Sénégal : Depuis quand la jouissance et la réjouissance prennent le dessus sur le devoir de servir ?

Au Sénégal, on a l’impression que la jouissance de ses fonctions prend le dessus sur le rôle primordial de la fonction  qui aurait pu être l’acte de servir.

Dans l’imaginaire sénégalais, la  réussite est une réussite collective. Elle est celle de toute la communauté d’appartenance.

En conséquence, dans la structure d’où l’on détient un poste de responsabilité, une fonction plus ou moins importante, la  tendance à recruter ses amis, les membres de sa famille, les habitants de son village, parfois même les amis de ses amis ne tardent pas à se manifester.

La relégation de la compétence au second plan

Parlant de l’Afrique, Jean François Médard soulignait que la possession d’un diplôme est longtemps considérée comme une condition juridique impérative pour obtenir un emploi administratif quelconque au point que l’on a pu parler de bourgeoisie du diplôme. Paradoxalement, au Sénégal, force est de constater que cette règle est négligée voire de moins en moins observée. Le diplôme semble ne plus être un élément déterminant pour accéder au monde de l’emploi.

Ce faisant, les principes de base pour entrer dans le marché du travail et les conditions d’obtention d’emploi se voient foulés aux pieds.

Partant, la compétence est jetée à la rivière, le recrutement se fait par affinité. C’est ce qui justifie dans certains cas le chômage de certains jeunes, qui malgré la certification, la compétence  peinent toujours à trouver du travail.

Aujourd’hui, c’est se laisser emporter à une douce rêverie  en misant seulement, strictement, sur ses compétences pour réussir, du moins trouver du travail.

Les étudiants peinent même à obtenir des stages. Les demandes de stage sont rarement examinées pour ne pas dire jamais. D’ailleurs, c’est devenu même un truisme de mentionner ceci car étant une palissade, si elle n’est pas la mieux partagée par tous.

C’est la règle conventionnelle du fameux « bras long » qui persiste et frustre encore. Un simple appel téléphonique ou message évoquant les rapports de parenté, de connaissance et d’amitié directe ou indirecte suffit largement pour obtenir son stage dans une entreprise ou exercer sa fonction dans celle-ci dès la réception du dit appel ou du message.

   « L’inintelligibilité électorale »     

Par ailleurs, ce favoritisme se glisse sur d’autres registres  et minent plusieurs secteurs. Dans le cadre politique, le constat est inquiétant.

Dans cette perspective, le favoritisme se manifeste pendant les élections par un vote massif en faveur du « candidat communautaire», si on peut s’exprimer ainsi. Généralement on ferme les yeux sur la pertinence ou non du projet proposé. Peu importe, Ce qui compte c’est qu’au soir du comptage des voix que le candidat que l’on soutient, parce qu’on partage le même village ou la même ville, gagne.

Dans cette mouvance les travaux de Sydney Verba et de Gabriel Almond ne sont-elles pas opératoires ?

The civic culture est une illustration de l’approche culturelle chez Almond et Verba à travers la culture paroissiale. Selon ces auteurs, la culture paroissiale caractérise les  cultures qui n’éprouvent pas vraiment un sentiment d’appartenance nationale. L’ethnie ou la localité préoccupe plus que la nation. En conséquence, relativement, cette description est décelable dans nos sociétés.

Sur ce point précis, il ressort en ce sens les lacunes de la démocratie de par le suffrage universel direct. Churchill avait peut-être raison de dire que la démocratie est le moins mauvais des systèmes politiques, si toutefois la comparaison est permise.

Aucune logique « rationnelle », encore moins nul cadre théorique si nous glissons sur le terrain de la science particulièrement celles des sciences sociales, ne peuvent expliquer cet état de fait. En poussant la réflexion plus loin, l’on s’aperçoit qu’elle n’est qu’un « don conditionné ». D’où la résultante majeure qu’est la fameuse « redistribution ciblée » des ressources, destinées naturellement  à des projets bien déterminés  mais parfois détournées à ceux-ci au profit d’une clientèle politique entretenue par des miettes.

Cette notion de redevabilité se retrouve généralement aussi chez « les fonctions de grandes responsabilités». D’ailleurs c’est devenu habituel de voir des manifestations de part et d’autres pour fustiger le manque de générosité de certains élus ou dépositaires de postes de nomination comme si c’est une obligation de donner des sous ou de quelque bien que ce soit à ceux qui sont présumés être plus ou moins les acteurs à l’origine de la nomination ou de l’élection.

C’est devenu encore une coutume de voir des cérémonies organisées pour célébrer la nomination ou l’élection d’un proche parfois avec faste et libéralité.

« La punition sociétale »

La non observation de ce phénomène, n’est pas sans entrainer des conséquences à l’égard des « récalcitrants » ou « déviants » aux yeux de la société.

En ce sens, des hommes politiques comme CTG (ancien ministre des affaires étrangères sous le magistère d’Abdoulaye Wade) ont payé le prix de leur abstinence dans l’inobservation de cette «règle».

Il lui a été reproché de n’avoir pas beaucoup aidé son village, de n’avoir pas bâti sa propre maison dans son village outre celle familiale. Ceci pourrait relativement expliquer son faible électorat dans cette contrée, lors de l’élection présidentielle de 2012 qui se situe en dessous de 2 pour cent.

Par conséquent pour se racheter politiquement dans son fief, c’est sans nul doute, ce qui est à l’origine de cette belle bâtisse de couleur  blanche logée à quelques mètres de la route nationale numéro 2 à Gadiobé, son village d’origine. Comme, par ailleurs, pour attirer l’attention des passants, se racheter politiquement et symboliser son nouveau conformisme.

Ce sont généralement ces maux qui gangrènent notre pays et hypothèquent l’avenir de beaucoup de jeunes qui perdent l’espoir de façon exponentielle de jour en jour.

En définitive, ces pratiques « absurdes » doivent être combattues jusque dans leurs ultimes retranchements car elles ne  sont qu’une autre forme de corruption, source de détournements de deniers publics, de promotion de la racaille du service public  entre autres dérives.

Quand, dans une société, le favoritisme s’érige en règle, la résultante ne peut être qu’une inefficacité totale et une  médiocrité généralisée.

Somme toute, la générosité est une vertu mais elle devient un vice lorsque le bien à la base est illicite voire d’origine douteuse.

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