Fin de rêve, fin de trêve. La radicalisation de la politique migratoire étasunienne a débarqué son premier gros contingent de Sénégalais à Dakar, dimanche matin, après des expulsions moins consistantes. 130, 140, ou 155 ? Les rapatriés divergent sur le chiffre et s’en prennent à la mollesse des services consulaires et autorités sénégalaises.
Une housse. Une simple housse blanche en forme de taie d’oreiller, remplie d’effets personnels. Voilà ce qui reste des énormes espoirs déçus d’un rêve américain qui a atterri sur Dakar. Pour plus de 130 Sénégalais en situation irrégulière, en clandestinité, ou en délicatesse avec la loi au pays de l’Oncle Sam, c’était un voyage au bout de la nuit froide de samedi à dimanche. ‘‘What’s up dude’’, ‘‘Good and you ?’’. Salutation brève avec tape à l’épaule à l’image du salut urbain, ce jeune refoulé ne s’attarde pas sur les lieux à sa sortie du hangar pour pèlerins de l’aéroport international Léopold Sedar Senghor (AILSS). Comme tous les premiers à fouler le sol de leur pays natal, la sortie a été désagréable, agressive à la limite. ‘‘Hey journaliste ne me filme pas’’, s’énerve un deuxième homme dans la cinquantaine contre le cameraman de la chaîne de télé SenTv. Il lui a fallu l’assurance des policiers, attendris par la situation, que la caméra ne tournait plus pour qu’il daigne sortir.
Toujours en tenue de détention, blanc gris, de l’Immigration Custom Enforcement (ICE), [Ndlr : Service des douanes et de l’immigration des Etats-Unis], il se tient à l’écart tirant rageusement sur sa cigarette en attendant que sa famille vienne le prendre. Pour quelques-uns, l’affaire est prise avec beaucoup de philosophie. ‘‘Je suis allé aux Usa avec toute ma famille, ma vie, mes affaires et puis le nouveau président qui vient nous déporter. Je n’ai rien amené d’autre que ma personne, ma foi en moi, des souvenirs de ma mère et de ma famille qui sont là-bas’’, crie un homme de teint clair, les yeux grossis par ses lunettes de myopie, la voix éraillée avec un détachement humoristique tellement surprenant qu’on peinerait à le croire fraîchement rapatrié. Mais pour la majorité, l’abattement et la colère ont été très lourds à porter.
Déjà à 4h30 du matin, les voyageurs ont commencé à débarquer des taxis accueillis pour une température glaciale de la côte yoffoise. Accueillis par une bande de rabatteurs proposant le change, ils s’engouffrent aussitôt dans l’aérogare dans une ignorance totale. Dans le terminal ‘‘arrivée’’, le vol de la Royal air Maroc livre ses derniers passagers qui, devant les grilles, retrouvent de la famille pour de chaudes embrassades dans cette nuit glaciale. Toujours pas d’expatriés ! C’est l’un des rabatteurs qui met la puce à l’oreille des rares journalistes présents. ‘‘Le vol est arrivé, il n’y a pas longtemps, mais ça se passe au hangar’’, déclare-t-il. Subterfuge des autorités pour éviter toute couverture médiatique ou bonne foi ? Certains décident de rester en veille à l’aérogare, tandis que d’autres se dirigent vers le hangar où ces émigrés ont effectivement atterri.
Rien ne transparait par-dessus les murs, où seuls les clignotants des bus indiquaient que ces passagers indésirables sont acheminés à l’intérieur. ‘‘Mon fils a fait quinze ans aux USA et il est refoulé comme ça, sans autre forme de procès’’, s’insurge un ancien agent de la gendarmerie sénégalaise. Une famille originaire de Diogo attend, quant à elle, depuis samedi 20 heures. Malgré l’assurance que dégageait le grand-frère d’Amadou Ndiaye, un expulsé, ses sanglots étouffés trahissent sa douleur de voir son frangin cherchant ses bagages, posés à même le sol du hangar parmi une centaine d’autres arrivants.
Les deux mémorandums du secrétaire d’Etat américain à l’Intérieur, John Kelly du mardi 21 février dernier, demandant aux agents de l’immigration l’expulsion rapide des clandestins qu’ils trouveraient dans l’exercice de leurs fonctions, ont été vite mises en application. Auparavant, après de six mois de détention, l’ICE laissait les clandestins résider sur le sol américain, s’il ne parvenait pas établir avec exactitude, via le consulat du pays concerné, la nationalité d’origine du détenu.
Ligotés comme des moutons
Parmi ces expulsés, il y a les aventuriers de la filière sud-américaine que nous relations dans notre édition du lundi 20 février 2017. Thierno Diouf, la trentaine en vue, est l’un d’eux. Originaire de Lambaye et ayant grandi à Guédiawaye, il raconte les conditions dantesques de l’embarquement pour Dakar. ‘‘Après un semestre en détention, nous avons été surpris quand ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas nous relâcher, puisqu’ils étaient en discussion avec notre ambassade. C’étaient des prorogations par trimestre à n’en plus finir. Hier [Ndlr : samedi], ils nous ont mis dans une grande salle. Nous leur avons dit que nous voudrions voir notre consul, puisque nous ignorions la teneur des discussions. L’immigration nous a dit que cela ne dépendait plus de documents ; que notre président de la République avait signé, que nous allions quitter les Etats-Unis avec ou sans documents valables.
