Aboubakry Ba, directeur CIS Média: « Ce qu’il faut au football sénégalais est de savoir garder ses joueurs et les libérer au bon moment »

Journaliste commentateur à Canal + et Co-présentateur de l’émission « Talents d’Afrique », Aboubacry Bâ est désormais en Guinée. Il est le nouveau directeur exécutif de CIS Média. C’est dans un hôtel de Conakry que l’ancien journaliste de la RTS, explique au micro de wiwsport, la particularité du football guinéen. Aboubakry s’est aussi prononcé sur la ruée des sportifs sénégalais vers la Guinée et la poule des « Lions » au Mondial 2018, en Russie.
Beaucoup de Sénégalais évoluent dans le championnat guinéen, comment expliquez-vous cette ruée vers le football guinéen ?
« La première explication peut être, c’est l’engouement du public, l’attachement des Guinéens autour de leur football. J’ai découvert un public très passionné de football, que ça soit à la rue, au stade, le football étranger, c’est des gens très attirés par le football. La deuxième c’est qu’il y a énormément de mécènes qui investissent dans le football guinéen. Quasiment tous les clubs sont portés par des investisseurs, des riches hommes d’affaires qui prennent en main les clubs, se créent une certaine de concurrence saine et surtout un surplus de moyens pour ces clubs-là qui leur permettent justement, d’ouvrir les portes a des joueurs étrangers, des Sénégalais. Khadim Ndiaye en est le meilleur exemple, un joueur de classe mondiale, qui va peut-être jouer la Coupe du monde, etc. Il y a beaucoup de moyens et énormément de passion qui entourent le football guinéen ».

Avec tous ces investissements, la Guinée a été éliminée au premier tour de la CHAN, les Guinéens ne sont-ils pas déçus ?
« Ils peuvent être déçus, c’est légitime parce que leur pays n’a pas gagné. C’est aussi les contre-coups, les meilleurs joueurs du championnat guinéen ne jouent pas le CHAN, c’est bizarre mais c’est vrai. Le meilleur gardien de Guinée, c’est Khadim Ndiaye, il ne peut pas jouer le CHAN, le meilleur attaquant de Guinée, c’est un Ghanéen. Les meilleurs joueurs du championnat guinéen sont des étrangers parce qu’ils ont l’argent pour aller les chercher. C’est comme l’Angleterre, ils ont les meilleurs joueurs du monde mais leur équipe nationale ne gagne quasiment rien. C’est des choses que les Guinéens vont devoir corriger parce qu’ils ont énormément de joueurs talentueux. C’est une politique à long terme, dans quelques années, ils pourront peut-être installer cette équipe nationale locale, en fait qui profite du renouveau du championnat local. Mais n’oublions pas aussi que c’est cette équipe qui a éliminé le Sénégal lors des éliminatoires (5-0) ».

On annonce également Moustapha Seck au FC Soumba, est-ce un challenge que tentent beaucoup de sportifs sénégalais mais difficile à relever, quand on voit qu’entre le Sénégal et la Guinée, il y a un fossé au niveau du championnat ?
« Il y’a Moustapha Seck qui doit venir mais avant lui, il y avait Amara Traoré, d’autres techniciens et joueurs sénégalais. Il y’a un défenseur sénégalais qui s’appelle Badji et joue avec Afia qui est le concurrent d’Horoya. Il est en train de faire une bonne saison. L’arrivée des techniciens sénégalais est un phénomène et qui s’inscrit également dans ce surplus que ces différents investisseurs veulent donner à leurs équipes.

Aujourd’hui en Guinée, il y a des techniciens ivoiriens, sénégalais, congolais. Ils attirent beaucoup de joueurs sénégalais mais aussi des entraïneurs étrangers. Il y a des Belges, des Français, c’est phénoménal mais c’est vrai. Ils sont là avec de très bons salaires. L’entraïneur du champion de Guinée (Horoya) par exemple, est un Français, Victoi Zunka. Il y a d’autres clubs aussi qui ont des entraïneurs étrangers. Donc il y a autant d’investissement, autant en ressources humaines que financiers. Donc les Sénégalais ne font pas exception à la règle, il y a de la place à prendre et l’expertise sénégalaise étant bien appréciée ici, donc c’est un marché pour les techniciens sénégalais très bien formés qui peinent à avoir un salaire décent ».

Le championnat sénégalais ne manque-t-il pas de mécènes qui doivent investir dans le football pour que les acteurs se sentent à l’aise financièrement ?
« Le Sénégal a quasiment tout tenté. On a eu des clubs de société comme SONACOS, etc., il y a aussi des clubs de quartier qui sont devenus des clubs de première division, des académies. Le Sénégal a expérimenté beaucoup de choses mais n’a pas eu ce phénomène-là que les guinéens ont, ce n’est pas un seul investisseur privé qui vient prendre un club, c’est plusieurs et cela crée une certaine concurrence. C’est ce qui manque au Sénégal. Le TP Mazembe a donné l’exemple, c’est un investisseur privé qui a pris le club et l’a racheté et il est aujourd’hui, sur le toit de l’Afrique. C’est le modèle pour les Guinéens, tous les gens qui ont les moyens, ont leurs propres clubs qu’ils ont achetés et essayent de les faire grandir.

