Présidentielle 2019 – Karim Wade partout, Karim pour tout : forces et faiblesses d’une «candidature»

Karim Wade est sûrement le politicien le plus présent ces temps-ci. L’annulation de son inscription sur les listes électorales dont le principal commanditaire serait l’Etat du Sénégal, d’après ses partisans, l’a propulsé plus que jamais au-devant de la scène. Décidé à faire de Karim son seul et unique candidat, la formation du père, le Parti Démocratique Sénégalais, fait flèche de tout bois et exerce sur les autorités étatiques une pression énorme. L’entêtement des libéraux ou plutôt leur obsession de porter la candidature de Karim Wade est révélatrice du statut de méga leader qu’occupe Wade-fils au sein du plus grand parti de l’opposition. Toutefois, il est de notoriété que si une telle candidature a des forces incommensurables, elle a aussi des faiblesses que nul ne pourrait occulter.

Quand il faut soutenir le fils au nom du père

La question qui devrait intéresser plus les politologues et spécialistes en sociologie politique concernant le PDS devrait être le pourquoi une telle loyauté envers Karim Wade si l’on sait que beaucoup de ses inconditionnels ne lui doivent rien ou presque. Jeunes et vieux soutiennent mordicus que Karim doit et va être le candidat du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) lors des prochaines joutes électorales. En vérité, la question serait plus simple et l’équation plus facile à résoudre si le PDS était toujours au pouvoir parce que tout simplement nombre d’allégeances se feraient sous le coup de l’intérêt…alimentaire et non politique.

Pourtant depuis la chute du parti libéral, les plus grands ténors portent le combat pour la réhabilitation de l’image de leur jeune leader. Même si certains ont quitté la barque pour retrouver le fils adoptif Macky Sall, le soutien presque unanime et sans faille à Karim Wade qui se trouve à mille lieues du pays n’est ni fortuit ni hasardeux. Rares sont d’ailleurs les gens qui ont osé élever la voix pour contester le choix porté sur Wade-fils et ceux qui, comme Farba Senghor, ont eu à s’attaquer à l’intouchable « fils de » furent tout simplement chassés du parti. La loyauté aux Wade ne se limite pas au seul père ; elle doit s’étendre à toute la famille. A l’instar de beaucoup de politiciens à travers le monde où la baraka des pères se déteint sur leurs fils, Karim Wade ramasse bien les lauriers après le travail colossal et très apprécié de son père.

Karim, la Génération du Concret et les « Karimistes »

Il serait réducteur et simpliste de calquer les mérites de Karim sur la seule œuvre de son père. Autrement dit, les inconditionnels de Karim ne sont pas seulement ceux de son père c’est-à-dire des « Wadistes ».  D’ailleurs, on entend plus parler du terme depuis que le pater s’est « retiré » de la politique. L’ère des « Wadistes » est révolue et supplantée par celle des « Karimistes » à  l’étape pure et dont l’engagement est plus fort. La conviction de ces militants, pour la plupart des jeunes, n’est nullement comparable à celle des autres formations politiques. Le mérite de Karim Wade résulte du fait qu’il se soit fait une base personnelle dans le PDS avec la création de la Génération du Concret. En tant que ministre étiqueté « du ciel et de la terre » en référence aux gigantesques départements dont il avait la charge, Wade fils avait à sa disposition toutes les cartes pour dérouler son plan de « récupération » du bien commun à lui, Macky et Idrissa Seck qui avaient déjà été écartés. Il s’y ajoute que ladite Génération occupait tous les médias et s’appropriaient les réalisations concrètes et partout visibles du président Wade.

Au nom du fils, nombre de jeunes ont vécu l’expérience de la prison ou ont fait face à la justice parce qu’il ne fallait pas toucher à leur leader. La plupart d’entre eux se sont vus attribuer un séjour en prison lors du procès historique de l’affaire de l’enrichissement illicite déclenchée par la CREI. En Août 2014, à l’ouverture dudit procès, le jeune MoÏse Rampino, un soutien de Karim écope deux ans de prison pour avoir traité les magistrats de la CREI d’« antibalaka ». Trois mois plus tard, ce sera autour de son ancien chef de cabinet Bachir Diawara d’être arrêté pour trouble à l’audience en Novembre 2014. Pendant tout le temps que dura le procès et même après, les « Karimistes » subirent une dure purge avec aussi l’arrestation de Toussaint Manga et ses camarades de l’Union des Jeunesses Travaillistes Libérales (Ujtl) à l’issue de violentes manifestations pour la libération de Karim le 23 Mars 2015.  La liste des « karimistes » arrêtés est très longue et témoigne de la conviction et de la loyauté de certains jeunes à son endroit. Rien à voir avec le legs paternel.

Aucun plan B : Karim de A à Z

Même en sachant que la candidature de Wade-fils ne tient qu’à un très mince fil, le PDS ne veut guère parler de plan B. Karim demeure ainsi l’alpha et l’oméga de toutes les options. D’ailleurs les ténors du parti ne s’essaient même pas à envisager une élection sans Karim Wade dont l’inscription et l’éligibilité sont sur toutes les lèvres. Rien qu’en observant l’énergie débordante dont les libéraux font montre quand il s’agit de Karim Wade, on peut parier fort qu’ils ne lésineront guère sur les moyens, conventionnels ou non, pour présenter leur unique candidat.

