Moustapha Diakhaté : « J’ai dû commettre des erreurs »

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Moustapha Diakhaté, président du groupe parlementaire Benno bokk yaakaar

Le président du groupe parlementaire Benno bokk yaakaar, Moustapha Diakhaté, n’est pas candidat pour les législatives du 30 juillet prochain. Il n’a pas été zappé des listes de la coalition, il a décidé de son propre chef, il y a belle lurette, de ne pas se représenter. Au moment de vider ses terroirs et de faire ses cartons pour quitter son douillet fauteuil à l’Assemblée nationale, il promène son regard sur la classe politique sénégalaise, tous bords confondus. Un regard critique. Voire sévère. Qui l’amène à pointer ses errements et le pousse à prendre quelques résolutions afin que les choses changent. Un entretien sans détour. Vraiment sans détour.

47 listes : une solution

« Quarante-sept (47) listes, c’est une première dans l’histoire du Sénégal. Je crois qu’on a franchi le Rubicon, pour ne pas dire le ridicule, avec ces élections législatives du 30 juillet prochain. C’est d’abord beaucoup de confusion au niveau des couleurs, c’est beaucoup de temps perdu pour l’électeur, mais c’est surtout beaucoup d’argent perdu pour le contribuable sénégalais. Initialement le budget tournait autour de 6 milliards, mais il est clair que nous risquons d’aller au-delà de 16 milliards.

Ceci est d’autant plus désolant qu’environ 7 listes seulement seront à l’Assemblée nationale. Et pour ce qui concerne les difficultés et les lenteurs, la mesure la plus urgente à prendre par le ministre de l’Intérieur, sans pour autant modifier le Code électoral, c’est d’augmenter les isoloirs dans tous les bureaux de vote pour permettre à 5 électeurs de voter en même temps, ou en tout cas d’être dans le même bureau de vote.

Dans l’avenir, la classe politique sénégalaise devra prendre son courage à deux mains, notamment les partis de gouvernement, pour épargner les Sénégalais de ces corvées mais aussi pour économiser les deniers publics. C’est pourquoi je pense qu’il y a un certain nombre d’axes que nous devons scruter.

« Nous devons empêcher les politiciens fantaisistes de jouer avec notre démocratie. »

D’abord sur la suppression de la liste nationale : il ne faut pas que des petits groupuscules jouent sur la proportionnelle pour avoir une représentation nationale. En soi ce n’est pas une mauvaise chose, mais je crois que tout excès est nuisible et ce qui vient de se passer montre, à bien des égards, que c’est inacceptable.

Donc sa suppression et l’érection de 150 circonscriptions électorales à l’intérieur du pays, vont permettre aux habitants de ces circonscriptions électorales d’identifier leurs députés. Et une fois ceci fait, nous devrons mettre sur pied un certain nombre de filtrages. Autrement dit, exiger pour chaque liste, un parrainage de 2% des inscrits sur le fichier électoral de la circonscription électorale.

Il faudrait également exiger un nombre de parrains des élus locaux de la circonscription électorale, qu’ils soient des conseillers départementaux ou municipaux. Augmenter la caution parce que 15 millions, c’est insuffisant. Et exiger pour chaque liste qui participe aux législatives d’être présente au moins dans 3/5 des circonscriptions électorales du Sénégal.

Tout ceci empêcherait les politiciens fantaisistes de jouer avec notre démocratie qui a été bâtie à la sueur de sacrifices et de combats âpres qui ont permis au Sénégal d’être un modèle de démocratie en Afrique et dans le monde.

Mandat : pour la limitation, contre le cumul

« J’avais déclaré depuis longtemps que je ne serai pas investi sur les listes en 2017. Je rappelle que j’étais membre du Conseil municipal de Dakar sous ma propre bannière de 2009 à 2014. Et lorsqu’il s’agissait de renouveler les mandats je ne m’étais pas porté candidat. Je crois que cinq années de mandat électif c’est suffisant à mon avis.

Aujourd’hui le mandat présidentiel est limité à deux consécutifs. Cette même réforme doit être appliquée aux conseillers municipaux, départementaux. Cela permettra d’abord le renouvellement des hommes et des femmes. Ce qui permettra aussi le renouvellement des idées et des comportements.

« La classe politique doit ouvrir les chantiers de la limitation des mandats électifs, et contre les cumuls des mandats. »

Il s’agit de mécanismes pour empêcher les politiques de s’accrocher et de s’éterniser au pouvoir, mais aussi l’oxygénation de notre démocratie, c’est-à-dire l’arrivée dans l’espace politique public d’hommes et de femmes nouveaux, avec un regard nouveau, des approches nouvelles, des idées nouvelles, et aussi très certainement des résultats nouveaux.

