Le CFA et les APE: la dévaluation est inévitable.(Par Saiba Bayo)

 

Politologue et consultant en développement  

 

Se pencher sur un débat autour du CFA est tout d’abord une réflexion sur la moralité. La moralité est un phénomène mental qui nous différencie des autres animaux. En quelques mots, la moralité détermine notre intuition devant les faits. C’est notre capacité de distinguer le bien du mal, le pardon de la haine, le juste et l’injuste, ect. C’est la morale qui nous emmène à assumer notre devoir et agir en fonction de notre obligation. Dès alors, débattre sur le Franc CFA et les accords bilatéraux et leur corrélation sur le développement de nos peuples nous oblige à prendre part dans un combat sur les principes de liberté, de souveraineté, du bien-être et d’éthique. Dès l’accès à l’indépendance, la controverse autour du CFA et les accords bilatéraux entre la France et l’Afrique a été presque effacer de la conscience des africains et enterré sous nos pieds. Aujourd’hui, ces sujets reviennent à la surface et le maintien du CFA soulève des questions étroitement liées à l’interprétation la condition humaine.  

 

Si le lecteur me le permet, j’aimerai introduire brièvement la controverse autour du CFA afin de permettre une facile et prompte compréhension de la chose ici abordée et le fond du débat qui nous interpelle. Il est tout de même curieux que depuis les indépendances nous n’ayons jamais eu droit à des débats sereins et révisionnistes sur le contenu du référendum de 1958 dans l’AOF; afin de mieux édifier les africains sur certaines interrogations concernant notre récente histoire et les relations que nous entretenons avec la France. Les quelques rares confrontations d’idées sur le sujet ont lieu dans des cercles restreints où académiciens, hauts fonctionnaires et politiciens échangent, dans un langage exclusif mais stérile sur un sujet si complexe et qui échappe à la compréhension du citoyen lambda.  

 

Par contre, j’ai suivi de très prêt les récentes élections présidentielles françaises et mon appréciation des programmes, suite à une lecture des programmes, est  d’une profonde désolation. Les deux candidats qui ont atteint le deuxième tour ont mentionnés les relations avec l’Afrique depuis les prismes conservateurs et leurs programmes évoque très légèrement le renforcement de la coopération au développement comme un modèle de développement économique de l’Afrique noire. Certes cela peut avoir différentes appréciations, l’Afrique a bien été présente dans cette campagne même si les candidats qui ont défendu la cause du continent ne sont pas connus par les Africains eux-mêmes. Deux candidats ont essayé d’introduire, sans succès, le tabou des relations Franco-africaines dans l’agenda politique. Le premier, Jean-Luc Mélenchon, a évoqué le problème même si de façon très superficielle. Mélenchon a obtenu la quatrième place avec 19,58 % des voix. Le  programme de la France Insoumise souligne clairement la nécessité de respecter l’indépendance et la souveraineté des Etats de l’Afrique. 

 

Le second, Philippe Poutou, chef de fil du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), a été le seul qui a clairement opté pour la rupture avec un système qu’il qualifie de néocolonial. Dans son programme il se positionne clairement: « Nous exigeons la fin de la Françafrique, ce système colonial par laquelle la France, par son soutien aux dictatures, par sa présence militaire, par le maintien du Franc CFA… contribue à entretenir l’oppression, la misère et l’exploitation en Afrique, au nom des «intérêts de la France» et des multinationales françaises». Cependant, le score médiocre de 1,1 % est peut-être l’explication du manque d’intérêt de ses adversaires pour l’Afrique. 

