En Algérie, les travailleurs migrants se cachent pour survivre

Depuis quelques mois, Alger a durci sa politique l’égard des migrants subsahariens. Expulsions, déclarations racistes, travail précaire… Reportage sur les tracas rencontrés par une population devenue pourtant indispensable à l’économie locale.

Amadou presse le pas. Le Guinéen de 19 ans fait un aller-retour rapide entre le chantier où il dort et le restaurant où il a acheté à manger. Depuis un mois, il travaille et vit dans un immeuble où les fenêtres et les portes n’ont pas encore été posées. Derrière les grandes taules, il y a aussi d’autres migrants, venus de plusieurs pays subsahariens. Tous se font discrets et évitent de traîner longtemps dans les rues.

« Ici, la vie est difficile », estime Amadou. « Les Algériens n’aiment pas la couleur noire, ils ne me parlent pas. » Arrivé dans le pays il y a cinq mois, il travaille pour financer son projet de départ vers l’Europe. « Je fais la peinture pendant huit heures et je suis payé 1500 dinars la journée (11 euros) », détaille le jeune avant de repartir.

Ces dernières semaines, les forces de sécurité algéroises ont fait la chasse aux migrants, allant jusqu’à les rassembler sur les chantiers de construction ou sur leur lieu de vie, voire même les cueillir dans la rue. Plus de 3000 personnes ont été expulsées vers le Sud, à la frontière nigérienne, lors de vagues d’arrestations successives qui ont débuté en août.

Profilage racial

Malgré les protestations des ONG et les « préoccupations » exprimées par le ministre nigérien des Affaires étrangères, les autorités algériennes n’ont donné aucune explication. Au-delà des expulsions, c’est la méthode qui choque. Les associations dénoncent un « profilage racial ».

Alger, des migrants ont été transférés vers un centre puis vers le désert sans même avoir la possibilité de prendre avec eux leurs papiers ni le pécule qu’ils avaient amassé. D’autres ont été embarqués alors qu’il « bénéficiaient d’un droit de séjour ou seraient reconnus réfugiés sous mandat du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) », indique Amnesty Algérie.

On a fait le chemin dans un pick-up qui transportait vingt personnes. Il y avait six ou sept femmes et un enfant
Abdurahim, croisé au quartier Hussein Dey, à l’est d’Alger, raconte son périple entre le Niger et le sud de l’Algérie, où il a passé quatre mois. « Ils [les passeurs] ont une route par le désert où il n’y a aucun officier de police. On a fait le chemin dans un pick-up qui transportait vingt personnes : des Guinéens, des Burkinabè, des Maliens, des Nigériens… Il y avait six ou sept femmes et un enfant », se rappelle le Libérien de 32 ans.

Après plusieurs mois dans le Sud, notamment à Ouargla, où il a travaillé au jour le jour, le voilà désormais à Alger. « Des amis qui vivaient déjà en Algérie m’ont dit que je trouverais du travail. Malheureusement, je n’en ai pas encore eu l’opportunité, la police ne me laisse pas la chance de travailler », poursuit-il.

Il montre sa blessure au bras, infligée par des voleurs dans le sud du pays, raconte comment il s’est fait arnaquer par un employeur peu scrupuleux, puis racketté par trois jeunes dans un quartier difficile d’Alger. Malgré les difficultés, il veut s’installer durablement et n’envisage pas du tout d’aller en Europe.

Algérie, point d’ancrage

Ces dernières années, l’Algérie est devenue un point d’ancrage pour des migrants d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest. D’après les estimations, ils seraient plus de 100 000 dans le pays.

« À certains moments, les autorités ont reconnu qu’ils étaient nécessaires au développement de l’économie pour couvrir le manque de main d’œuvre au niveau des travaux publics et de l’agriculture », déclare Abdelmoumen Khelil, secrétaire général de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH). « Cette main d’œuvre a bénéficié aux villes de l’intérieur et du Sahara et c’est un fait qui n’est pas assumé sur le plan politique ».

À une certaine période, des autorisations de travail ponctuelles avaient été délivrées, précise-t-il. Il faut dire que les migrants subsahariens sont devenus une main d’œuvre qui pèse au sein des effectifs de certains employeurs. Dans les régions d’Oran et de Ouargla, des chefs d’entreprise ont même conclu des accords tacites avec certains responsables locaux afin qu’ils laissent les migrants travailler, détaille Leïla Beratto, journaliste algérienne, spécialiste de la question.