Je me l’applique moi-même et je souhaite que, dans les prochains mois, la classe politique sénégalaise ouvre les chantiers de la limitation des mandats électifs, et contre les cumuls des mandats.

Je ne peux pas dire que je suis dégoûté, sinon je m’érigerais en donneur de leçons, et je pense que moi-même, la manière avec laquelle je fais de la politique n’est très certainement pas la meilleure. J’en suis très convaincu par ce que j’ai dû commettre des erreurs. Nous devons avoir l’honnêteté de dire que la manière dont on fait de la politique au Sénégal, ce n’est pas par cette voie que nous allons nous en sortir.

Après ce mandat, les premiers chantiers sur lesquels je vais m’investir ce sera d’aider au changement des mentalités, d’une nouvelle citoyenneté, de contribuer à modifier les pratiques politiques. Sinon il va de soi que nous allons faire mille alternances mais nous resterons toujours sous-développés.

Nous sommes tous d’accord que nous devons changer nos mentalités, rompre avec le clientélisme politique et la facilité avec la conception qui fait que nous considérons le pouvoir comme une source financière à laquelle il faut accéder et la piller. Ce n’est pas une bonne chose cette manière avec laquelle nous faisons de la politique.

Investitures : « On n’en serait pas là si… »

« Il faut comprendre que quand quelqu’un veut être investi et qu’il constate qu’il ne l’est pas, c’est normal qu’il ne soit pas content. Et dans ces investitures il y a plus de mécontents que de contents. En tout et pour tout on ne pouvait investir que 330 candidats alors que les demandes dépassent de loin les milliers.

On aurait pu gérer les contestations en amont. En n’en serait pas là si, il y a six mois, on avait mis en place une commission nationale d’investiture qui regrouperait l’ensemble des membres de la coalition, élaborer un programme législatif signé par l’ensemble des candidats, et que soit édicté un code de conduite.

« À Benno, il n’y pas eu de critères clairs et précis pour les investitures. »

Benno bokk yaakaar n’est pas une coalition, mais plutôt une fédération de coalitions. Cela est dû aux conditions de sa naissance. C’est en 2012, entre le premier et le second tour de l’élection présidentielle qui a porté Macky Sall au pouvoir, que les anciens opposants du Président Me Abdoulaye Wade se sont regroupés dans cette coalition. Cette coalition ayant gagné, a décidé de continuer son compagnonnage au niveau de l’Assemblée nationale. C’est dans cet ordre d’idées que nous sommes allés en coalition aux législatives suivantes.

Aux législatives de 2012 nous avions des critères précis. Les investitures étaient au prorata du nombre de suffrages obtenus par les candidats au premier tour. Donc c’était déjà clair au niveau de chaque coalition. Mais malheureusement pour ces investitures pour ces prochaines législatives, il n’y a pas eu de critères clairs et précis au niveau des coalitions. Cela explique les contestations.

Je suis sûr que le Président Macky Sall, l’ensemble de ses alliés, et les responsables de l’Apr trouveront des mécanismes pour vite dépasser cette situation. Le véritable enjeu des législatives n’est pas un enjeu de parti, mais un enjeu de régime, c’est de permettre au Président Macky Sall d’avoir une majorité à l’Assemblée nationale, sans laquelle il ne pourra plus gouverner le Sénégal.

Benno : la mort ?

« Ce n’est pas la première fois que les journalistes prédisent les funérailles de Benno bokk yaakaar (rires), mais nous résistons. Je ne vous apprends rien en vous disant que c’est la coalition qui a la plus grande longévité de toute l’histoire politique du Sénégal. En 2000, la coalition «Fal», qui avait porté Me Abdoulaye Wade au pouvoir, n’a pas duré plus de onze mois. Donc je crois que l’ouverture d’esprit qui caractérise et le Président Macky Sall, et l’ensemble des leaders de la coalition Benno, va nous permettre de dépasser cette situation. Personnellement, je suis en train de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que les fissures constatées soient réparées.

« Il faut prendre au sérieux les menaces de vote-sanction. »

J’estime que les menaces de vote-sanction et de boycott doivent être prises très au sérieux. Le Président Macky Sall parlera à ses militants et à ses responsables. Très certainement il reviendra avec eux sur les vrais enjeux de ces législatives. Le même comportement devra être adopté au niveau des partis alliés.

Une fois ces phases terminées, il faudra qu’on modernise la gestion de la coalition Benno bokk yaakaar, car il nous faut avoir des règles et des codes de conduite. Ce qui nous est arrivé avec le Rewmi ne doit plus jamais se répéter. Quand une coalition vous porte à l’Assemblée nationale et que vous la quitter, vous devez rendre les postes. Ce sont des dispositions prévues dans les Assises nationales que nous n’avons pas appliquées, malheureusement. »

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