  

La première question qui découle de cette réflexion consiste à se demander pourquoi nous sommes toujours défendu par les philanthrope européens alors que nous ne somme pas nous mêmes capables de créer un courant de pensé sur le passé, le présent et le future de notre peuple. Aujourd’hui notre concept de la souveraineté se réduit à quelques symboles comme le drapeau, l’hymne, l’armée et des élections périodiques. Chaque année les nos gouvernants organisent des démonstrations de force pour commémorer notre indépendance de la France. Par contre nous ne connaissons aucun partit politique qui ait, jusqu’ici, eu le courage de mener ouvertement une campagne contre le CFA; encore moins d’inclure dans son programme une révision des accords de coopération signés entre la France et l’Afrique depuis les années 1970. Nous utilisons le CFA mais de nos jours, très peu d’africains savent la signification du sigle. Le Franc CFA est donc une monnaie presque mystérieuse et fantasmagorique puisque ceux qui sont sensés l’utiliser ignorent sa provenance et encore mois son identité.  

 

Pour comprendre les relations tissées autour du CFA, il faut remonter aux années 1930, plus précisément à la période sombre de la France, durant la deuxième Guerre mondiale. En 1939 alors que la France faisait face à une économie de guerre, les autorités promulguèrent les décrets du 28 août, du 1er et 9 septembre instituant ainsi “un strict contrôle des changes entre la France et ses colonies d’une part, et le reste du monde d’autre part, pour se protéger des déséquilibres structurels en économie de guerre”. C’est la naissance de la fameuse Zone Franc. En 1945 la France créé le CFA «Franc des Colonies Françaises de l’Afrique» qui est en vigueur aujourd’hui dans 14 anciennes colonies auxquels il faut ajouter la Guinée Bissau et la Guinée Equatoriale. Pour créer le CFA, la France s’est inspirée de la politique d’occupation nazie à laquelle la France a été soumis pendant l’occupation allemande entre 1940 et 1944. Mais permettez moi d’aborder le contexte de création des zones franc pour revenir plus tard sur le Franc CFA, et sa très prochaine dévaluation.  

 

La coopération monétaire Franco-africaine a su se réinventer constamment pour s’accoupler aux réalités africaines de sorte que les africains eux même ont fini par perdre de vue une relation de domination aussi palpable que la propre colonisation. En 1958 pour éviter les insurrections dans les colonies à l’image de la guerre d’Algérie, De Gaulle visita les colonies de l’AOF (Afrique de l’Ouest Français) et AEF (Afrique Equatoriale Français) et en profita pour anticiper les événement en organisant un référendum sur l’indépendance. Les africains devaient choisir entre rester dans la communauté Française (colonisation douce) ou complètement briser toute relation coloniale avec la France. Il faudrait rappeler que l’indépendance de l’Algérie avait fini par créer une profonde frustration de l’opinion publique française et, du côté des colonies de l’Afrique noire, la réclamation de la souveraineté nationale commençait à gagner du terrain.   

 

Si l’audace paie toujours, il faut dire que la ruse est la première qualité de tout gouvernant. C’est ce qu’il faut reconnaître dans la figure de Charles De Gaulles. L’instauration d’une politique coloniale perpétuelle à travers la politique de coopération monétaire va assurer une soumission totale des colonies d’Afrique noir á la France. C’est sous la dynamique de coopération économique et monétaire que la France créera les deux principales zones économiques et monétaires connues aujourd’hui comme Union Economique et Monétaire de l’Afrique Ouest (UEMOA, crée en 1962) et l’Union des États d’Afrique Centrale (UDEAC, aujourd’hui CEMAC, crée en 1964). Les iles du Comores furent érigées en une autre zone économique. Pour une meilleur exploitation de ces zones économiques, ont été crées les trois Banques Centrales: La Banque Centrale des Etats d’Afrique d’Ouest) BCEAO, la Banque Centrale des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) et la BCC (Banque Centrale des Comores). Toutes ces banques sont subordonnées au Trésor et à la Banque Centrale de la France et avaient leurs sièges en France jusqu’en 1978, date à laquelle le siège de la BCEAO sera transférée à Dakar. Par ailleurs, il faudrait signaler de passage que ce n’est qu’en 1975 qu’un africain sera élu Directeur général de la BCEAO. Il s’agissait de l’ivoirien Abdoulaye Fadiga.  

