À l’ordre du jour du dialogue national? (Par Amadou Tidiane Wone)

Depuis l’annonce de l’éventualité d’un « Dialogue National » je m’attache à contribuer, à mon modeste niveau, à l’esquisse  des contours possibles de ce moment important du développement de notre système Politique post-indépendance. Afin que ce moment ne tourne pas, une fois de plus,  à une foire de dupes, la réflexion sur son sens et son contenu doit nécessairement précéder le rassemblement dans une salle des personnalités qui y seront conviés. Pour ma part, j’ai résolu de me lancer dans cette quête et de rendre publiques mes attentes afin que nul n’en ignore.

Et d’abord, entendons- nous sur les mots: Si le dialogue politique peut se dérouler au Ministère de l’intérieur, qui a déjà lancé l’invitation semble t-il, le Dialogue National quant à lui devrait intéresser tous les segments de la Nation et porter sur des sujets de fond. Outre la solennité de l’exercice, les résultats doivent être tangibles et (re)fondateurs.

Dès lors j’invite, tous ceux que le sujet sur le Dialogue National entendu comme tel inspire, à s’acquitter de ce que l’on peut considérer comme un devoir…citoyen en participant au débat public préalable. Au risque de forclusion…

La réflexion qui suit entre dans ce cadre. Un dialogue, dit inclusif et total,  suppose de la franchise et de la sincérité, mais également de la profondeur et l’ouverture de tous les sujets d’intérêt national , sans tabous ni corsets.

À cet égard, je crois que chaque citoyen Sénégalais a le droit, et même le devoir, de  vouloir vivre en cohérence avec les principes, de la religion ou alors de la philosophie de vie, qu’il s’est librement choisis. Le principe sous-jacent étant celui du respect scrupuleux du même droit pour chacun de ses concitoyens, sans distinctions ou particularismes, ni avantages ou privilèges indus. La société sénégalaise quant à elle doit, globalement, refléter les aspirations de la majorité des citoyens qui y vivent tout en garantissant l’expression, pleine et entière, des identités minoritaires. C’est là, au demeurant, une définition possible de la démocratie! Plus clairement, chacun est libre d’être croyant, athée ou agnostique. Chacun est libre d’être musulman, catholique, juif, animiste, protestant ou franc-maçon. Il serait convenable cependant de vivre en conformité avec ses choix proclamés. Sans les voiler…Pour rester lisible et prévisible. Pour être cohérent et sincère avec soi-même. Et avec les autres! Le contraire pourrait ressembler à de l’hypocrisie et je n’ai pas encore rencontré un humain qui s’en réclame…

Afin de ne pas avancer masqué je me présente donc : negro-africain musulman, pétri dans des valeurs culturelles et sociales dont je m’honore, le Saint-Coran est ma boussole. Il s’y ajoute les sentences du Prophète Mouhammad ( Paix et Saluts sur lui et Sa sainte famille) qui sont essentielles à la compréhension du message d’Allah. Ces deux repères me guident et éclairent mes choix quotidiens, à l’instar de plus d’un milliard d’êtres humains, plus ou moins croyants, plus ou moins pratiquants.Très souvent, les Paroles sacrées de ces deux sources recoupent et confirment les pensées d’intelligences inspirées qui illuminent notre Humanité depuis toujours. Et, bien des fois ces pensées jaillissent d’esprits de non musulmans. Mais je suis convaincu, pour ma part qu’elles sont d’inspiration divine car, Dieu est là pour tout le monde! Chacun est libre de croire autre chose. La vraie tolerance c’est, dès lors, la capacité d’écoute attentive et bienveillante. C’est l’acceptation de l’infinitude des points de vue possibles que doit départager la simple bonne foi.

Mais alors au nom de quelle idée de la démocratie devrait-on refuser l’expression, dans un engagement politique et citoyen, de mes valeurs spirituelles et morales, partagées certainement par tant d’autres? Aux termes de la Constitution en vigueur, nul n’a le droit de se regrouper avec d’autres dans une organisation politique dont les principes fondateurs auraient pour source d’inspiration la religion. Au nom de quoi? Les principes religieux valent au moins tout autant que tout autre principe philosophique ou idéologique. Cette discrimination, qui ne procède pas de notre Histoire, mérite un débat serein et, si Dialogue national il doit y avoir, cette question fondamentale mérite d’être posée. Sans passion ni procès d’intention. Il vaut mieux se parler en toute convivialité que de laisser les armes d’inconnus le faire à notre place. À l’ère de la menace terroriste, en tous lieux et en tous temps, l’anticipation sur les phénomènes violents est un enjeu de société. Il va falloir, d’ailleurs, rechercher certaines racines de l’irrédentisme à la lisière des systèmes politiques,  étrangers pour ne pas dire étranges, qui enserrent nos peuples et ne permettent pas leur plein épanouissement.