Pourquoi tant d’entêtement qui consiste même à battre en brèche une hypothèse à tout le moins acceptable : la non titularisation de Karim ? Karim écarté, le PDS sera simple observateur et ce serait une grande erreur. Il n’est pourtant pas impossible au principal parti de l’opposition de trouver un joker qui peut les amener très loin dans cette entreprise de reconquête du pouvoir. L’absence de plan B n’est que porteuse de déception vu tout ce que Karim et compagnie ont enregistré comme revers sur le plan judiciaire depuis l’accession de Macky au pouvoir. Il y a de la matière grise, plus d’une vingtaine de sérieux « présidentiables » dans cette famille libérale qui hélas préfère se liguer derrière un candidat dont l’avenir et même le retour au pays sont incertains.

Même si le PDS venait à faire valider l’inscription sur les listes électorales de Wade-fils- je ne sais vraiment de quelle manière- il lui restera un autre obstacle à surmonter : le conseil constitutionnel qui devra valider les candidatures. Vu sous cet angle, le problème de l’inscription ou non de Karim est une question mineure car cela ne règlera aucunement le problème de sa candidature. En effet il est bien possible que Karim soit inscrit et voie sa candidature refusée à travers des micmacs de la justice. Après tout, impossible n’est pas sénégalais. Dès lors un plan B s’impose puisqu’à tous les coups, l’Etat gagne devant les juridictions internes surtout en matière politique. Et les lamentations n’y feront rien.

Forces et Faiblesses d’une candidature

Le choix de Karim Wade comme candidat est le meilleur qui soit s’il n’y avait pas ces démêlées avec  la justice pour diverses raisons. D’abord parce qu’il est l’héritier légitime de son père et en tant que tel il fait l’unanimité autour de lui plus que les autres. Beaucoup de votants l’auraient choisi à travers le vote affectif très important chez nous. Sociologiquement parlant, même s’il ne parlerait pas Wolof, de nombreux électeurs pourraient aller dans le sens de voter pour Karim car l’image de son père et ses réalisations le couvriront partout. Comme la plupart des candidats, fils d’anciens présidents, Wade-fils aura une ascendance psychologique et sociologique sur beaucoup de ses compères.

Ensuite, sur un plan plus personnel et ou professionnel, Karim Wade est l’auteur de certaines réalisations en tant que ministre de l’énergie, des infrastructures, du transport aérien. Comme l’ensemble des politiciens aiment se targuer d’avoir réalisé des projets quand ils étaient à la tête de tel ou tel département, Karim peut se glorifier de la réussite du plan « Takkal » et de certains grands édifices. Le président Macky Sall ne s’en était pas défendu en 2012 où il rappelait certaines réalisations dans certaines contrées qu’il visitait même si ce n’était qu’en tant que ministre ou premier ministre. Karim pourrait ainsi réclamer la paternité de l’aéroport Blaise Diagne, pourquoi pas ? Si l’on y ajoute son charisme, Wade-fils demeure un atout majeur pour le PDS en 2019.

Toutefois, il faudra toute une armada d’experts pour redorer l’image du fils de Wade. Dans un premier temps, le candidat du PDS devra faire face à sa condamnation par la CREI qui conclut que Karim a détourné l’argent du peuple. Ce contentieux devra être tiré au clair et il y a loin de la coupe aux lèvres. Ici, si évidence il y a, c’est qu’une importante frange de la population s’est laissée convaincre que Karim Wade n’est pas blanc comme neige. A tort ou à raison. En plus, tant que l’amende à lui imposée par la CREI n’est pas réglée, ces milliards détournés selon la cour serviront de fonds de campagne au pouvoir et même à une certaine opposition.

Un deuxième handicap à la candidature de Karim serait de nature historique. Le peuple, en vérité, ne peut pas oublier que les évènements du 23 juin 2011 avaient comme base un certain projet de dévolution monarchique du pouvoir. Sur ce plan, Karim peut être mal barré puisque du sang avait coulé pour contrecarrer ce projet paternel. Eh bien le passé peut bien nous rattraper surtout quand on est homme politique. Il faut rappeler que ces genres de détails qui ont fait perdre François Fillon lors de l’élection présidentielle de 2017.

Le troisième handicap découle tout simplement de la stratégie du fils de Wade qui élit domicile à Qatar. En optant une communication via les lettres et correspondances par les réseaux sociaux et médias, Karim fait certes le « buzz » que recherchent tant d’hommes politiques mais risque de perdre gros. Une élection présidentielle se gagne longtemps avant sa tenue. Et à moins de sept mois du rendez-vous, Wade-fils est resté aphone malgré la volonté affichée de ses partisans de l’entendre ou de le voir. On ne peut trouver aucun message audio vidéo de lui ou où il parle des problèmes du pays pour tirer la couverture de son côté. C’est plutôt aux hommes de confiance du père de faire le « donkey work » ; lui Karim agira peut-être en temps opportun.

Cette stratégie n’est aucunement payante et elle est décriée par certains de ses camarades dont une partie n’a pas hésité à quitter tout simplement. Un candidat qui veut gagner a besoin de communier avec son électorat et communiquer sur tous les aspects de la vie. Il doit être présent physiquement et s’attaquer aux maux avec des propositions de solutions convaincantes. Les mots à eux seuls et une présence virtuelle ne peuvent pas gagner une élection même pas locale.

Par Ababacar GAYE

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