 

La première conséquence de cette structure de subordination se traduit par la présence de la France dans le Conseil d’administration de toutes ces Banques Centrales avec les mêmes pouvoirs et avec droit de veto. Cela signifie que toutes les modifications pouvant influer sur la nature ou les pouvoirs des Banques Centrales africaines requièrent l’unanimité des membres du Conseil d’administration, donc de l’accord la France. Par ailleurs, dans chaque État membre de la zone Franc, sera crée le Conseil National du Crédit où, outres les représentants de l’Etat membre, y siège un représentant du ministère des finances de la France. Par conséquent, dans un souci de coordination, chaque année une rencontre des Ministère des Finances des Etats membres est organisée sous la tutelle du ministère des Finance de la France. Il faudrait signaler que la fonction du Conseil National du Crédit comprend, antre autre, analyser les comptes de l’État et à évaluer les budgets d’investissements publics.  

 

Cette coopération économique et monétaire n’aurait jamais était possible sans une colonisation monétaire efficace. La fonction du Franc CFA consiste à renforcer la coopération économique en consolidant la subordination des Etats africains à la France.  D’ailleurs, à sa création le 26 décembre 1945, CFA signifie alors « Colonies françaises d’Afrique» avant de devenir «Communauté Française d’Afrique» après le referendum de 1958. Selon le site officiel du trésor public français, à sa création en 1045, un franc CFA valait alors 1,7 franc français. En 1948 il est passé à 2 Franc  Français. Nous comprenons ici que le CFA était supérieur au Franc Français à l’origine. Cependant quinze années plus tard, avec l’entrée en vigueur du nouveau Franc Français en 1960, le CFA perd presque 50% de sa valeur. Ce fut alors la première dévaluation. Avec les successives dévaluation 1F Français était égale à 50FCFA en 1960 puis 100 FCFA en 1994.   

  

 

 Le manque de souveraineté monétaire se traduit par l’absence de politique monétaire. Cette absence de politique monétaire est un véritable frein pour les politiques d’ajustement qui cherchent à modérer d’un coté la restriction monétaire et canaliser une expansion monétaire pour une croissance et un développement soutenu. Dans le scénario actuel, la dévaluation du CFA est une compétence exclusive du Trésor Publique de la France, qui assure la convertibilité et garantie la parité fixe entre le CFA et les monnaies étrangères sur la base des réserves des pays de la zone Franc.  

 

Il y’a tout de même quelque chose d’irrationnelle dans le maintien du CFA. Les pays de la zone CFA sont certes littéralement indépendants mais continuent de programmer leur développement sous la tutelle d’une monnaie coloniale.  De 1960 à 1973 les pays de la zone Franc étaient sensés déposer 100% de leurs  réserves nationales au Trésor Français. En 2005, ce pourcentage est réduit à 65 % et elle se situe actuellement à 50 %. Aujourd’hui la parité fixe entre le franc CFA et l’Euro est assurée par les autorités françaises qui centralisent la moitié des réserves en devises des Pays Africains de la Zone Franc (PAZF) sur un compte d’opérations géré par le Trésor Public français. En effet selon le rapport de BEAC et BCEAO en 2005, repris par Le Monde, les pays de la zone Franc accumulent un stock de prêt de 72 milliards d’Euros (3.600 milliards de CFA) au prêt du Trésor Français. Par contre selon une minutieuse étude de Bruno Tinel, chercheur du Centre d’Economie de la Sorbonne, le CFA « ne permet pas de mener une politique monétaire en adéquation avec les besoins en développement”. Dans son article, Tinel nous explique de façon claire et limpide que le système CFA favorise les importations vers le continent africain avec l’application d’un système de subvention alors que les exportation en provenance des Pays de la Zone Franc sont taxées.   