La Constitution en vigueur depuis notre accession à « l’indépendance », sacralisée sur des points réputés « intangibles » nous ressemble t-elle ? Héritage, entre autres, de la colonisation, qui la comprend? Écrite en français, une langue que nous avons acclimatée à moins de 30% dans les statistiques les plus optimistes de la Francophonie, la Constitution sénégalaise est rédigée dans un langage hermétique pour les non initiés. Les termes juridiques, complexes et susceptibles d’interprétations multiples, et bien souvent contradictoires, sont à la base de controverses savantes qui alimentent les débats passionnés des « constitutionnalistes ». Ces débats sont aussi hélas ,  et trop souvent sur le Continent africain, à la base de malentendus féroces qui font le lit de conflits politiques aux conséquences incalculables. Ces contraintes, réelles et non virtuelles, méritent d’être traitées comme il se doit. Avec courage, lucidité et… Vérité ! Je le dis sans fards, la Constitution du Senegal post-indépendance doit être relue, revue et corrigée, pour ressembler à la majorité des sénégalais. Elle

ne doit pas être un corset dont nous devons nous accommoder vaille que vaille! La charte fondamentale de notre pays mérite, tout au contraire, d’être intelligible par le plus grand nombre de citoyens pour faire l’objet d’un consensus fort. C’est cela qui fera sa puissance et sa force de loi.  Ce débat, refondateur, doit nécessairement être ouvert au cours, ou en marge, du dialogue national. Car les campagnes électorales ne sont plus des moments d’échanges sur le fond mais sont réduites à des processions carnavalesques qui rendent inaudibles les propos sensés.

Prenons le temps de nous écouter pour nous entendre!

Sur certaines questions essentielles, il est en effet temps de faire preuve d’indépendance (!) et d’explorer notre Histoire…ante-coloniale. Est-il outrancier de vouloir nous inspirer des meilleures facettes de nos traditions pluri-millénaires pour nous doter d’institutions modernes ? La modernité n’étant pas forcément l’occidentalisation. N’ayons pas peur de tenter l’inédit car c’est ainsi que se forgent les progrès décisifs qui ont transformé l’Histoire de l’Humanité. Le temps de la REFONDATION de la République sénégalaise post-coloniale est venu. Après soixante années « d’indépendance » saisissons le temps de mettre en place la première République d’inspiration vraiment sénégalaise et africaine.  À moins que nous ne doutions de nos valeurs culturelles et spirituelles, à moins que nous ne doutions de nos capacités intellectuelles et scientifiques ? N’ayons pas peur!

La libération de la circulation des informations nous dévoile désormais tous les traquenards de la mondialisation: une continuité, version globale, de la colonisation. Autres temps, autres mots… Ne voyez-vous vous pas qu’il est de plus en plus évident que des lobbies, généralement occidentaux, travaillent à modéliser le visage de toute l’Humanité? À leur image. Pour perpétuer leur domination sur le Monde et ses ressources. Ces lobbies, à travers des mécanismes sophistiqués, sapent les fondements sociologiques de sociétés dont l’équilibre pluri-millénaire reposait sur certains paradigmes sociaux. Aux valeurs culturelles ancestrales ils substituent des slogans, déclinés dans des programmes lourdement financés, et déroulés par des Organisations non gouvernementales parfois plus dotées que les gouvernements de nos micro États. Et, petit à petit, et au bout d’une à deux générations, ils ont remodelé toute une Nation en lui inculquant, entre autres, le virus de la servitude et de l’admiration béate du modèle occidental . « Ce que l’on gagne vaut-il ce que l’on perd ? » S’interrogeait aux premières heures de l’indépendance l’auteur de  « l’Aventure ambiguë » …

Ce qui est navrant , c’est que le but de tout ce méli-mélo est surtout économique et marchand: faire des humains une armée de consommateurs pour assouvir l’appétit féroce d’un petit nombre de multinationales insatiables, est le seul projet du capitalisme en perte de sens. Partout sur terre on doit manger et boire les mêmes choses, porter les mêmes habits, bref consommer une masse de produits standardisés que dégurgitent des usines de plus en plus robotisées. Et l’homme dans tout ça ? Esclave des machines et des objets dits intelligents il est, lui-même, de moins en moins au cœur de ses propres préoccupations!

Je suis convaincu que l’Afrique a, (pour combien de temps encore?) le choix de ne pas se laisser entraîner plus loin dans la mésaventure occidentale. À la condition que ses élites, déjà fortement « contaminées » par le virus de l’aliénation culturelle veuillent bien se remettre en question! Elles verront que notre soit-disant « pauvreté »et notre « arriération » (sic)  sur beaucoup de plans, nous laissent une marge de manœuvre pour changer d’itinéraire. Faire demi-tour! Au tout industriel de l’Occident, l’Afrique a encore le choix de proposer à l’humain un Continent vert faisant résolument le choix des énergies propres et valorisant une agriculture respectueuse de la santé des humains. Au Senegal, nous avons les terres et les bras qu’il faut. Il nous manque le leadership inspiré !

Les enjeux d’un véritable dialogue national vont donc bien au delà des agendas à court terme des politiciens. Nous devons saisir cette opportunité pour redéfinir, de fond en comble, la trajectoire de notre société. La remettre sur les rails d’où l’avait… déraillé la colonisation. Avons-nous jamais pris ce temps depuis 1960?Il nous faut, véritablement, définir un nouveau plan de vol pour notre pays, en retrouvant le sens de notre génie propre. « Pensez par nous-mêmes et pour nous-mêmes » disait Sedar… Est-ce trop demander?

Amadou Tidiane WONE

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