient être dans la religion. Ce qui a abouti à une sorte de compétition, dans certaines communautés. « Dans cette concurrence, chacun se dit, je ne dois pas être le dernier de la classe, note Djiby Diakhaté. Je ne dois pas avoir le bélier le plus petit. Il faut aussi ajouter à cela la pression de la belle famille.
Parce qu’il faut charcuter le mouton et le redistribuer aux différents éléments de la belle famille. Ce serait ainsi mal vu de donner à sa belle mère une cuisse qui refléterait celle d’un petit mouton. »
Aujourd’hui, pour être le meilleur de la classe dans cette société sénégalaise, un seul choix s’offre à certains pères de famille : colmater par ci, par là pour se procurer un mouton Ladum, aux mensurations de Saër, qui hante le sommeil de bon nombre de Sénégalais.
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