Ville distante de Banjul de 13 kilomètres, Brufut accueille l’homme le plus puissant de Gambie. Adama Barrow y a élu domicile en attendant la rénovation de la « State house ».
C’est depuis le Sénégal que le président gambien, Adama Barrow, avait annoncé les couleurs. Rentré en Gambie jeudi 26 janvier après le départ en exil de Yahya Jammeh, il a mis à exécution sa promesse. En effet, il n’a pas emménagé au palais présidentiel, en cours sécurisation par des militaires de la mission de la Cedeao pour la Gambie (MICEGA). L’ancienne demeure du président déchu Jammeh devant être passée au crible aux fins d’assurer une installation sûre de Adama Barrow. Qui, en attendant de fouler le perron de la « State house », a trouvé un palais de substitution. A Taf Brufut.
Cité très huppée nichée dans Brufut, une ville côtière à 33 minutes de Banjul, le nouveau quartier général du présent maitre de la Gambie commence à ressembler à un bunker. Pour y entrer, il faut montrer patte blanche. Un lourd déploiement de la gendarmerie sénégalaise accueille tout badaud qui serait tenté d’y aller. L’inaccessibilité de la somptueuse villa, un R+1 où s’est installé le chef de l’Etat gambien, frise la « bunkarisation ». Chaque côté de la rue qui mène à la maison du président Barrow est obstrué par des barrières avec une minuscule porte surveillée également par un gendarme sénégalais de part et d’autre. Si franchir ces barrières relève du parcours du combattant, accéder au domicile du tombeur de Yahya Jammeh est une autre paire de manche. Seuls ceux qui ont pris rendez-vous sont autorisés.
Assis à droite de l’entrée principale du domicile, un autre homme en bleu sénégalais procède au pointage des entrants et des sortants, à la minute près. A l’intérieur, les proches de l’ancien « bodyguard » devenu président sont soit parqués sous une bâche aux couleurs de la Gambie dressée non loin de la porte d’entrée de ses appartements ou éparpillés dans la cour arrière de la maison. Les va et vient vont bon train tandis que Barrow consulte pour mettre sur pied son premier gouvernement. Ainsi va la vie chez le président Gambien dont la garde rapprochée est essentiellement constituée de sénégalais issus du corps d’élite de la gendarmerie sénégalaise, le GIGN.
Son établissement à la cité Taf Brufut il y a moins de deux mois ne dérange pas ses voisins. « L’installation du président dans notre quartier est un bienfait pour nous autres. Chaque jour, on nous sert des mets très copieux », se réjouit un vigile. Son compère renchérit : « S’il ne dépendait que de moi, Adama Barrow ne déménagerait plus. C’est grâce à lui si nous n’envions plus personne. Les plats qui proviennent de la maison du président sont plus succulents que ceux qui sont cuisinés à Kanilaï (village natal de Yahya Jammeh).
Sur le gazon d’une villa qui précède celle du chef de l’Etat gambien, se sont massées des femmes d’âges divers. Interpellées sur leur présence dans les parages, elles chantent en chœur : « nous sommes venues voir notre président ». Elles risquent d’attendre des semaines pour voir leur souhait se réaliser. « Mais le fait d’être ici nous suffit. Nionguikoy enjoy », se résigne l’une d’elles qui dit comprendre l’inaccessibilité subite d’Adama Barrow. En effet, à Taf Brufut, la compréhension est la chose la mieux partagée. En réalité, les habitants n’ont pas le choix.
Dans tous les cas, de grands changements se sont opérés dans le quartier résidentiel depuis qu’ils ont comme voisin le désormais homme le plus puissant de la Gambie. « Toutes les maisons qui font face à la rue où se trouve le domicile du président ont connu une retouche de peinture », fait remarquer un homme d’une quarantaine d’années, avec une petite barbe.
Dans une détresse presque perceptible, un joueur de bongo et son compagnon qui tient un « tama » (percussion d’aisselle) essaient de tirer profit de la situation. « Depuis que nous savons qu’il a acquis une maison dans la cité, nous venons chaque soir ici pour gagner notre vie », explique le sénégambien Ndongo Diouf. Le longiligne joueur de bongo a cette facilité à improviser une envolée en l’honneur du héros de tout un peuple. Le talent de l’artiste ne laisse pas indifférent les gendarmes de la MICEGA qui, faute de laisser s’échapper un fou rire, placent un rictus. L’évocation de la State house fait grincer des dents. Un des proches du président Barrow interviewé par Dakaractu soutient que ce n’est pas demain la veille le départ de ce dernier de Taf Brufut. « Il ne peut prendre le risque d’occuper maintenant le palais présidentiel avec tout ce que Yahya Jammeh a laissé derrière lui », se justifie Doudou Sano. A la question de savoir quand Adama Barrow prendra-t-il son courage à deux mains pour passer sa première nuit à la « State house », l’inconditionnel du sauveur du peuple Gambien répond : « il n’a pas à se précipiter. Et puis, mieux vaut prévenir que guérir ». À bon entendeur…