Thione Seck : Mon problème avec Youssou Ndour: c’est comme un plat de «Ceebu jën». Il a mangé à droite, moi à gauche, après il a…

Jovial, taquin, tantôt le visage crispé… Thione Seck n’a rien perdu de son franc-parler. En liberté provisoire, le chanteur n’a pas été avare en révélations dans l’entretien qu’il nous a accordé. Son nouveau projet, son héritage culturel, la carrière de son fils, la politique culturelle de Macky Sall, les Lions du Sénégal, El Hadj Diouf, sa relation avec Youssou Ndour, ses regrets… Thione n’a rien occulté et promet un retour d’enfer aux Sénégalais. Dans cet entretien, Thione Ballago Seck fait des révélations de taille.
Les Echos : Quel projet préparez-vous aux Sénégalais ?


Thione Seck : Je fais un album panafricain. J’implique dans l’album tous les artistes qui sont dans les pays membres de la Cedeao, mais j’ai démarré par les artistes locaux. J’ai choisi comme parrains aussi les têtes d’affiche. Je veux que les artistes qui sont de ma génération soient les parrains de 9 autres artistes (Youssou Ndour, Baaba Maal, Oumar Pène, Kiné Lam, Souleymane Faye…). Ce qui fera un album de 10 morceaux, dont le morceau du parrain. J’ai privilégié des artistes inconnus pour les aider. Actuellement, j’en suis à 7 CD pour le Sénégal. J’ai démarré par le Mali, mais je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai pu prendre 4 artistes sur les 20, donc il me reste 16. Après je serai en Guinée, au Gabon, en Côte d’Ivoire…. Si cela ne tenait qu’à moi, l’album aurait été bouclé depuis belle lurette, mais, comme c’est un album ouvert à d’autres, cela traine jusqu’à présent. La date de sortie n’est pas encore fixée, parce qu’il y a beaucoup de morceaux. Nous sommes donc obligés de les sortir par version. C’est un projet qui rassemble et fédère beaucoup d’artistes de la Cedeao. Le nom de l’album s’appelle «Tu seras» mais le premier nom est «Thione Seck à gogo».

Quel est l’objectif du projet ?
J’ai 63 ans. J’ai donc atteint l’âge à laquelle le Prophète Mouhammad (PSL) s’est éteint. Alors il n’y a que Dieu qui sait le jour où je devrais partir. Voilà pourquoi je veux laisser une lettre aux Sénégalais au cas où… J’ai déjà fait mes preuves. Aucun artiste ne peut chanter ce que je n’ai déjà chanté, mais c’est toujours bon de laisser quelque chose. Tous ceux de ma génération savent que je suis un as dans la musique. Je ne vais pas attendre que les gens le disent, je le dis moi même. Je suis un excellent chanteur. Dieu m’a aussi donné le don d’écrire. De toute ma longue carrière, je n’ai jamais écrit quelque chose qui a été démenti ou fait l’objet de polémique.

Est-ce qu’il vous arrive de vous dire que vous êtes le meilleur chanteur de la place ?
Je ne sais pas si je suis le meilleur, mais sur une ligne de course, quand le départ est donné aux chanteurs, je serais devant tout le monde.

Est-ce un album d’au-revoir ?
Il y a des gens qui pensent que c’est le cas. Mais, tant que Dieu me donnera la force de faire ce que j’ai toujours fait, je ne m’arrêterais pas. J’ai encore toute ma tête, ma voix est toujours au point et le studio est là (il pointe du doigt le studio niché dans le dernier étage de sa demeure), donc ce n’est pas un au-revoir. Si Dieu me prête longue vie, je continuerai de chanter.

Le coût de l’album doit être salé, combien cela vous a coûté ?
C’est très dur et très couteux. Je sais que je n’ai pas les moyens de mes ambitions, mais en tant que musulman, je m’en remets à Dieu.

Si vous regardez aujourd’hui votre carrière, qu’est-ce qui vous rend fier ?
Quand j’écoute la radio et que les prêcheurs citent mon nom ou donnent des exemples avec des paroles qu’ils puisent de mes chansons, ça, c’est une fierté. C’est une très grande fierté pour moi. Je rends grâce à Dieu. J’ai constaté qu’Oustaz Alioune Sall le fait souvent. Même quand j’étais en prison, je l’ai une fois entendu dire : «Thione Seck est dans des difficultés, mais est-ce qu’il sait ce que Dieu a fait pour lui jusqu’à ce qu’il en arrive là ?» Je pense que j’ai trouvé la réponse à cette question et je garde ça pour moi.

