Amadou, 17 ans, raconte l’enfer de l’esclavage en Libye: « Ils nous frappaient sous les pieds avec un fer à béton »

Jeune Guinéen de 17 ans, Amadou a quitté son pays pour aider sa mère malade. En Libye, il tombe entre les mains de trafiquants d’esclaves. Réfugié dans le sud de la France, l’adolescent raconte son calvaire à franceinfo.

Sur le papier à carreaux adressé à son professeur où il a couché son témoignage, les lettres sont rondes, comme celles des rédactions de n’importe quel autre élève de son âge. Il a voulu qu’on l’appelle Amadou et peine encore à raconter ses épreuves, à assumer les difficultés qu’elles provoquent en lui. « Je ne sais même pas si je suis encore un vrai homme, maintenant », soupire le jeune homme de 17 ans.

Dans la salle de classe, les yeux souvent baissés, il se souvient de son départ de la case familiale de Mamou, en Guinée. « Ce qui m’intéressait, explique-t-il, c’était de trouver de l’argent et d’aider ma mère à sortir de sa maladie. »

On ne veut pas qu’il poursuive ses études et son père, agriculteur et éleveur de moutons, le sollicite sans cesse pour qu’il travaille aux champs. Ses grands-frères et les autres femmes de son père le maltraitent. Sa mère, 58 ans, vend de l’huile de palme sur le marché.

Il concrétise d’abord ses espoirs au Mali, puis suit un ami en Algérie. Là-bas, il se blesse avec une tronçonneuse et perd son petit boulot. Il se dirige alors vers la Libye pour faire de la soudure, sans connaître le pays.

Un matin, sur une place de Tripoli où les émigrés africains viennent chercher du travail à la journée, sa vie bascule à l’arrivée d’hommes en armes. « Comme toute la population libyenne a des armes, je croyais qu’ils venaient chercher des travailleurs, se souvient Amadou. Quand ils sont arrivés, ils ont tiré en l’air, puis près de nous. Je n’ai pas pu courir : ils nous ont pris et nous ont mis dans une camionnette. »

Frappé aux pieds avec un fer à béton

Il est d’abord emprisonné dans un camp de transit, le temps que les ravisseurs mettent la main sur d’autres victimes. Dans cette cour où s’entassent quelque 400 autres hommes, il reste six jours, sans manger. Mamadou est ensuite transféré dans une prison de Tripoli, puis dans une autre à 160 kilomètres; il y vivra cinq mois de calvaire. « Tous les jours, ils nous frappaient. Ils nous attachaient les pieds, et frappaient dessous avec un fer à béton. Jusqu’à ce que l’intéressé pisse le sang. »

C’est fini pour toi, tu n’es plus un homme. Ils nous obligeaient à aboyer. Tu ne pouvais pas pleurer comme tu voulais, c’est eux qui te disent comment pleurer. Et ils nous disaient de pleurer comme des chiens. 

Amadou

franceinfo 

 

Régulièrement, des hommes viennent à la prison. « Celui qui veut un travailleur dit : Je veux un animal. Le travail n’est pas payé. On ne mange même pas », rapporte le jeune homme.

Un soir, quatre hommes arrivent et demandent des hommes pour travailler. Lui et deux Sénégalais sont emmenés. « Je me demandais pourquoi ils voulaient nous faire travailler la nuit, poursuit Amadou. On est partis en plein désert. Je n’ai pas vu de maison. Là, ils ont tiré en l’air, puis nous ont déshabillés et nous ont dit de nous coucher. Puis ils nous ont violés. »

Il parvient à s’évader grâce à des détenus qui creusent les murs de la prison avec des marteaux volés. Dehors, il apprend la mort de sa mère et se laisse convaincre d’aller en Italie. En se cachant, il rejoint un « campo », ces plages où les migrants attendent les bateaux des passeurs dans un climat de peur. « Les Libyens aiment jouer avec les armes, indique Amadou. Parfois, ils tirent près des pieds. Mais parfois ils ratent et tirent dans le cœur. »

 

Ils ont tiré sur quelqu’un devant moi. Pour eux, c’est comme boire de l’eau. 

Amadou

franceinfo 

 

En février dernier il embarque sur un bateau avec 137 personnes. Alors qu’il commence à couler, il est recueilli par l’Aquarius, le navire de l’ONG SOS Méditerranée. Il est conduit, avec les autres naufragés, dans un camp de réfugiés. Un mois plus tard, il prend le bus pour Milan, puis le train pour Vintimille. Là, il franchit la frontière à pied. Arrivé à Menton, en France, avec cinq euros en poche, il prend le bus pour Nice. Après quelques déboires avec la police, il se retrouve en foyer, puis en formation. Pour lui, c’est la fin du voyage.

Aidé par un psychologue dans un hôpital pour enfants du sud de la France, où il se reconstruit une nouvelle vie après des mois d’esclavage en Libye, Amadou tente de retrouver le désir de vivre d’un jeune homme normal. Il apprend aussi un métier : boulanger. Il lui reste deux ans d’études mais son patron d’alternance veut déjà le garder. Ce qui l’inquiète, maintenant, c’est son petit frère. « Il sait ce que j’ai vécu. Si je lui parle, c’est de cela qu’on va parler. Et je ne veux pas qu’il prenne cette route. »

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