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En tout cas en termes d’investissement, ce n’est pas encore comparable avec ce qui se fait au Sénégal. On a d’autres modèles qui ont montré leurs limites, qui a peut-être des avantages parce que le Sénégal a privilégié la formation et l’expatriation de leurs joueurs, ce qui affaiblit un tout petit peu le championnat. Ici, c’est un autre modèle qui a fait ses preuves parce que l’exemple en Afrique, c’est le TP Mazembe, qui est construit sur le même modèle. Donc c’est le fonctionnement de tous ces clubs congolais qu’on retrouve quasiment en Guinée. Et cela crée pour le moment, un certain mouvement. Les résultats viendront plus tard parce que le championnat c’est un mouvement dynamique et on ne récolte pas tout de suite ce qu’on a semé. Il faut être patient pour pouvoir tirer des conclusions mais pour le moment c’est dynamique ».

Mais certains jugent que le championnat sénégalais n’est pas trop attractif parce que jusque-là, il n’y a pas des télévisions qui diffusent les matchs, cela ne constitue-t-il pas un frein au développement du football sénégalais ?
« Les télévisions qui ne diffusent pas de matchs ne datent que deux saisons. Avant, il y avait la 2stv, la RTS aussi diffusait au début de la ligue professionnelle et j’y étais encore d’ailleurs. Il faut dire que la télévision peut contribuer à rendre un championnat attractif mais elle ne fait pas tout non plus. Moi je pense que la plus grande faiblesse de notre championnat, c’est un avantage du football sénégalais qui se retourne contre nous.

On a cette faculté à vendre des joueurs. Le Sénégal est le deuxième pays qui compte le plus de joueurs expatriés en Afrique derrière le Nigéria. On a cette facilité à faire migrer nos joueurs. C’est un avantage qui est en train de devenir un inconvénient. Si vous remarquez ces dernières années, tous les champions du Sénégal ont été relégués ou ont lutté contre la relégation l’année suivante parce que l’effectif est parti s’expatrier ou a été transféré à l’étranger. Ce qu’il faut au football sénégalais, est de savoir garder ses joueurs et les libérer au bon moment. Aujourd’hui, le championnat sénégalais ne profite pas des meilleurs joueurs sénégalais. Un joueur qui se révèle une saison, il est meilleur buteur, champion du Sénégal, l’année suivante, on le voit plus. Donc si le championnat du Sénégal arrive à retenir ses meilleurs joueurs, cela va créer une certaine attractivité, le public va revenir et là où il y a le public, les télévisions viendront. Il y a beaucoup de phénomènes pour que le championnat sénégalais revienne à la télévision.

Mais avec le championnat sénégalais qui ne paye pas bien, sur quelle base peut-on retenir les joueurs ?
« Voilà un point qu’il faut peut-être exploiter. En Guinée, je le disais tout à l’heure, il y a les mécènes qui pratiquent des salaires très confortables pour les footballeurs. Donc au Sénégal, on n’a pas les moyens de retenir les joueurs parce qu’on n’a pas ces genres de salaires. Mais c’est le levier sur lequel il faut actionner, pour encore une fois attirer des financements, attirer de l’argent dans le championnat, le public et les télévisions ».

Le Sénégal va participer au prochain Mondial 2018 en Russie, qu’est-ce que vous pensez de la poule des « Lions » ?
« L’idée généralement admise veut qu’on dise que la poule est facile. Mais à partir du moment où on se projette dans l’esprit de la Coupe du monde, il se dit que les meilleures équipes du monde sont là, il n’y a pas de petites équipes. Si on les minimise, les Polonais peuvent se dire la même chose car le Sénégal n’a pas encore de palmarès, ils n’ont fait qu’une seule Coupe du monde. Ces pays-là peuvent aussi penser qu’ils ont un tirage facile car on ne connaît pas leurs championnats. Tout est une question d’exposition finalement parce que si vous vous rappelez en 2002, les joueurs avaient joué les meilleurs matchs de leurs carrières.

Les Polonais peuvent faire la même chose, les Japonais aussi. Ce qu’il faut juste souhaiter pour nous Sénégalais, c’est que nos joueurs jouent à leur meilleur niveau et que les mêmes causes puissent entraîner les mêmes effets. On a un technicien lucide qui est Aliou Cissé, qui n’a jamais prétendu qu’il a la meilleure équipe du monde, il n’a jamais dit qu’il a l’équipe la plus flamboyante. Il joue avec les moyens mis à sa disposition et pour le moment, ça marche. Pour moi, le meilleur entraîneur est celui qui produit des résultats. Aliou Cissé produit des résultats donc prions, aidons-le, soutenons-le pour qu’il puisse travailler avec la même sérénité, avec cette même liberté d’action et qu’il puisse disposer de ses meilleurs éléments au meilleur moment ».

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