Ici, les petits boulots ce sont les Subsahariens qui les font !
Si certains chefs d’entreprise profitent de leur situation précaire, d’autres refusent toutes discriminations. C’est le cas de Farid*, designer et restaurateur à Alger. Il emploie deux Béninois de 21 et 28 ans qui s’occupent de la maintenance et du nettoyage. « Le plus jeune est payé 35 000 dinars par mois (259 euros) et l’autre 30 000 dinars (222 euros). Il y a des Algériens qui sont payés 25 000 dinars (185 euros)», tient-il à préciser.

« Si ce n’était pas un problème de papiers, j’en ferais travailler plus », affirme le quadragénaire, qui signale que ses contacts dans le cercle des autorités locales savent qu’il emploie des travailleurs illégaux…

« En France, on dit que les petits boulots, ce sont les migrants, notamment les Arabes, qui les font. Ici, les petits boulots ce sont les Subsahariens qui les font parce qu’ils veulent travailler et ont besoin d’argent pour aider leur famille au pays. Sans ces personnes, je serais coincé. Des Algériens ne voudraient pas faire ce travail, et ce n’est même pas une question de salaire », ajoute le chef d’entreprise.

Durcissement de la politique algérienne

Abdelmoumen Khelil est persuadé que les autorités veulent mettre fin à toute migration subsaharienne en Algérie. « On a eu auparavant des déclarations qui allaient dans ce sens, notamment de la part de l’actuel chef du gouvernement qui avait donné des indices sur le durcissement de la politique algérienne », rappelle le secrétaire général de la LADDH.

Le 8 juillet dernier, l’actuel Premier ministre, Ahmed Ouyahia, alors chef de cabinet de la présidence, déclarait en effet que les migrants « sont une source de criminalité, de drogue et de plusieurs autres fléaux ».

Un avis partagé par Abdelkader Messahel, ministre des Affaires étrangères, qui assurait deux jours plus tard que les « clandestins » subsahariens « menacent la sécurité nationale » et que le gouvernement comptait prendre des mesures pour faire face à un « flux important de migrants clandestins derrière lequel se cache des réseaux organisés ». Des propos qui ont beaucoup choqué à l’international.

Il n’y a pas de vision. C’est une gestion au jour le jour
« Et si les autorités algériennes ne savaient tout simplement pas comment gérer la présence de migrants ? », fait remarquer le sociologue Nacer Djabi. « Cette immigration n’est pas prévue, c’est un fait accompli. Les questions liées à l’immigration souffrent d’un vide juridique en Algérie. Il y a des Subsahariens d’une quarantaine de nationalités différentes dans les quatre coins du pays. Comment faire ? », s’interroge le sociologue.

« Il n’y a pas de vision. C’est une gestion au jour le jour, sous la pression de l’opinion publique et des conditions économiques et sécuritaires. Parfois, le gouvernement enclenche des campagnes pour les aider. D’autres fois, il les expulse vers le Sud. »

Une société civile peu audible

Au sein de la société civile, le soutien est « mitigé », note Abdelmoumen Khelil. Les actes ou campagnes racistes engendrent quelques condamnations, mais face aux expulsions il n’y a pas eu de réactions importantes. « Je ne sais pas si c’est lié à la crise économique ou au contexte des élections locales », tente d’expliquer le militant des droits de l’homme.

Pour le sociologue Nacer Djabi, il est clair que la société algérienne s’est refermée sur elle-même lors des dernières décennies. Les nouvelles générations n’ont pas beaucoup de contacts avec l’Afrique. Elles ne connaissent pas les positions politiques algériennes au cours des années 1960 et 1970, et le soutien d’Alger aux mouvements de libération du Mozambique, d’Angola, d’Afrique du Sud…

Il y a aussi la peur exprimée par les jeunes Algériens quand ils voient, dans leur quartier, des migrants vivant dans des conditions très difficiles. « Si le gouvernement avait agi, on aurait eu affaire à une immigration plus ou moins organisée au lieu de laisser les migrants livrés à eux-mêmes », conclut le sociologue.

Plus que jamais, le problème de la migration se pose dans le calendrier politique algérien. Reste à savoir si le gouvernement prendra rapidement les mesures nécessaires pour y remédier. Au vu des dernières réactions officielles, c’est loin d’être gagné…
jeune afrique

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