Que pensez-vous des thèmes abordés par la nouvelle génération de chanteurs ?
Les artistes font des recherches, mais c’est très difficile. Ils sont trop fatigués, même s’il y en a qui tirent leur épingle du jeu. Mais ce sont des guerriers, ils se battent sans aide. Les gens attendent que tu sois sur le point de mourir pour organiser un semblant de collecte d’argent. Et là, ils t’exposent et exhibent ta vie. Seulement, à chaque fois qu’il y a collecte d’argent, deux ou trois mois après, tu meurs. Pour mon cas, le ministère de la Culture ne m’a jamais aidé. Depuis que j’ai commencé à chanter, je n’ai jamais reçu de l’aide venant de notre ministère de tutelle.

Pourtant le régime en place avec la Sodav…
(Il coupe). La première fois que la loi sur les droits d’auteur a été évoquée à l’Assemblée, on avait fait appel à moi, Youssou Ndour, Ismaïla Lo, Baaba Maal… Feu Latif Guèye présidait la séance et nous nous sommes battus pour l’avoir, avec l’accord d’Abdoulaye Wade. N’empêche, la piraterie est toujours là. J’ai une fois entendu mon ami Ousmane Ngom (ancien ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur) dire que les jours des pirates étaient comptés, mais, jusqu’à présent, ce problème n’est pas réglé. Entre voter une loi et l’appliquer, il y a toujours une différence. Ceux qui nous piratent ont plus de moyens que nous. Tout de même, je reconnais qu’Abdoulaye Wade aimait la culture. Il l’a manifesté dans ses actes à maintes reprises; il aimait aussi la musique. Il m’a même dit qu’il était un pianiste à l’école. Abdoulaye Wade aime la culture, d’ailleurs des hommes de culture qui savaient cela, ont profité de lui.

Pourquoi les jeunes chanteurs n’arrivent toujours pas à joindre les deux bouts ?
Ce n’est pas la même chose. Nous avions la chance de nous produire chaque samedi, parce que les sociétés organisaient souvent de grandes nuits mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. En plus, la vente des Cd est en chute libre. Pour ma part, j’ai senti le coup dans ma boîte de nuit «Penc mi». Par exemple, sur le plan sportif, les lutteurs comme Mbaye Guèye n’avaient pas de cachet qui dépasse les deux millions, alors qu’aujourd’hui, les lutteurs reçoivent des centaines de millions. C’est le cas des joueurs de foot. Séga Sakho était très bon, mais il ne touchait pas ce que Sadio Mané touche aujourd’hui. Si je savais que le foot ferait des milliardaires, je n’aurais pas chanté, parce que j’étais un excellent ailier gauche. On m’appelait Petit Poucet.

Que pensez-vous de la politique culturelle de Macky ?
Elle n’est pas équidistante. C’est trop flagrant et c’est injuste. Normalement, c’est avec l’ère de Macky Sall que les artistes devaient bénéficier de soutien de manière équitable. Ceux qui en bénéficient ne vont jamais dire à Macky d’équilibrer.

Etes-vous confiants avec Abdoul Latif Coulibaly comme ministre de la Culture ?
Je le connais et je suis confiant. En tout cas, il est mieux que Mbagnick Ndiaye ou Guerté Ndiaye. Je ne vais jamais oublier le fait que les journalistes lui posent des questions sur mon cas et qu’il leur demande d’arrêter. Il a même dit qu’il porterait plainte contre les journalistes qui lui poseront des questions sur moi. Ce qui veut dire qu’il m’avait déjà jugé, sans pour autant s’enquérir de la situation. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il portait juste les habits d’un ministre et que tôt ou tard, il ne les porterait plus. Pourquoi, en tant que ministre de la Culture, on lui pose cette question et qu’il réponde comme si j’étais un bout de bois ou un torchon ? Pourtant, pendant 40 ans, je n’ai fait qu’éduquer et les jeunes en ont bénéficié.

Pourquoi vous les artistes, vous ne vous organisez pas ?
Ce n’est pas un problème d’entente, mais, quand la politique entre quelque part, c’est fini, ça gâche tout. La politique actuelle dans la culture n’est pas équitable. Quand on parle de culture, chacun doit en bénéficier. Ce n’est pas parce que tu fais de la politique que tu dois en bénéficier. Ce n’est pas normal. Le président de la République doit équilibrer les choses.

On n’a pas entendu votre réaction quand Youssou Ndour a gagné un prix et qu’il a décidé de reverser cet argent à la mutuelle des artistes…
(Il coupe). S’il l’a fait en faisant des calculs, ça n’engage que lui, mais s’il l’a fait pour aider les artistes, Dieu va le payer.

Qu’en est-il actuellement de vos relations avec Youssou Ndour ?
Les gens en parlent et continueront d’en parler, car c’est comme un plat de «Ceebu jën». Il a mangé à droite, moi à gauche, après il a voulu m’interdire de manger, mais j’ai dit non. C’est tout !

