Il y a dix ans, Sadia était assassinée par son frère pour avoir refusé un mariage forcé
Il y a tout juste dix ans, Sadia Sheikh était assassinée par son frère parce qu’elle refusait un mariage forcé. Le procès a été historique parce qu’il a permis de reconnaître la notion de crime d’honneur. Depuis, les proches de la jeune fille ne l’ont pas oubliée: l’une de ses amies a d’ailleurs créé un festival en son honneur.
Elle aurait eu 30 ans aujourd’hui. Au lieu de cela, Sadia Sheikh a été lâchement assassinée par son frère, Mudusar, le 22 octobre 2007 parce qu’elle refusait un mariage forcé. Ses parents voulaient la marier au Pakistan et une cérémonie avait déjà été célébrée par Internet.
Mais Sadia avait déjà un petit-ami en Belgique et désirait « vivre à l’Européenne ». Elle avait alors refusé de se soumettre aux désideratas de sa famille qui, pour se venger, a décidé de la tuer.
Cette sordide histoire avait déjà commencé alors que Sadia était en rhéto. Ne se sentant pas à l’aise dans sa famille, la jeune femme avait été hébergée par des amies. Deux ans plus tard, elle avait malheureusement accepté de reprendre contact avec ses proches. Une décision qui lui a été fatale puisque son frère l’attendait dans leur maison familiale de Lodelinsart pour la tuer de deux coups de revolver.
Un procès historique
Si l’émotion a été intense, le procès a, quant à lui, été historique puisqu’il a permis de reconnaître la notion de crime d’honneur, laquelle n’existait jusqu’alors pas dans notre pays.
Mudusar avait été condamné à 15 ans de réclusion devant les Assises. Le papa, quant à lui, avait écopé de 25 ans et la maman de 15 ans. En mai de cette année, l’avocat de Mudusar a expliqué que son client avait progressé dans sa vision de la société. Un bracelet électronique lui a alors été accordé sous une série de conditions. À savoir: poursuivre ses études, respecter un suivi psychologique, ne pas entrer en contact avec sa famille et ne pas quitter le territoire belge.
Un festival en l’honneur de Sadia
Dix ans se sont écoulés depuis sa mort mais Sadia n’a, elle, pas été oubliée. Une de ses amies d’enfance, Tamara Pierno, a voulu lui rendre hommage à travers un festival qui aura lieu du 26 au 28 octobre prochain. Son nom: le Festival Caméléon. « L’évènement tournera autour de deux thématiques », peut-on lire sur le site du festival. « D’une part, l’identité, sa complexité, ses tiraillements, sa richesse, ses appartenances multiples qui nous rendent tous uniques. D’autre part, les violences de genre, dont le mariage forcé et le crime d’honneur, qui trouvent leurs sources dans la manière dont la société entend nous définir, nous construire, nous contrôler parce que nous sommes né(e)s homme ou femme ».
Entièrement gratuit, l’événement aura lieu dans cinq lieux différents de Charleroi: le Quai 10, la Manufacture Urbaine, la Ruche Théâtre, la Maison du Hainaut et Charleroi Danse.
Le mariage forcé, encore bien présent aujourd’hui
Si le meurtre de Sadia a fait évoluer les mentalités, le mariage forcé reste pourtant un sujet d’actualité. « On ne peut pas le nier, ça reste une réalité », nous explique Clémentine Cuvelier, psychologue à l’ASBL Maison Plurielle. « Entre mai et juin de cette année, nous avons pris en charge cinq situations et ce uniquement sur Charleroi. Et encore. Ici, nous avons eu affaire uniquement à celles qui veulent dénoncer, celles qui veulent parler. Ce sont des situations assez complexes parce que bien souvent, il y a tout le poids du silence. Ça reste un sujet tabou. Le simple fait d’en parler peut être mal vu et peut constituer une violation du secret familial ».
Notre interlocutrice pointera également la différence entre les mariages arrangés et les mariages forcés. « Dans les mariages arrangés, une tierce personne va choisir l’époux mais la personne concernée à la possibilité de dire « oui » ou « non » », nous détaille-t-elle. « Par contre, dans les mariages forcés, il y a une contrainte morale, physique ou encore financière. Un consentement doit toujours être libre et éclairé. Mais ne pas dire « non » ne veut pas nécessairement dire « oui ». Il se peut par exemple qu’un adolescent ait une dépendance trop importante par rapport à sa famille pour entraver le fait que le consentement soit éclairé ».
« Ça se passe aussi en Belgique »
Si on a tendance à penser que le mariage forcé est typique de la religion musulmane, la réalité est pourtant tout autre. « C’est bien plus large que ça », nous confie la psychologue. « On fait souvent cet amalgame alors que ce n’est pas ça du tout. Ce phénomène se passe aussi en Belgique avec des personnes bien belges. Ce n’est pas une question de religion mais bien une question de coutume. Ça se passe aussi chez les chrétiens, au niveau de la bourgeoisie par exemple ».
Phénomène difficilement observable tant les pressions psychologiques sont grandes, les professeurs et les centre PMS sont les premiers acteurs dans la prise en charge des victimes. « Nous essayons de travailler de plus en plus avec les écoles pour les sensibiliser à la thématique », nous explique notre interlocutrice. « On veut leur montrer que ça existe aussi en Belgique et leur permettre d’être plus attentifs aux signaux d’alerte. Les familles peuvent exercer toute une série de pressions sur les jeunes filles. Elles peuvent contrôler leur manière de s’habiller, leurs fréquentations, les priver de téléphone,… Tout ce que Sadia avait vécu avant d’être assassinée. Son cas est extrême sans vraiment l’être non plus ».