Quand les discussions ont tiré en longueur, ils nous ont éclatés en plusieurs groupes, ont fait intervenir des militaires. Ces derniers nous ont donné cinq minutes pour aller rejoindre le vol charter. Au bout, ils nous ont asphyxiés avec des gaz lacrymogènes, et nous ont acculés avec leurs boucliers anti-émeutes. Mais nous sommes restés debout. Finalement, ils nous ont tirés un par un, nous ont plaqué au sol, menottés au pied, à la hanche, et aux pieds. Ils nous ont ligotés comme des moutons. C’est comme cela qu’ils nous ont fait entrer dans l’appareil et c’est comme cela que nous sommes entrés au Sénégal. Demandez aux policiers sénégalais qui nous ont vus débarquer ?’’, témoigne-t-il dénonçant la complaisance du consul sénégalais qui ‘‘a ourdi une entente contre eux’’.
Mis en confiance par ce témoignage, un autre de déclarer qu’ils ont été ‘‘attachés, certains même en camisole de force pendant les 10 heures de trajet. L’avion devait partir à 3 heures du matin, samedi, mais il a décollé à 9 heures, car nous avons dû opposer une farouche résistance. Quand ils attrapaient quelqu’un nous le secourions, jusqu’à ce qu’ils nous aient finalement tous maitrisés pour Dakar’’, ajoute-t-il
20 000 FCfa pour la peine
Alioune Bèye lui aussi est du lot des clandestins qui ont emprunté la filière sud-américaine. Deux ans au Brésil, puis Pérou, Equateur, Colombie, Panama, Nicaragua, Honduras, Guatemala, Mexique, Usa. Lui s’adresse directement à l’ambassadeur. ‘’Depuis que nous avons quitté le Sénégal, le 17 juillet 2013, et qu’on a finalement rejoint les USA, nous y avons trouvé d’autres africains comme les Ghanéens, Ethiopiens, Nigérians. Eux refusent de donner des documents, mais, pour le Sénégal, le fait est que ces négociations sont basées sur des mensonges. Les consuls de pays ‘‘latinos’’ viennent toujours négocier avec leurs détenus des conditions avantageuses de leur déportation. Nous sommes plus de 130 qui avons été laissés à leur sort. Quand nous sommes revenus, le représentant du ministre des Affaires étrangères a raconté sa vie. Il aurait dû vérifier les documents à notre atterrissage. Cela aurait pu être des ‘‘fake’’ (faux). Qu’est ce qui prouve que des Mexicains, des Nigérians ou des Ethiopiens ne font pas partie de ce vol. Je n’ai pas donné ma vraie identité aux Etats-Unis. On n’y porte des ID (bracelet d’identification)’’, déclare-t-il en exhibant son poignet droit.
Pour ces jeunes qui ont investi en argent et en énergie, le retour a été cauchemardesque. ‘‘Ils ont avalé sans problèmes les conditions américaines, nous ont transporté en bus et nous ont donné 20 mille FCfa. Quand le vol retour était inéluctable, nous avons demandé à l’Ice combien on toucherait pour les dédommagements. Ils nous ont dit qu’ils avaient négocié avec le gouvernement sénégalais, mais ont refusé de nous dire le montant. On sait toutefois que chacun devait toucher 25 mille dollars, d’après ce qu’on a pu savoir (15 millions). L’argent on s’en fiche à la limite, ils auraient dû nous laisser tenter notre chance sur le sol américain’’, proteste-t-il.
Amadou Ndiaye, son compagnon de galère, abonde dans le même sens d’accabler les services consulaires sénégalais. ‘‘L’ICE m’a dit que le gouvernement sénégalais avait avalisé les documents pour mon expulsion, alors que je devais sortir cette semaine même de détention. Après huit mois en détention, mon officier m’a pourtant dit que j’allais être libéré. C’est très dur. Nous tenons à dire à nos parents que nous étions partis à la recherche de conditions meilleures. Nous n’avons rien perdu, mais ce sont les autorités sénégalaises qui nous ont perdus’’, déclare-t-il. Une situation d’autant plus rageante pour lui qu’il devait humer l’air de la liberté cette semaine même, d’après les assurances de son officier traitant.
Gora Yally, qui fait partie du premier lot des expulsés, le 9 février, n’a pas cessé de tirer sur la sonnette d’alarme. J’ai confectionné des tracts pour dire qu’il y a des choses plus importantes que Macky Sall ou Khalifa Sall. Si ces Sénégalais ne font pas partie de la diaspora dont les politiques se glorifient tant, qu’ils nous le disent’’, s’étouffe-t-il de colère. Venu soutenir ses ‘‘frères dans la douleur’’, il désigne Babacar, un brut de décoffrage, originaire du Plateau, dont la jambe est mobilisée par une attelle noire, résultat d’un déménagement forcé. Lui, a joué de malchance. En Caroline du Nord, depuis cinq ans, il travaillait dans une compagnie d’ingénierie mécanique. Mais avec l’appât du gain, il a aussi tenté le commerce et a été arrêté pour fraude.
‘‘Au tribunal, j’ai avoué et j’ai été condamné à quinze mois de prison. A ma sortie, l’ICE est venu me chercher. Ils m’ont gardé pendant 13 mois. La loi stipule clairement que j’aurais dû être libéré au bout de 90 jours sans être rapatrié. Ils ont prolongé ma détention à six, puis à neuf mois, avant de nous dire qu’on devait être acheminés au Sénégal. On n’a pas pu parler au Consul et ils ne décrochent pas quand on appelle. J’ai envoyé trois lettres à Washington au consulat, je n’ai pas eu de retour non plus’’. Un retour au pays très éprouvant pour ce papa en devenir qui risque de ne pas voir son fils. ‘‘Je suis descendu ici avec des papiers et ma tenue de détenu. L’ICE a mon argent et mon téléphone. C’est très difficile, mais on s’en remet à Dieu’’, se résigne-t-il.