 

Ce qu’il faut surtout retenir ici c’est le fait que les importations et les exportations soient déterminantes pour éviter la dévaluation de la monnaie. En effet la parité d’une monnaie dépend de la capacité de sa Banque Centrale de constituer les réserves, c’est-à-dire sa capacité de faire des épargnes. Pour simplifier cette idée, nous allons imaginer un pays A avec une monnaie que nous allons appeler «FAT». Pour acheter des produits dans d’autre pays, le pays A utilise le FAT. La valeur du FAT en relation à une autre monnaie dépend du nombre de FAT dont dispose le pays A dans sa caisse. Mais si le pays A exporte une matière première comme l’arachide ont lui paye en «PUF» et le pays A peut utiliser les PUF pour acheter d’autres produits et continuer à épargner ses propres FAT. Mais si le pays A ne fait qu’importer, ou ses importations sont supérieures à ses exportations, ses réserves en FAT vont diminuer et n’aura plus la même valeur face au PUF. Pour continuer à faire du commerce avec ses voisins il va falloir que le pays A envisage de dévaloriser ses FAT.  En résumé, nous faisons de l’épargne lorsque nous vendons nos produits aux autres et notre caisse se vide lorsque nous débloquons constamment pour payer les produits que nous importons. C’est depuis cette perspective que nous devons prêter attentions aux accords de partenariat Economique et commercial entre les pays africains et les pays développés pour comprendre les raisons qui vont pousser à dévaluer le CFA.  

 

Les pays africains ont signés plusieurs accords commerciaux avec d’autres pays mais j’aimerai prendre l’exemple des APE (Accords Partenariat Economique). La dynamique des APE provoque que les importations en provenance de l’Union Européenne vers l’Afrique soient considérablement supérieures aux exportations. C’est le cas des Pays de la CEMAC qui ont été les premiers à ratifier ces accords. Suivant l’approche traditionnelle de coopération au développement, l’UE défini les (APE) comme des accords  asymétriques de libre-échange entre les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d’une part et l’Union européenne, d’autre part. Ce sont des accords qui consistent à ce que les pays signataires permettent l’accès, d’une manière réciproque, à leurs marchés à travers la suppression progressive et totale de toutes les barrières douanières. Cela signifie que les entreprises européennes peuvent, à long terme, vendre leurs produits sur les marchés africains sans paiement préalable des droits de douanes.  

 

Tenez-vous bien, plusieurs pays y inclus le Sénégal sont dans la dynamique de favoriser les accords bilatéraux à l’image des APE. D’autre pays ont pratiquement succombés face aux promesses d’aide au développement et ont déjà ratifié les APE. Par contre il y a deux grands dangers dans l’application des APE. Le premier est que les entreprises européennes reçoivent une subvention pour encourager la productivité et la compétitivité tandis que les pays africains ont tendance à supprimer l’aide aux secteurs stratégiques de leurs économies. Ce qui signifie que les producteurs européens peuvent offrir de prix bas obligeant les producteurs africains à vendre leurs productions avec perte. Deuxièmement, en tenant compte du fait que les États africains sont dans un processus de construction avec des frontières poreuses qu’ils contrôlent à peine, un accord commercial entre l’UE et les pays africains augmenterait la fraude fiscale, dérivant du manque de control des importations.  

Certains activistes et dirigeants africains ont dénoncé les inconvénients des APE pour l’Afrique. Des études ont démontré qu’entre 2000 et 2006, des importations en provenance de l’UE avaient augmenté de 6,5 % tandis que les exportations africaines vers l’Union Européenne se sont détériorées. Dans un article publié dans le monde le 15 nombre 2007, l’ancien président Abdoulaye Wade mettait en garde contre les APE qui, selon lui, se traduirait par une perte de recettes des pays africains entre 35 % et 70 %.  

A l’aune de cet argumentaire, nous saurions difficilement défendre le maintien du CFA sans une dévaluation cyclique. En effet la combinaison entre le système CFA et la politique de coopération ne peut que provoquer une fuite des capitaux dans les pays de la zone Franc. Si les importations favorisent la diminution des réserves et celle-ci entraine une dévaluation de la monnaie, alors il est logique que le FCA soit dévaluer dans un future proche. De fait, celle-ci est inévitable.   

 

 

 

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