C’est comme une rivalité entre Messi et Ronaldo…
Absolument !

Lequel est Lionel Messi ?
J’ignore si je suis Messi ou Sadio Mané (il se tord de rire), mais une chose est sûre, chacun d’entre nous est presque arrivé au terme de sa carrière. Que ce soit Omar Pène, Ismaël Lo, Baba Maal, Youssou Ndour, notre sœur Coumba Gawlo et moi-même, nous avons accompli notre mission. C’est tout. Place à la nouvelle génération.

Justement, y a-t-il des chanteurs de la nouvelle génération qui vous plaisent ?
Oui ! Il y en a beaucoup, comme il y en a aussi qui ne m’enchantent pas du tout. Dés qu’ils commencent à chanter, je me bouche les narines, car cela ne sent pas bon, parce que c’est tout faux. Par contre, à force d’entendre certains musiciens, je me régale.

Qui sont-ils ?
Ce n’est pas la peine de les citer, car ils sont nombreux. Moi, je n’ai pas beaucoup de temps. Il m’est difficile d’écouter de la musique sénégalaise, à la maison ou dans ma voiture. Pour dire vrai, c’est par hasard que je tombe parfois sur une chanson sénégalaise, en zappant à la radio.

Avez-vous des Cd de Wally Seck ?
Non, je n’en ai pas avec moi. Si c’est juste pour l’écouter, on entend sa musique partout au Sénégal.

Avez-vous regardé le dernier concert de Youssou Ndour à Bercy ?
Non, je ne l’ai pas regardé, par manque de temps. J’étais en studio pour les enregistrements.

Aviez-vous retenu la date ?
(Il marque un temps d’arrêt). Pour dire vrai, je n’ai retenu que la date de l’année où on m’avait invité à Bercy. Youssou Ndour, honnêtement, avait respecté tous les engagements qu’il avait pris. Il m’a même payé le double.

Que répondez-vous à ceux qui disent que vous aviez interdit à Wally Seck d’aller à Bercy ?
Moi, son père, je ne voulais pas qu’il y aille ? Ma tay ! (je m’en fous). On avance.

Donc vous lui avez interdit …
Ma tay ! (Je m’en fous). Je vous ai répondu.

Que pensez-vous des deux titres que votre fils a gagnés récemment aux Etats-Unis ?
C’est une bonne chose, car il le mérite amplement, comme tous les chanteurs de sa génération. Mais que cela ne lui monte pas trop à la tête, car c’est un prix largement à sa portée. Je prie donc que Dieu lui accorde d’autres trophées, comme tous les chanteurs de la place. Le succès de Wally Seck, c’est de la volonté divine. Mais aussi grâce à son amour pour le travail et la bénédiction de ses parents. Il est sur la bonne voie. Je pense que s’il ne lève pas son pied, il peut même me devancer.

Au point de vous envoyer à la retraite…
Personne ne peut me pousser vers la sortie ! Cela dépend seulement de moi et de personne d’autre. Tant que je suis en bonne santé, je vais chanter. Je le fais très bien. Pourquoi donc arrêter ? Mais, pour Wally Seck, il est prêt. Dans le passé, je refusais de dire qu’il savait chanter, pour ne pas qu’il brûle les étapes, maintenant, il est prêt (Mango bi gnor na) (Ndlr : le fruit est mûr).

Est-ce qu’il vous arrive de travailler ensemble à la maison ?
Non, il me fuit comme la peste.

Pourquoi ?
Demandez le lui. Peut-être, il vous répondra.

Et les supposés différends entre Wally Seck et Pape Diouf…
On ne peut pas empêcher les gens de parler, mais ils doivent tout faire pour ne pas faire comme Youssou Ndour et moi. Nous avons commis des erreurs dans le passé. C’est à eux de les éviter. D’ailleurs, j’ai dit à Youssou Ndour que nous sommes tous fautifs, parce qu’on a laissé faire. Je leur redis la même chose. Mais comme Wally Seck, c’est mon fils, on lui met forcément des bâtons dans les roues. C’est tout.

Pourquoi ?
C’est à vous de leur demander pourquoi.

Peut-être que vous dérangez ?
Absolument ! Thione Seck a toujours dérangé. Si j’avais accepté ce que les autres ont reçu, j’aurai dépassé ce stade. Moi, je ne crois qu’à mon talent (il se répète). Nous sommes une famille de griots. Nos grands-parents étaient les chanteurs de la cour royale du Damel du Cayor. C’est ce même Damel qui a offert à nos grands-parents une ville qui s’appelle «marene», c’est la raison pour laquelle, on surnomme «Faramarene».

Est-ce que vous suivez l’actualité politique ?
La politique ne m’intéresse pas et pour le moment, je ne veux pas le faire. Mais, comme c’est le cas Khalifa Sall, qui est un ami et frère qui domine l’actualité, je lui dirais de prendre son incarcération comme une volonté divine. Car nul ne peut échapper à son destin. Je prie pour qu’il soit en bonne santé et sorte très vite.

Et votre boite Penc-mi…
(Il coupe). Si c’était à refaire, je ne le ferai plus jamais. Je regrette aujourd’hui. La conjoncture est passée par là. Lorsque je l’ai créée, on jouait toute la semaine et c’était très rentable. Ce qui n’est plus le cas maintenant. C’est du gâchis, je regrette profondément. Mais elle a permis à Wally d’accélérer son apprentissage et voilà. J’ai arrêté de jouer, car je suis occupé par mon album, mais si je termine, je vais reprendre le travail.

Avez-vous gardé le contact avec certaines personnes connues en prison ?
J’ai gardé le lien avec tout le monde. Attention, je suis en liberté provisoire et j’attends mon procès. Rien ne dit que je ne retournerai pas en prison. Si toutefois, le dossier terminé, je vais parler comme jamais (Dina wax ba geex). Je le dis et je le répète. La prison m’a beaucoup enseigné et m’a permis d’ouvrir les yeux sur certaines choses. J’ai appris que tout peut arriver dans une vie. Je ne savais pas non plus que j’étais si important pour les gens qui ont orchestré ce complot contre ma personne et que j’étais si insignifiant aux yeux de ceux qui nous gouvernent. Je me suis senti rejeté. Des gens ont trainé mon nom dans la boue, sans savoir les tenants et les aboutissants de cette affaire. Mais, comme ils l’ont fait à des personnes avant moi, ce n’est pas un problème. Ils ont réussi à faire de telle sorte que des journalistes européens écrivent sur moi pour salir encore mon nom.

Avez-vous suivi la qualification du Sénégal au prochain Mondial ?
Bien sûr et c’est une grande fierté pour tout Sénégalais. Mais, dans le passé, des gens avaient causé du tort à des hommes de Dieu. Il est temps de leur demander pardon pour le bien de l’équipe. C’était une erreur, il faut la réparer. Car nous voulons tous que l’équipe aille très loin lors du prochain Mondial.

Comment trouvez-vous la poule des Lions ?
Un groupe difficile, mais nous avons les moyens de passer.

Est-ce que vous avez un joueur préféré en équipe nationale ?
Oui, mais je le garde pour moi (il marque un temps d’arrêt encore..). Maintenant, je ne veux plus m’afficher publiquement pour un joueur que j’adore, comme ce fut le cas dans le passé. Je prends l’exemple d’El Hadji Diouf. Ce dernier, je lui avais même dédié une chanson en citant tous ses trophées. Mais El Hadji Diouf m’a déçu. Jamais, au plus grand jamais, je ne me permettrais de dire qu’El Hadji Diouf est le père de tous les footballeurs sénégalais. Non ca, jamais ! Le jour où je l’ai entendu dire que Youssou Ndour est le père de tous les chanteurs au Sénégal, je suis tombé des nues. J’étais ébahi, parce que je ne vois rien qui doit le pousser à affirmer de telles sottises. De par son statut et la place importante qu’il occupait dans mon cœur, je n’ai jamais pensé qu’il ferait une déclaration pareille. Même Youssou Ndour doit savoir en âme et conscience qu’il a dit ça juste pour le flatter. Car il n’est pas meilleur que nous en chanson (Daquma woy !). Il le sait, donc, il ne peut pas être notre père dans la musique (mënul nek sunu baay !) et en vertu de quoi ? Depuis ce jour, j’ai tourné la page de Diouf. Je ne veux plus le voir, même en photo. Les autres ne le diront pas, mais moi je le dis. Je me suis senti offensé au plus profond de moi-même. C’est anormal. El Hadji Diouf ne m’a pas offert des millions. Il m’a juste donné un million, lors de mes anniversaires, comme les autres parrains l’ont fait. N’empêche, j’avais une grande estime pour lui, au point de lui composer une chanson, sans rien attendre en retour, mais je n’ai pas compris son attitude. Et ça, je m’en souviendrai jusqu’à la fin de ma vie.

A part la chanson, quelles sont vos activités de distraction ?
J’aime regarder le football, surtout européen. J’adore la Ligue des champions et la méditation. Dans le passé, je suivais beaucoup la boxe avec Mike Tyson et certains anglais.

Propos recueillis par
Mansour SAMB et Samba THIAM

jotay.net

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